Partie expérimentale

Chapitre I. Démonstration directe de l'existence de deux sous-systèmes distincts et de l'effet d'apprentissage

Kosslyn (1987) a émis l’hypothèse selon laquelle les relations spatiales coordonnées et catégorielles sont traitées par des sous-systèmes distincts. Cette hypothèse a été confirmée dans plusieurs études qui ont révélé un avantage hémisphérique gauche pour le traitement des relations spatiales catégorielles et un avantage hémisphérique droit pour le traitement des relations spatiales coordonnées (Bruyer et al., 1997, expériences 1 et 2 ; Cowin-Roth & Hellige, 1998 ; Hellige et al., 1994, chez les sujets droitiers ; Hellige & Michimata, 1989 ; Horner & Freides, 1996, stimuli à 3° d'excentricité ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989 ; Kosslyn et al., 1995d, expériences 3 et 4 ; Laeng & Peters, 1995 ; Michimata, 1997, tâches perceptives ; Niebauer & Christman, 1998 ; Rybash & Hoyer, 1992 ; Sergent, 1991, expérience 4 ; Wilkinson & Donnelly, 1999, expérience 3 avec un temps d'exposition des stimuli de 100 ms). De nombreuses études ont aussi montré que l’avantage de l'hémisphère droit pour le traitement des relations spatiales coordonnées disparaissait avec la pratique (Banish & Federmeier, 1999 ; Cowin & Hellige, 1994 ; Dépy et al., 1999, expérience 3 ; Hoyer & Rybash, 1992 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989, expérience 3 ; Michimata, 1997, tâche perceptive ; Rybash & Hoyer, 1992). Cette disparition était généralement due à une amélioration des performances de l'hémisphère gauche. Par ailleurs, aucun effet de pratique n'a été observé dans les tâches catégorielles sauf dans l'expérience de Koenig et al. (1990). Cependant, cette étude ayant été réalisée chez des enfants, la disparition de l'avantage de l'hémisphère gauche avec la pratique a été interprétée comme la manifestation d'un effet de fatigue de ces jeunes sujets. Deux grandes classes d'hypothèses ont été avancées pour expliquer la disparition rapide de l'avantage de l'hémisphère droit dans les tâches coordonnées : l'hémisphère gauche développerait, avec la pratique, de nouvelles catégories de positions (Banish & Federmeier, 1999 ; Kosslyn et al., 1989) ou l'hémisphère gauche serait capable, avec la pratique, d'effectuer des jugements coordonnés (Cowin & Hellige, 1994 ; Rybash & Hoyer, 1992).

La première série d'expériences que nous avons réalisée avait deux objectifs. Le premier objectif était de valider de façon définitive l'hypothèse selon laquelle les représentations spatiales catégorielles et coordonnées sont traitées par deux sous-systèmes distincts sous-tendus par des régions cérébrales différentes (lobe pariétal gauche et lobe pariétal droit, respectivement). Pour cela, nous avons utilisé la technique de l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf). Cette technique "permet d'imager les variations de signal d'origine vasculaire qui accompagnent la modulation de débit sanguin, de volume sanguin, et d'oxygénation par l'activité mentale" (Dehaene, 1997, p.57). Plus précisément, lorsqu'une aire cérébrale est spécifiquement activée, elle va consommer davantage d'oxygène et va donc entraîner une augmentation de la concentration, dans le sang, de la désoxy-hémoglobine (i.e., de l'hémoglobine désoxygénée). Or, cette molécule agit sur le champ magnétique produit par la machine. Ainsi, l'augmentation de la concentration de cette désoxy-hémoglobine, au niveau de l'aire en fonctionnement, va modifier le signal et ainsi pouvoir être détectée. Pour déterminer avec précision les aires spécifiquement activées dans une tâche donnée, le paradigme le plus souvent utilisé en IRMf consiste à faire réaliser, en alternance, aux sujets, une tâche test et une tâche contrôle. Pendant chaque phase (test et contrôle), des coupes du cerveau sont enregistrées. La soustraction des activations obtenues sur les différentes coupes dans les phases test avec celles obtenues dans les phases contrôle va permettre de spécifier quelle(s) aire(s) est (sont) impliquée(s) dans la réalisation de la tâche test. Cette méthode nécessite donc d'élaborer une tâche test et une tâche contrôle qui ne diffèrent entre elles que par la composante que l'on veut étudier. Par ailleurs, chaque phase (palier) a une durée identique et fixée par l'expérimentateur et aucune pause n'est possible durant le scan. Ces deux contraintes nécessitent du sujet qu'il traite les stimuli "en continu". De plus, le nombre d'essais doit être le même dans les différents paliers expérimentaux (paliers test et contrôle) ce qui nécessite que le temps de réponse accordé soit fixe. Ces contraintes (absence de pause et délai fixe de réponse) n'existent pas dans la méthode en champs visuels divisés. Or la plupart des données concernant l'asymétrie hémisphérique pour le traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées proviennent d'études utilisant cette méthode. Ainsi, avant de réaliser l'expérience en IRMf, il était nécessaire de réaliser des expériences préliminaires, en champs visuels divisés, afin de vérifier que l'absence de pause ne gênait pas trop les sujets et surtout de choisir un délai de réponse approprié.

Le deuxième objectif consistait à tester l'hypothèse selon laquelle la disparition de l'avantage de l'hémisphère droit, avec la pratique, observé dans les expériences en champs visuels divisés (dans les tâches demandant des jugements de relations spatiales coordonnées), était corrélée à une diminution de l'activation de l'hémisphère droit et, éventuellement, à une augmentation de l'activation de l'hémisphère gauche attestant ainsi de l'implication progressive de cet hémisphère. Pour cela, nous avons également utilisé la technique de l’IRMf. Cette technique présente une bonne résolution temporelle, ce qui permet de capter d'éventuels changements de l'activation cérébrale. L'effet de pratique dans les tâches coordonnées a aussi été testé dans les deux expériences préliminaires.