1.3. Discussion

Cette expérience a été élaborée afin de vérifier que l'identification, considérée comme une étape préalable aux jugements catégoriels (Kosslyn et al., non publié ; Logan, 1994 ; Logan & Compton, 1996 ; Sergent, 1991a) n'a pas introduit, dans les expériences rapportées dans la littérature, un biais expérimental qui serait responsable de l'asymétrie hémisphérique observée pour les jugements catégoriels et coordonnés. Par ailleurs, nous souhaitions voir jusqu'à quel point les sous-systèmes d'encodage des représentations de relations spatiales catégorielles et coordonnées étaient distincts. Pour cela, nous avons étudié l'effet de la position exacte et relative de l'élément à juger (i.e., le carré) par rapport à l'élément de référence (i.e., la barre) sur les jugements catégoriels et coordonnés, respectivement.

D'une façon générale, les résultats ont montré que les sujets étaient plus rapides pour réaliser des jugements catégoriels que pour réaliser des jugements coordonnés. Cependant, ils ne donnaient pas plus de bonnes réponses dans une tâche que dans l'autre. Ainsi, il semble que nous ayons réussi à égaliser à peu près les tâches, ce qui n'était généralement pas le cas dans les expériences rapportées dans la littérature, où les tâches coordonnées entraînaient moins de bonnes réponses que les tâches catégorielles, sauf pour les expériences 1 et 2 de Kosslyn et al. (1989) où les tâches catégorielles étaient les plus difficiles. Les résultats ont aussi montré que les sujets s'amélioraient au fil des blocs, que ce soit au niveau des temps de réponse ou du nombre de bonnes réponses, et cela quel que soit le groupe de sujets (CAT ou COO). Ainsi, ils ont pu apprendre les tâches.

Le résultat le plus important est que nous avons obtenu une interaction significative, sur les temps de réponse, des facteurs groupe et hémisphère. Plus précisément, nous avons observé un avantage de l'hémisphère gauche pour le groupe de sujets réalisant la tâche catégorielle, mais aucune différence hémisphérique n'est apparue chez les sujets réalisant la tâche coordonnée. Cependant, concernant le nombre de bonnes réponses, si l'interaction des facteurs groupe et hémisphère n'était que marginalement significative, les résultats allaient dans le sens d'un avantage de l'hémisphère gauche pour les sujets du groupe CAT et d'un avantage de l'hémisphère droit pour les sujets du groupe COO. Ces résultats permettent de souligner que les observations faites sur les temps de réponse ne sont pas le résultat d'un compromis vitesse-précision. De plus, l'analyse portant sur l'effet de la position relative sur les performances des sujets du groupe COO a révélé un avantage significatif de l'hémisphère droit, concernant le nombre de bonnes réponses, pour la réalisation de jugements coordonnés. Ainsi, ces résultats apportent des arguments en faveur de l'hypothèse selon laquelle l'hémisphère gauche est prédominant pour les jugements catégoriels alors que l'hémisphère droit est prédominant pour les jugements coordonnés (Kosslyn, 1987). Le plus important est que ces résultats ont été obtenus dans une expérience où les sujets devaient préalablement identifier les stimuli avant d'effectuer leurs jugements. La nécessité d'identifier les stimuli a été corroborée par les dires des sujets. En effet, la majorité d'entre eux (70 % environ) ont indiqué qu'il leur avait été difficile d'identifier le carré sur lequel devait porter leur jugement et que la croix les avait gênés pour répondre. Ainsi, nous avons obtenu des arguments permettant de repousser la critique de Sergent (1991a) concernant un biais expérimental possible dû à la nécessité d'identifier les stimuli dans les jugements catégoriels mais pas dans les jugements coordonnés.

Concernant l'effet de la position exacte du carré (i.e., près ou loin de la barre) sur les jugements catégoriels, les sujets étaient plus rapides pour effectuer leurs jugements lorsque le carré était près de la barre mais uniquement dans les deuxième et troisième blocs d'essais. Ainsi, la position exacte a affecté les jugements catégoriels, confirmant ainsi que la distinction entre sous-systèmes d'encodage des représentations de relations spatiales catégorielles et coordonnées n'est que relative (Kosslyn, 1987, 1994 ; Kosslyn et al., 1992). Cependant, contrairement au postulat de Kosslyn et al. (1992), les sujets n'ont pas été gênés par la proximité des éléments (entre le carré et la barre) mais au contraire par l'augmentation de leur distance ce qui est cohérent avec la théorie d'Ullman (1984) selon laquelle nous traiterions les relations spatiales en indexant l'objet de référence (i.e., la barre) et en recherchant ensuite l'objet pour lequel nous devons émettre un jugement de position (i.e., le carré). Pour Ullman (1984) ce processus est d'autant plus long que le deuxième élément est éloigné de l'objet de référence. Toutefois, nos résultats sont aussi cohérents avec l'hypothèse de Logan et Compton (1996) selon laquelle la distance entre les éléments sur lesquels porte le jugement va affecter les réponses en présence de distracteurs. Or, dans notre expérience, la croix peut être considérée comme un distracteur. De plus, lorsque le carré était loin de la barre (là où les temps de réponse sont les plus longs) la croix, quant à elle, était près de la barre. Il se peut donc qu'elle ait plus interféré dans ce cas. Toutefois, ces interprétations nécessitent d'être confirmées par d'autres études car elles n'expliquent pas pourquoi l'effet position exacte du carré sur les jugements catégoriels n'a pas été observé dans le premier bloc d'essais. Enfin, aucun effet de la position exacte n'a été mis en évidence sur le nombre de bonnes réponses des sujets réalisant des jugements catégoriels. Ce résultat est important car il montre que la position exacte n'a affecté que les temps de traitements catégoriels et non la qualité des jugements.

Le dernier point que nous avons étudié concernait l'effet de la position relative des stimuli sur les jugements coordonnés. Les résultats ont montré que les sujets du groupe COO répondaient plus rapidement lorsque le carré se situait au-dessus de la barre. Cela pourrait être interprété comme la manifestation d'une stratégie cognitive induite par la pratique de la lecture et qui fait que nous parcourons généralement notre champ visuel de haut en bas. Par ailleurs, cet effet était significatif dans les blocs 1 et 3. Nous n'avons pas d'arguments théoriques permettant d'interpréter ce dernier résultat. Néanmoins, l'observation d'un effet de la position relative du carré sur les jugements coordonnés souligne encore que les deux sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées ne sont que relativement distincts (Kosslyn, 1987, 1994 ; Kosslyn et al., 1992).

En conclusion, les résultats de cette expérience ont montré, d'une part, que la nécessité d'identifier les stimuli dans les tâches catégorielles et coordonnées n'empêchait pas d'observer une asymétrie hémisphérique pour les deux types de jugements et, d'autre part, que la distinction entre représentations de relations spatiales catégorielles et coordonnées n'est que relative étant donné que des effets de la position exacte ont été observés sur les jugements catégoriels et que des effets de la position relative ont été observés sur les jugements coordonnés.

Nos résultats sont donc congruents avec l'hypothèse de Kosslyn (1987) et contredisent l'hypothèse de Sergent (1991a) selon laquelle la nécessité d'identifier les stimuli pour effectuer des jugements catégoriels, et non pour effectuer des jugements coordonnés, aurait introduit un biais expérimental qui pourrait expliquer l'asymétrie hémisphérique observée dans les expériences antérieures. Cependant, nous avons obtenu dans cette expérience un avantage significatif de l'hémisphère gauche dans la tâche catégorielle et un avantage marginal de l'hémisphère droit dans la tâche coordonnée (cet avantage n'était apparent que sur le nombre de bonnes réponses lorsque les résultats des sujets du groupe COO étaient analysés séparément) alors que dans la plupart des études antérieures, c'est l'avantage de l'hémisphère droit pour les traitements coordonnés qui était significatif, alors que l'avantage de l'hémisphère gauche pour les traitements catégoriels n'était que marginal (Bruyer et al., 1997, expérience 1 ; Hellige et al., 1994, chez les sujets droitiers ; Hellige & Michimata, 1989 ; Horner & Freides, 1996, stimuli à 3° d'excentricité ; Kosslyn et al., 1989, expériences 1, 2, et 3 ; Kosslyn et al., 1995d, expériences 3 et 4 ; Michimata, 1997, tâches perceptives ; Rybash & Hoyer, 1992 ; Sergent, 1991a, expérience 4 ; Wilkinson & Donnelly, 1999, expérience 3 avec un temps de présentation des stimuli de 100 ms). De plus, les rares études qui ont montré un avantage significatif de l'hémisphère gauche pour des jugements de relations spatiales catégorielles sont celles qui ont utilisé des stimuli complexes représentant des animaux ou des objets (Laeng & Peters, 1995 ; Laeng et al., 1999b). Ainsi, si l'identification n'explique pas l'asymétrie hémisphérique observée pour les jugements catégoriels et coordonnés, elle pourrait quand même avoir joué un rôle dans l'observation d'un avantage significatif de l'hémisphère gauche. Ce dernier point concorde avec l'hypothèse de Logan et Compton (1996) selon laquelle l'identification n'était pas nécessaire dans les expériences utilisant des stimuli simples comme un carré et une barre et selon laquelle des stratégies spécifiques comme le traitement d'un seul des deux éléments ou de la configuration créée par les deux éléments pouvaient permettre de résoudre les tâches catégorielles.