2.3. Discussion

Cette expérience avait principalement pour objectif de déterminer dans quelle mesure l'identification est importante pour les traitements catégoriels et favorise l'observation d'un avantage significatif de l'hémisphère gauche dans les tâches nécessitant de tels traitements. De plus, elle avait à nouveau pour but de déterminer si les jugements catégoriels étaient affectés par la position exacte de l'élément à juger (i.e., la croix) et si les jugements coordonnés étaient affectés par la position relative de cet élément.

D'une façon générale, les résultats ont montré que les sujets étaient meilleurs pour réaliser des jugements catégoriels que pour réaliser des jugements coordonnés, tant au niveau des temps de réponses qu'au niveau du nombre de bonnes réponses. Cela montre que la diminution de la difficulté de l'identification a particulièrement bénéficié aux sujets réalisant des jugements catégoriels. En effet, dans l'expérience 7, où l'identification était difficile, les deux types de jugements, catégoriels et coordonnés, entraînaient sensiblement le même pourcentage de bonnes réponses. Par ailleurs, comme dans l'expérience 7, les sujets s'amélioraient au fil des blocs, ce qui montre que les sujets ont pu apprendre les tâches.

Concernant les différences hémisphériques pour les traitements catégoriels et coordonnés, les résultats sur les temps de réponse ont montré un avantage de l'hémisphère gauche pour les jugements catégoriels et un avantage marginal de l'hémisphère droit pour les jugements coordonnés. Cependant, si l'avantage de l'hémisphère droit pour les traitements coordonnés a été confirmé au niveau du nombre de bonnes réponses, un avantage de ce même hémisphère a aussi été observé, sur cette même variable dépendante, pour les jugements catégoriels. La facilité de traitement des relations spatiales catégorielles attestée par un taux de bonnes réponses de 93.2 % a pu conduire les sujets à répondre très rapidement mais au détriment de la qualité de la réponse. Néanmoins, ce compromis vitesse-précision pour les sujets du groupe CAT est relativisé par l'interaction des facteurs Bloc et Hémisphère pour le nombre de bonnes réponses. En effet, l'avantage de l'hémisphère droit n'était apparent et significatif que dans le premier bloc d'essais. Même restreint à ce premier bloc, le compromis vitesse-précision rend difficile l'interprétation des résultats des sujets du groupe CAT. Néanmoins, il semble intéressant de noter que seuls les résultats des sujets de ce groupe ont été affectés par la manipulation expérimentale que nous avons réalisée entre l'expérience 7 et l'expérience 8 : la facilitation de l'identification, voire la suppression de la nécessité d'identifier les stimuli. En effet, les sujets de l'expérience 8 ont déclaré, pour la majorité d'entre eux (85 % environ), qu'ils n'avaient pas eu de mal à distinguer la croix du carré et que ce dernier ne les avait pas gênés pour répondre. Ainsi, l'identification semble importante pour le traitement correct des relations spatiales catégorielles, comme l'ont suggéré Logan et Compton (1996). Par contre, elle semble plutôt gêner les traitements coordonnés étant donné que nous avons observé, dans l'expérience 8, un avantage de l'hémisphère droit à la fois au niveau des temps de réponse et du nombre de bonnes réponses, alors que cet avantage n'apparaissait qu'au niveau du nombre de bonnes réponses dans l'expérience 7.

Les résultats que nous avons obtenus concernant l'effet de la position exacte des stimuli sur les jugements catégoriels ont révélé que les sujets du groupe CAT produisaient plus de bonnes réponses lorsque le stimulus à juger (i.e., la croix) était loin de la barre. L'observation de cet effet est assez surprenante. En effet, alors que, dans cette expérience, les sujets réalisant des jugements de relations spatiales catégorielles étaient meilleurs lorsque le stimulus à juger était loin de la barre, dans l'expérience 7, les sujets réalisant ces mêmes jugements étaient meilleurs lorsque le stimulus à juger était près de la barre. Dans leur étude de simulation de réseaux de neurones, Kosslyn et al. (1992) ont montré que les jugements catégoriels étaient plus difficiles lorsque le stimulus à juger était proche du stimulus de référence. Ils ont interprété cet effet comme résultant d'une difficulté de délimitation, par les neurones ayant de petits champs récepteurs, de régions spatiales distinctes. Il est possible que, dans l'expérience 7, les stimuli étant petits et bien distincts, même pour les positions les plus proches de la barre, cet effet ne soit pas apparu. Seule la présence d'un troisième élément (i.e., la croix) près de la barre aurait gêné les sujets pour répondre (dans ces situations, le carré était toujours loin de la barre). Dans l'expérience 8, les sujets ne semblent pas avoir réellement traité le troisième élément. Ainsi, sa position n'aurait pas interféré sur les jugements catégoriels. Par contre, dans cette expérience, les stimuli étaient plus gros. Ainsi, lorsque l'élément à juger (i.e., la croix) était près de la barre, les deux stimuli étaient moins distincts. Cela a donc pu gêner les traitements catégoriels puisque l'hémisphère gauche, dominant pour ce type de traitement, utiliserait principalement l'information provenant de neurones à petits champs récepteurs (Brown & Kosslyn, 1995 ; Kosslyn et al., 1994b ; Kosslyn et al., 1992). Un élément de nos résultats semble soutenir cette hypothèse : l'effet de la distance sur les jugements catégoriels s'est manifesté, en particulier, en ce qui concerne le nombre de bonnes réponses, et uniquement, en ce qui concerne les temps de réponses, pour les essais où les stimuli étaient présentés initialement à l'hémisphère gauche. Néanmoins, le résultat décrit précédemment étant confiné au troisième bloc expérimental, il demande à être confirmé.

Enfin, l'effet de la position relative sur les jugements coordonnés variait selon l'hémisphère recevant l'information en premier. Ainsi, les sujets du groupe COO produisaient plus de bonnes réponses lorsque la croix était au-dessous de la barre lorsque l'hémisphère droit recevait l'information en premier. Au contraire, ils produisaient plus de bonnes réponses lorsque la croix était au-dessus de la barre lorsque l'hémisphère gauche recevait l'information en premier. Ces résultats sont difficilement interprétables. Néanmoins, l'observation d'un traitement plus rapide, par l'hémisphère droit, des stimuli présentés au-dessous de la barre et donc dans le champ visuel inférieur du sujet (ses yeux étant au niveau du point de fixation central lui-même dans l'alignement de la barre) pourrait confirmer les résultats de Niebauer et Christman (1998). Rappelons que ces auteurs ont mis en évidence un avantage de l'hémisphère droit pour les stimuli présentés dans le champ visuel inférieur lorsque les sujets devaient effectuer des jugements coordonnés. Niebauer et Christman (1998) ont interprété ce résultat comme étant un argument en faveur d'un rapprochement de la théorie de Kosslyn (1987) selon laquelle les représentations de relations coordonnées sont particulièrement importantes pour le guidage du mouvement et seraient sous-tendues par l'hémisphère droit et celle de Prévic (1990) selon laquelle la plupart des mouvements d'atteinte et de préhension seraient réalisés dans le champ visuel inférieur. L'observation d'un traitement plus rapide, par l'hémisphère gauche, des stimuli présentés au-dessus de la barre est peut-être, comme nous l'avions déjà proposé dans la discussion des résultats de l'expérience 7, la résultante d'une stratégie cognitive induite par la pratique de la lecture et qui fait que nous parcourons généralement notre champ visuel de haut en bas.

En conclusion, les résultats de l'expérience 8 ont montré, à nouveau, que la distinction entre les deux sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées n'est que relative (Kosslyn, 1994) puisque nous avons mis en évidence des effets de la position exacte du stimulus à juger sur les traitements catégoriels et des effets de la position relative de ce même stimulus sur les traitements coordonnés. Plus important, nous avons observé que, lorsque l'identification est moins nécessaire, les résultats concernant la dominance de l'hémisphère gauche pour les jugements catégoriels sont moins probants. Par contre, la dominance de l'hémisphère droit pour les jugements coordonnés a été, à nouveau, mise en évidence. Ainsi, nos résultats semblent confirmer que l'identification est importante pour la réalisation correcte de jugements des relations spatiales catégorielles, alors qu'elle n'est pas une étape nécessaire pour la réalisation de jugements coordonnés (Kosslyn et al., non publié ; Logan & Compton, 1996 ; Sergent, 1991a).