3. Discussion générale

Ces deux expériences avaient principalement pour objectif d'étudier le rôle de l'identification sur les jugements catégoriels et coordonnés. Secondairement, nous souhaitions voir si la position exacte des stimuli pouvait affecter les jugements catégoriels et si leur position relative pouvait affecter les jugements coordonnés.

Dans la première expérience, où l'identification des stimuli était difficile, un avantage de l'hémisphère gauche a été observé pour les jugements catégoriels sur les temps de réponse et un avantage de l'hémisphère droit a été observé pour les jugements coordonnés sur le nombre de bonnes réponses. Par ailleurs aucun compromis vitesse-précision n'est apparu. Dans la seconde expérience, où l'identification était bien plus facile, un avantage de l'hémisphère droit a été observé sur les temps de réponse (avantage marginal) et sur le nombre de bonnes réponses pour les jugements coordonnés. Par contre, un compromis vitesse-précision a été mis en évidence pour les jugements catégoriels, avec un avantage de l'hémisphère gauche sur les temps de réponse et un avantage de l'hémisphère droit sur le nombre de bonnes réponses. Par ailleurs, la majorité des sujets s'est déclarée gênée par la présence d'un troisième élément dans l'expérience 7, alors qu'une petite minorité seulement s'est déclarée gênée par la présence de ce troisième élément dans l'expérience 8. Ainsi, il semble que l'identification ait été réellement nécessaire dans l'expérience 7 mais pas dans l'expérience 8 où, bien que nous ayons demandé un jugement sur l'élément le plus difficile à identifier (i.e., la croix), les sujets ont pu, semble-t-il, faire abstraction du troisième élément (i.e., le carré). Ainsi, contrairement à l'hypothèse de Sergent (1991a), ces résultats suggèrent que l'identification ne semble pas pouvoir être considérée comme un biais expérimental à l'origine de l'asymétrie hémisphérique couramment observée dans les expériences demandant des jugements des relations spatiales catégorielles et coordonnées (Bruyer et al., 1997, expériences 1 et 2 ; Cowin-Roth & Hellige, 1998 ; Hellige et al., 1994, chez les sujets droitiers ; Hellige & Michimata, 1989 ; Horner & Freides, 1996, stimuli à 3° d'excentricité ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989 ; Kosslyn et al., 1995b, expériences 3 et 4 ; Laeng & Peters, 1995 ; Michimata, 1997, tâches perceptives ; Niebauer & Christman, 1998 ; Rybash & Hoyer, 1992 ; Sergent, 1991a, expérience 4 ; Wilkinson & Donnelly, 1999, expérience 3 avec un temps d'exposition des stimuli de 100 ms). Néanmoins, il semble que l'identification soit un élément important pour la réalisation correcte de jugements catégoriels (Logan & Compton, 1996 ; Sergent, 1991a) alors qu'elle a plutôt tendance à gêner les jugements coordonnés.

Concernant les effets de la position exacte sur les jugements catégoriels, nous avons observé dans l'expérience 7 que les sujets étaient meilleurs lorsque le stimulus à juger était près de la barre, alors qu'ils étaient meilleurs dans l'expérience 8 lorsqu'il était loin de la barre. Il est possible que l'inversion des effets soit liée à la nécessité (expérience 7) ou non (expérience 8) d'identifier chaque stimulus et aussi à la taille des stimuli. En effet, dans l'expérience 7, les stimuli étaient petits et donc bien délimitables. Ainsi, la proximité entre l'élément à juger et la barre n'aurait pas gêné les sujets. Par contre, dans cette même expérience, la nécessité d'identifier chaque stimulus permet de considérer le troisième élément (i.e., la croix) comme un distracteur. Or, lorsque le carré était loin de la barre, la croix était près de celle-ci et a donc pu interférer davantage sur les jugements, ce qui expliquerait que, dans ce cas, les sujets aient été meilleurs lorsque le stimulus à juger (i.e., le carré) était près de la barre et donc que le distracteur (i.e., la croix) était loin de la barre. Cette interprétation est en accord avec l'hypothèse de Logan et Compton (1996) selon laquelle la distance peut affecter les jugements catégoriels en présence de distracteurs. Au contraire, dans l'expérience 8, les sujets semblent avoir ignoré le troisième élément (i.e., le carré) qui n'aurait donc pas joué un rôle de distracteur. Par contre, les stimuli étaient plus gros que dans l'expérience 7 mais occupaient les mêmes positions. Ainsi, lorsque le stimulus à juger (i.e., la croix) était près de la barre, les deux stimuli étaient moins distincts, ce qui expliquerait que les sujets étaient plus gênés pour répondre, dans ce cas, ce qui est congruent avec les résultats de simulation de réseaux de neurones réalisés par Kosslyn et al. (1992) qui ont montré que les appariements entrée-sortie étaient plus difficiles lorsque les stimuli étaient proches. Néanmoins, ces interprétations ne sont que des hypothèses qui mériteraient d'être confirmées.

Concernant les effets de la position relative des stimuli sur les traitements coordonnés, nous avons observé, dans l'expérience 7, que les sujets étaient meilleurs lorsque le stimulus à juger était au-dessus de la barre. Ce résultat pourrait refléter une stratégie cognitive particulière, issue de la pratique de la lecture, et qui ferait que nous analysons la scène visuelle de haut en bas. Cette hypothèse semble être étayée par les résultats de l'expérience 8 où les sujets étaient aussi meilleurs lorsque le stimulus à juger était au-dessus de la barre, mais uniquement quand l'hémisphère gauche recevait l'information en premier. Or, il existe de nombreux arguments pour dire que l'hémisphère gauche est dominant pour le traitement du langage (pour des revues, voir Kolb & Whishaw, 1980 ; et Springer & Deutsch, 1985). Nous avons aussi observé que les sujets de l'expérience 8 étaient meilleurs lorsque le stimulus à juger était au-dessous de la barre lorsque l'hémisphère droit recevait l'information en premier. Ce résultat est cohérent avec l'observation de Niebauer et Christman (1998) concernant un avantage de l'hémisphère droit pour les traitements coordonnés plus important dans le champ visuel inférieur. Cependant, les résultats que nous avons obtenus concernant l'effet de la position relative sur les jugements coordonnés nécessitent d'être confirmés.

En conclusion, les deux expériences que nous avons présentées dans ce chapitre montrent, d'une part, qu'il existe bien une distinction entre les sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées (Kosslyn, 1987), mais qu'elle n'est que relative comme l'a souligné Kosslyn (1994) et, d'autre part, que l'identification semble être importante pour les jugements catégoriels (Logan & Compton, 1996 ; Sergent, 1991a) mais pas pour les jugements coordonnés, ce qui souligne une différence qualitative entre les deux types de traitements.