Conclusions et perspectives de recherche

Les différentes expériences présentées dans cette thèse avaient pour objectif d'étayer nos connaissances concernant la localisation, le fonctionnement, et les interactions entre deux sous-systèmes de traitement des relations spatiales : le sous-système d'encodage des représentations de relations spatiales catégorielles et le sous-système d'encodage des représentations de relations spatiales coordonnées.

La distinction théorique entre ces deux sous-systèmes a été proposée par Kosslyn et ses collaborateurs (Kosslyn, 1987, 1994 ; Kosslyn et al., 1990 ; Kosslyn & Koenig, 1992). Au niveau expérimental, de nombreuses études ont apporté des arguments soutenant cette distinction à travers les résultats de simulation de réseaux de neurones (Kosslyn et al., 1992), d'une expérience chez des patients cérébrolésés (Laeng, 1994), d'une expérience d'imagerie cérébrale (Kosslyn et al., 1998), et d'expériences en champs visuels divisés chez des sujets sains (Bruyer et al., 1997, expériences 1 et 2 ; Cowin & Hellige, 1994 ; Cowin-Roth & Hellige, 1998 ; Hellige et al., 1994, chez les sujets droitiers ; Hellige & Michimata, 1989 ; Horner & Freides, 1996, stimuli à 3° d'excentricité ; Hoyer & Rybash, 1992 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989 ; Kosslyn et al., 1995d, expériences 3 et 4 ; Laeng & Peters, 1995 ; Michimata, 1997, tâches perceptives ; Niebauer & Christman, 1998 ; Rybash & Hoyer, 1992 ; Sergent, 1991, expérience 4 ; Wilkinson & Donnelly, 1999, expérience 3 avec un temps d'exposition des stimuli de 100 ms) et même chez des babouins (Dépy et al., 1998). Un argument particulièrement fort apporté par ces différentes études a été de montrer que l'hémisphère gauche était dominant pour effectuer des jugements de relations spatiales catégorielles alors que l'hémisphère droit était dominant pour effectuer des jugements de relations spatiales coordonnées. Par ailleurs, il a été suggéré que les deux hémisphères n'utiliseraient pas la même source d'information pour effectuer leurs traitements respectifs. Plus précisément, l'hémisphère gauche serait biaisé en faveur de l'utilisation de neurones possédant de petits champs récepteurs se recouvrant peu, ce qui permettrait de "compartimenter" l'espace en différentes régions alors que l'hémisphère droit utiliserait préférentiellement l'information provenant de neurones ayant de larges champs récepteurs se recouvrant beaucoup, ce qui permettrait d'estimer précisément les positions des éléments dans l'espace (Brown et Kosslyn, 1995 ; Kosslyn et al., 1994b ; Kosslyn et al., 1992).

Néanmoins, de nombreuses questions restaient en suspens. En effet, si l'on considérait que les sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées étaient sous-tendus par les lobes pariétaux, la localisation exacte de ces sous-systèmes n'avait pas, jusqu'ici, été mise en évidence. Par ailleurs, de nombreuses études, ayant utilisé la méthode de présentation en champs visuels divisés, avaient montré que l'avantage initial de l'hémisphère droit pour les jugements de relations spatiales coordonnées disparaissait avec la pratique et que cet effet était généralement dû à une amélioration des performances de l'hémisphère gauche. Cependant, bien que diverses hypothèses aient été avancées, cet effet de pratique n'avait pas été réellement approfondi. Enfin, il existait certaines controverses concernant, en particulier, le rôle de l'identification dans les jugements de relations spatiales catégorielles et coordonnées et l'influence, d'une part, des distances métriques sur les jugements catégoriels et, d'autre part, des positions relatives sur les jugements coordonnés.

Pour répondre à ces différentes questions, nous avons élaboré huit expériences. Les trois premières, présentées dans le premier chapitre expérimental, avaient pour objectifs de répondre à la question de la localisation cérébrale des sous-systèmes d'encodage des relations spatiales catégorielles et coordonnées et de mettre en évidence l'importance de l'hémisphère gauche dans l'observation d'une disparition de l'avantage initial de l'hémisphère droit dans les tâches coordonnées. Les expériences 4, 5, et 6, présentées dans le deuxième chapitre expérimental, ont été réalisées afin d'expliquer précisément cet effet de pratique. Enfin, les expériences 7 et 8, présentées dans le troisième chapitre, avaient pour objectif de tester le rôle de l'identification dans les jugements catégoriels et coordonnés et d'étudier l'influence de la position exacte des stimuli sur les jugements catégoriels et celle de leur position relative sur les jugements coordonnés.

L'expérience 3 d'IRMf présentée dans le premier chapitre expérimental avait pour objectif de localiser les structures corticales sous-tendant les sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées, et de mettre en évidence l'implication progressive de l'hémisphère gauche dans une expérience demandant, à l'origine, d'effectuer des jugements de relations spatiales coordonnées. Afin d'établir au mieux le protocole expérimental de cette étude (choix du délai de réponse en particulier) deux expériences en champs visuels divisées ont aussi été réalisées (expériences 1 et 2). L'expérience 1 nécessitait des sujets qu'ils traitent en continu (i.e., sans pause) des stimuli composés d'un carré et d'une barre. L'expérience 2 nécessitait, en plus du traitement en continu, que les sujets répondent dans un délai limité de 850 ms. Dans ces deux expériences, la tâche du sujet consistait à indiquer si la distance entre les deux stimuli était supérieure ou inférieure à une distance critique (tâche coordonnée). Les résultats de ces deux expériences ont permis de choisir le délai de réponse le plus adéquat pour l'expérience 3, mais ont aussi permis, d'une part, d'apporter des arguments supplémentaires en faveur de l'hypothèse d'une dominance de l'hémisphère droit pour les jugements coordonnés (Kosslyn, 1987) et, d'autre part, de confirmer l'existence d'un effet de pratique, dans les tâches demandant de tels jugements, se manifestant par la disparition de l'avantage initial de l'hémisphère droit, en particulier à cause d'une amélioration des performances de l'hémisphère gauche, comme cela avait été montré dans plusieurs études (Banish & Federmeier, 1999 ; Cowin & Hellige, 1994 ; Dépy et al., 1999, expérience 3 ; Hoyer & Rybash, 1992 ; Koenig et al., 1990 ; Kosslyn et al., 1989, expérience 3 ; Michimata, 1997, tâche perceptive ; Rybash & Hoyer, 1992). De plus, si de nombreuses études ont montré que les résultats des expériences en champs visuels divisés sont sensibles à de nombreux facteurs expérimentaux (e.g., Boles, 1991, 1992 ; Eviatar et al., 1997 ; Hellige et al., 1994 ; Hellige et al., 1988 ; Hellige & Sergent, 1986 ; Sergent & Hellige, 1986), l'effet des contraintes temporelles n'avait pas, jusqu'alors, été exploré. Or, les résultats que nous avons obtenus dans les expériences 1 et 2 ont montré que ce facteur pouvait lui-aussi affecter les performances. Dans l'expérience 3 d'IRMf, les sujets ont subi deux examens. Dans le premier, ils devaient réaliser des jugements coordonnés (i.e., indiquer si la distance entre un carré et une barre était supérieure ou inférieure à une distance critique) et dans le deuxième, ils devaient indiquer si le carré se trouvait au-dessus ou au-dessous de la barre. Les résultats de cette expérience nous ont permis de montrer l'importance du gyrus angulaire droit pour le traitement des relations spatiales coordonnées et du gyrus angulaire gauche pour le traitement des relations spatiales catégorielles. Par ailleurs, grâce à cette technique d'imagerie cérébrale, nous avons pu mettre en évidence l'implication progressive du sous-système d'encodage des relations spatiales catégorielles manifestée par une augmentation de l'activation du gyrus angulaire gauche, dans une tâche nécessitant pourtant, à l'origine, des traitements coordonnés.

Si l'expérience 3 d'IRMf a confirmé que la disparition de l'avantage initial de l'hémisphère droit dans des tâches demandant des jugements des relations spatiales coordonnées était bien due à une implication progressive de l'hémisphère gauche, elle n'a pas pour autant permis de choisir entre les différentes hypothèses avancées pour expliquer cet effet. Ces hypothèses sont au nombre de quatre. La première hypothèse, proposée par Kosslyn et al. (1989), est que l'hémisphère gauche développe, avec la pratique, et grâce à la répétition des stimuli, de nouvelles catégories de positions. La seconde hypothèse suggère que l'hémisphère gauche utiliserait un cadre de références (e.g., l'écran de l'ordinateur) pour délimiter différentes régions spatiales. Ainsi, toutes les positions appartenant à une même région seraient d'emblée catégorisées. La troisième hypothèse est que l'hémisphère gauche est capable, avec la pratique, de réaliser des jugements coordonnés (Rybash & Hoyer, 1992). Enfin, la quatrième hypothèse stipule aussi que l'hémisphère gauche est capable de réaliser des jugements coordonnés grâce à sa capacité à s'adapter à la tâche en utilisant des stratégies de haut niveau (Cowin & Hellige, 1994). Afin de choisir entre ces différentes hypothèses, les expériences 4, 5, et 6, présentées dans le deuxième chapitre expérimental, ont été élaborées. Pour chacune d’elles les sujets devaient réaliser un jugement coordonné (i.e., juger si la distance entre un carré et une barre était supérieure ou inférieure à une distance critique). Dans l'expérience 4, trois distances critiques étaient utilisées et les sujets réalisaient trois blocs d’essais consécutifs pour chaque distance. Dans l'expérience 5, la distance critique variait à chaque bloc. Enfin, dans l'expérience 6, une distance critique était présentée à chaque essai. Par ailleurs, dans les expériences 4 et 5, la distance critique était présentée au centre de l'écran alors que, dans l'expérience 6, elle était présentée à un des quatre angles de l'écran selon les essais. Dans les expériences 4 et 5, l’avantage de l'hémisphère droit n’a été observé que pour le premier bloc d’essais. Cependant, dans l'expérience 6, un avantage général de l'hémisphère droit a été mis en évidence. L'hypothèse pouvant au mieux expliquer l'ensemble de ces résultats semble être celle de Banish & Federmeier (1999) qui stipule que l'hémisphère gauche utiliserait différents indices pour diviser le champ visuel en des régions spatiales distinctes, ce qui pourrait permettre, notamment, d'émettre un jugement de distance (i.e., région correspondant aux positions situées en dedans de la distance critique et région correspondant aux positions situées en dehors de la distance critique). L'utilisation de cette stratégie permettrait d'expliquer la disparition de l'avantage initial de l'hémisphère droit observé après le premier bloc d'essais dans les expériences 4 et 5. En effet, dans ces expériences, la distance critique était présentée au centre de l'écran et les stimuli expérimentaux étaient toujours présentés aux mêmes endroits dans le champ visuel, ce qui a pu aider les sujets à catégoriser les différentes régions spatiales. D'un autre côté, la difficulté d'utilisation de cette stratégie dans l'expérience 6, à cause de la présentation des distances critiques, non pas au centre de l'écran, mais dans un des quatre angles de celui-ci, et à cause du changement de distance critique à chaque essai, expliquerait qu'un avantage général de l'hémisphère droit ait été observé.

Les expériences 7 et 8, présentées dans le troisième chapitre expérimental, avaient pour objectif d'étudier le rôle de l'identification pour les jugements catégoriels et coordonnés. Cette étude était importante afin de repousser une hypothèse, émise par Sergent (1991a), selon laquelle l'asymétrie hémisphérique généralement observée pour les jugements catégoriels et coordonnés pourrait venir d'un biais expérimental. Ce biais serait dû à la nécessité d'identifier les stimuli pour émettre un jugement concernant les relations spatiales catégorielles mais pas pour émettre un jugement concernant les relations spatiales coordonnées. Par ailleurs, pour évaluer jusqu'à quel point les traitements réalisés par les sous-systèmes d'encodage des relations spatiales catégorielles et coordonnées sont distincts, nous avons examiné, dans ces expériences 7 et 8, l'effet de la position exacte et l'effet de la position relative des stimuli sur les jugements catégoriels et coordonnés. Dans chacune de ces expériences utilisant la méthode de présentation en champs visuels divisés, les sujets réalisaient soit une tâche catégorielle, soit une tâche coordonnée, sur des stimuli composés d'une barre, d'un carré et d'une croix. La présence de trois éléments, au lieu de deux dans la plupart des expériences rapportées dans la littérature, avait pour but de forcer les sujets à identifier les stimuli avant d'effectuer leurs jugements (catégoriels ou coordonnés) sur deux d'entre eux seulement. Dans la tâche catégorielle, les sujets devaient indiquer si le carré (expérience 7) ou la croix (expérience 8) était au-dessus ou au-dessous de la barre. Dans la tâche coordonnée, les sujets devaient indiquer si la distance entre la barre et le carré (expérience 7) ou entre la barre et la croix (expérience 8) était supérieure ou inférieure à une distance critique. Les expériences 7 et 8 différaient entre elles par la taille de la croix et celle du carré qui étaient plus importantes dans l'expérience 8 que dans l'expérience 7. Les résultats de l'expérience 7 (conditions difficiles d'identification) ont révélé, au niveau des temps de réponse, une interaction entre les facteurs tâche et hémisphère avec un avantage de l'hémisphère gauche dans la tâche catégorielle, mais pas de différence hémisphérique dans la tâche coordonnée. Cependant, un avantage de l'hémisphère droit a été observé dans l'analyse du nombre de bonnes réponses pour les sujets ayant réalisé la tâche coordonnée. Les résultats de l'expérience 8 (conditions faciles d'identification) ont aussi montré, au niveau des temps de réponse, une interaction entre les facteurs tâche et hémisphère avec un avantage de l'hémisphère gauche dans la tâche catégorielle et un avantage marginal de l'hémisphère droit dans la tâche coordonnée. Cependant, un avantage général de l'hémisphère droit a été observé au niveau du nombre de bonnes réponses, à la fois pour les sujets ayant réalisé des jugements coordonnés et pour les sujets ayant réalisé des jugements catégoriels. Concernant l'influence de la position exacte et relative des stimuli sur les jugements catégoriels et coordonnés, les résultats obtenus, dans les deux expériences, ont montré que la position exacte des stimuli affectait les jugements portant sur les relations spatiales catégorielles et que la position relative des stimuli affectait les jugements portant sur les relations spatiales coordonnées. Nous avons interprété l'ensemble de ces résultats comme suggérant, d'une part, qu'il existe bien une distinction entre les sous-systèmes de traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées (Kosslyn, 1987), mais qu'elle n'est que relative, et, d'autre part, que, si l'identification ne peut pas être considérée comme un biais expérimental à l'origine de l'asymétrie hémisphérique couramment observée dans les expériences demandant des jugements des relations spatiales catégorielles et coordonnées, elle semble néanmoins être importante pour les jugements catégoriels, mais non pour les jugements coordonnés, ce qui souligne une différence qualitative entre les deux types de traitements.

En conclusion, il nous semble que ce travail a permis de confirmer l'existence de deux sous-systèmes distincts du traitement des relations spatiales catégorielles et coordonnées notamment grâce à l'utilisation de l'IRMf. De plus, nous avons pu préciser la façon dont l'hémisphère gauche arrive à s'engager suffisamment dans les tâches coordonnées pour faire disparaître l'avantage initial de l'hémisphère droit. Plus précisément, il semble qu'une des méthodes efficaces pourrait être l'utilisation, par l'hémisphère gauche, d'un cadre de référence au sein duquel il pourrait délimiter des régions catégorielles de type "région près" ou "région loin". Cette méthode serait sans doute favorisée par l'utilisation privilégiée que ferait cet hémisphère de l'information provenant des neurones possédant un petit champ récepteur. Enfin, nous avons montré que l'identification semble être une étape importante du traitement des relations spatiales catégorielles, mais non du traitement des relations spatiales coordonnées. Concernant l'effet de la distance sur les traitements catégoriels et l'effet de la position relative sur les traitements coordonnés, nos résultats sont trop mitigés pour permettre une conclusion formelle mais indiquent cependant que la distinction entre les deux sous-systèmes de traitement des relations spatiales ne doit pas être considérée comme absolue.

Nos diverses études ont donc permis de développer nos connaissances concernant les sous-systèmes d'encodage des représentations de relations spatiales catégorielles et coordonnées. Néanmoins, il reste un point qui n'a encore jamais été exploré : il s'agit du lien entre la distinction entre relations spatiales catégorielles et coordonnées (Kosslyn, 1987) et la distinction entre relations spatiales entre objets et à l'intérieur d'un objet (Humphreys & Riddoch, 1994). En effet, nous avons souligné, dans la partie théorique, que Kosslyn (1987, 1994) considérait sa distinction (i.e., représentations de relations spatiales catégorielles versus représentations de relations spatiales coordonnées) comme applicable aussi bien aux traitements des relations spatiales entre objets qu'entre parties d'objets. Or la majorité des expériences présentées dans le troisième chapitre théorique, ainsi que celles que nous avons réalisées, n'ont porté que sur les relations spatiales entre objets distincts. De plus, Humphreys et Riddoch (1994) ont montré que le traitement des relations spatiales entre objets était distinct du traitement des relations spatiales entre les parties d'un objet et que des déficits sélectifs pouvaient être observés. Ainsi, il nous semble nécessaire de réaliser de nouvelles expériences permettant de mieux comprendre comment les deux distinctions (représentations spatiales catégorielles et coordonnées et représentations spatiales entre parties d’un objet et entre objets distincts) peuvent s’articuler. Par ailleurs, pour Humphreys et Riddoch (1994, 1995) les représentations spatiales entre les parties d’un objet seraient cruciales pour la reconnaissance, alors que les représentations entre objets seraient plus importantes pour l’action. De son côté, Kosslyn (1987, 1994) considère que les représentations de relations spatiales catégorielles sont particulièrement importante pour la reconnaissance et que les représentations de relations spatiales coordonnées sont particulièrement importante pour l'action. Or, la plupart des études réalisées pour étudier la distinction de Kosslyn (1987) ou celle d'Humphreys et Riddoch (1994, 1995) ont porté sur la mesure de réponses perceptives et non pas sur la mesure de l’action.Il est par conséquent nécessaire, aussi, de réaliser des expériences permettant d'étudier les relations entre chaque forme de codage et la reconnaissance et l’action. Nos prochains travaux auront donc pour objectif de répondre à ces différentes questions.