INTRODUCTION GÉNÉRALE

Qui n’a jamais éprouvé le sentiment d’être perdu dans une ville étrangère en recherchant une adresse ? Face à cette difficulté, que l’on soit à pied ou en voiture, la première opération consiste à rechercher des informations à partir d’un plan ou à en obtenir auprès d’un passant. La seconde est de suivre les indications recueillies. Or, il arrive fréquemment que celles-ci ne soient pas suffisantes pour trouver son chemin. Ces instants déconcertants traduisent la complexité d’un processus indispensable  à l’orientation, la construction des représentations spatiales. Grâce à ces dernières, nous pouvons anticiper, planifier notre déplacement, déterminer la direction à prendre, identifier ou reconnaître un endroit ; puis, lorsque l’environnement devient familier, nous pouvons nous adapter à d’éventuelles modifications d’itinéraire. Les connaissances spatiales participent à toutes les tâches liées à l’orientation spatiale. Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons plus particulièrement aux informations nécessaires au déplacement réel dans un environnement non familier. L’espace urbain, et celui rattaché aux transports (stations de métro et de train), constituent l’espace expérimental, autant dire un espace à grande échelle et complexe.

Le travail présenté dans cette thèse trouve son origine dans la conjonction de deux axes de recherche. D’une part, cette thèse s’inscrit dans la continuité des études en ergonomie appliquée au transport telle qu’elle est pratiquée à l’INRETS-LESCOT, et plus précisément sur l’interface Homme-système d’information. D’autre part, elle s’inspire des études réalisées en psychologie cognitive sur la question de l’acquisition et l’utilisation des représentations spatiales en situation réelle de déplacement. Notre travail a pour intention d’explorer les processus mis en œuvre dans l’orientation spatiale, activité de la vie quotidienne qui régit nos déplacements dans n’importe quel contexte environnemental (urbain, naturel, artificiel, réduit...).

S’orienter est une activité complexe qui fait appel à tous les composants de l’architecture cognitive mais également conatifs, sociaux et culturels. Etudier cette activité en laboratoire nécessiterait de n’approfondir qu’un champ conceptuel et d’en exclure les autres influences telles que la réalité de l’environnement urbain. Notre conception de l’étude de l’orientation spatiale se rallie à celle de LEVY-LEBOYER à propos des études sur la perception visuelle : ‘ « Lorsqu’on étudie la perception des objets au laboratoire, c’est dans une perspective de recherche fondamentale du développement de nos connaissances. Alors que la psychologie de l’environnement s’est développée à la faveur des problèmes concrets posés par les utilisateurs. » (1980, p.56) ’. Les études en situation réelle ne peuvent être strictementet parfaitement maîtrisées, mais elles offrent, en revanche, des résultats et des analyses riches et « authentiques ». En re-créant l’atmosphère d’une tâche de la vie quotidienne, le recherche appliquée préserve la diversité et la complexité de la situation mais également la part d’inattendu et d’imprévisibilité.

Notre intérêt pour la psychologie cognitive s’inscrit délibérément dans une recherche appliquée et écologique en vue d’une amélioration et d’une optimisation des moyens d’aide à l’orientation spatiale. Cette intention se traduit par la meilleure connaissance possible de l’utilisateur et de son activité afin d’offrir un outil parfaitement adapté aux besoins réels de l’utilisateur.

Pour cela, en plus de l’analyse cognitive, cette recherche s’inspire des théories, méthodes et résultats appartenant à des champs disciplinaires transversaux comme la géographie (LYNCH, 1969), l’architecture-urbanisme (PASSINI, 1991), les neurosciences (THINUS-BLANC, 1996), l’ergonomie (PAUZIE, 1997) et ceux qui sont à l’intersection des sciences cognitives (GRYL, 1995).

Dans la littérature de la cognition spatiale, il apparaît que le point de repère (angl. « landmarks ») est un élément qui structure la représentation et qui reste fondamental pour les nouveaux arrivants (GARLING ET EVANS, 1991). Ainsi, l’information proposée dans cette étude se base sur l’association repère-action par analogie au système simple de l’orientation proposé par THINUS-BLANC (1996).

Réduire les problèmes d’orientation dans les transports s'inscrit bien dans les problématiques actuelles aussi bien du côté de la conduite automobile, avec l’introduction des systèmes de guidage et de navigation embarqués, que du côté des transports collectifs, avec l’extension des espaces multimodaux et le déploiement des trajets intermodaux.

Au volant de sa voiture, l'automobiliste d'aujourd'hui peut désormais suivre les indications d'un système de guidage du type CARMINAT de RENAULT. Les systèmes d’aide à la navigation et de guidage conçus jusqu’à ce jour revêtent différentes formes de présentation et différentes natures d’information car aucune ne semble complètement satisfaisante. De plus en raison des contraintes de la situation de conduite, les indications que fournit le système doivent être judicieusement choisies : Quels sont les éléments de l’environnement à mentionner ? Quelle est leur utilisation ? Quand faut-il les introduire ? Comment faut-il les exprimer ?… Par exemple, certaines situations ne sont pas toujours aussi simples qu'un croisement de deux voix et elles deviennent alors difficiles à symboliser. Par ailleurs, les repères représentés par pictogramme peuvent aider à la décision dans une intersection complexe, faut-il encore qu'un repère physique saillant existe dans le carrefour.

Actuellement, les espaces rattachés au monde du transport collectif ? Tels que les stations de métro, les gares, les terminaux et plus particulièrement les complexes multimodaux sont appelés des pôles ou complexes d’échanges, dans le langage des concepteurs et gestionnaires de ces espaces. L’aménagement de ces lieux n’est pas toujours propice au bon déroulement de la tâche d’orientation.

Dans un grand complexe d’échanges tel que la Défense à Paris ou la gare de la Part-Dieu à Lyon (pour ne prendre que des exemples français), le déplacement piétonnier de l'utilisateur en quête d'un moyen de transport est souvent et malencontreusement interrompu par la recherche de l’information ou alors par la nécessité de trouver un service quelconque à l’intérieur du site. À la descente du véhicule, le voyageur se guidera au hasard jusqu’au moment où il trouvera l’indication opportune qui le mènera au but souhaité. Ainsi, les différents obstacles rencontrés peuvent provenir de l’absence, l’insuffisance ou encore l’incohérence des indications.

La plus grande difficulté pour l’utilisateur des transports collectifs concerne l’inter-transport qui correspond à une séquence de mobilité piétonne dans un schéma plus large de déplacement.

S’intéresser à cette séquence d’action isolée est loin d’être marginal, car veiller à la qualité de l’information, c’est indirectement veiller à la qualité des transports en guidant correctement les utilisateurs. Les autorités organisatrices ont déjà compris que « l’information, c’est ce qui réduit l’incertitude ». En effet, perdre du temps à chercher une information c’est prendre le risque de rater son bus ou plus ennuyeux, son avion ou son train. Les services liés à l’information se développent grâce aux nouvelles technologies (l’Informatique : systèmes de guidage, bornes interactives, Pagers, Internet…) dans un souci d’amélioration et d’optimisation de l’intermodalité. Cette fin de siècle connaît une frénésie du désir de communiquer et donc d’informer. Nous chercherons ici à répondre à la question « Comment ? », avec en filigrane la prise en compte de l’évolution des transports vers la multimodalité.

La multimodalité, mouvement, particulièrement caractéristique de notre époque, est définit par F. BEAUCIRE, président du GENTUM, comme « l’utilisation combinée ou alternée des transports collectifs et/ou individuels  Le phénomène est ancien, mais depuis la seconde moitié des années quatre-vingt, il a pris un réel sens politique et socio-économique, car ces mots nouveaux ne désignent pas ‘ « tant des technologies nouvelles, c’est-à-dire des matériels ou des systèmes techniques appliqués au transport, que des modes d’organisation de la mobilité. Ils font référence à des façons de concevoir un service et non à des produits... C’est la famille des inter : intermodalité... » (BEAUCIRE)

Le terme d’intermodalité se différencie par rapport à celui de multimodalité par le fait que le changement de moyen de transport s’effectue au cours d’un même déplacement. Aujourd’hui, le grand changement est que cette intermodalité n’est plus un choix fait par le citadin mais une obligation voire une contrainte.

L’évolution de la pratique des transports se résume à une utilisation plus large de tous les moyens de transport. Les raisons de cette évolution sont de nature écologique et économique et font suite à de tristes constats concernant la pollution de l’air, la saturation des axes et la difficulté de stationnement en zone urbaine. De ces constats est née la volonté de partager les infrastructures entre l’automobile et les transports en commun, urbains et périurbains, et ceci à travers des textes législatifs tels que la LOTI (Loi d’Orientation des transports Intérieurs) et les PDU (Plan de Déplacement Urbain).

Face à ces changements, notre "citadin intermodal" se voit offrir de nouveaux services en terme d’information par le biais de nouvelles possibilités technologiques. Toutes ces informations se recouvrent sous l’appellation récente « d’information multimodale » qui représente la somme de celles monomodales et intermodales à destination des voyageurs, c'est-à-dire l’ensemble des données relatives à l’offre des différents modes de transport ainsi que le changement de mode. L’information peut concerner tout ou partie des transports (y compris le stationnement) interurbains, régionaux, nationaux et internationaux. Toutes ces informations sont données par les systèmes télématiques que sont le Minitel, Audiotel, Internet, le téléaffichage, les panneaux à messages variables ou encore les écrans-vidéos et les bornes interactives.

A titre expérimental, nous proposerons dans cette recherche la validation d’une information analogique à l’environnement, par l’introduction de la photographie dans les différents systèmes et moyens d’information pour automobilistes et piétons. Nous comparerons l’efficacité de cette information figurative par rapport à d’autres modes de présentation déjà existants.

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Le document présent se compose de quatre parties dont nous allons exposer brièvement le contenu.

Dans la première partie de ce travail, nous présentons l’architecture cognitive impliquée dans le traitement de l’information spatiale sans aucune intention, dans le cadre de cette thèse, de modélisation. Cette recherche peut être considérée comme un point de départ de la capitalisation des connaissances spatiales.

Pour commencer, nous aborderons la question de l’orientation spatiale par une interrogation entre les aspects instinctifs et cognitifs du comportement humain en s'appuyant sur une comparaison avec le comportement spatial des animaux. Puis, nous continuerons sur les concepts centraux de la psychologie cognitive : Mémoire et représentation. Nous consacrons une large part aux représentations analogiques, autrement appelées (les) images mentales. Ce second chapitre met en parallèle la familiarité des lieux et les processus de traitement et d’organisation de l’information spatiale en reprenant et en approfondissant le concept de « Cartes Cognitives ». Le cadre du troisième chapitre concerne l’environnement peu ou pas familier et permet d'aborder les concepts de planification et de résolution du problème spatial. Nous proposons alors une analyse des avantages et des limites des différents supports informationnels que sont les plans, les descriptions d’itinéraire et le contenu des systèmes de guidage embarqués dans les véhicules (type CARMINAT).

La synthèse des différents chapitres de cette première partie nous permet de mettre en place des hypothèses en faveur d’une représentation graphique analogique en tant qu’aide au guidage et à la mémorisation de trajet. Ces hypothèses sont centrées sur les avantages de l’image dans la reconnaissance des éléments environnementaux dénommés points de repère, qui de ce fait, facilite la prise de décision sur la direction à prendre. Nous avons baptisé ce nouveau moyen d’information le Photoguide 1 .

Les parties 2 et 3 présentent les méthodes, résultats et discussions  des deux expérimentations intitulées respectivement « Orient » (étude en situation de conduite) et « Lisboa » (étude dans les transports collectifs de Lisbonne).

Au terme de cette recherche, nous concluons que la photographie ne présente pas une fonction informative équivalente selon le mode de déplacement (voiture ou transport collectif), selon le contexte (souterrain ou urbain) et selon la complexité de la situation Globalement, les résultats sont plus encourageants pour les informations destinées aux piétons et/ou utilisateurs des transports collectifs que pour celles destinées aux automobilistes.

C’est dans la dernière partie que nous exposons les développements envisagés du Photoguide afin de l’introduire dans une base de données transport et permettre sa consultation par Internet. Cette base de même nature que celles déjà constituées apporterait en supplément, des informations sur les cheminements piétonniers grâce à un langage mixte composé d'images et de texte.

Notes
1.

Cette appellation n’apparaît pas dans les parties expérimentales car nous avons préféré donner des noms différents, propres à chaque expérimentation, en utilisant le qualificatif « Figuratif » pour le différencier du Symbolique (dans le premier protocole) et des supports Texte et Plan (dans le second).