2-2-4-1 « L’image mentale » : Que représente-elle?

L’image mentale se définit comme une représentation symbolique qui permet aux individus de traiter cognitivement des objets momentanément, voire définitivement, absents de leur champ perceptif. L’image est une représentation dont la structure interne entretient une relation de similitude figurative avec celle des objets qu’elle représente.

Le caractère analogique de l’image (par contraste avec le caractère abstrait des éléments linguistiques) fournit donc à l’individu la possibilité de réactiver mentalement, par image, des éléments avec les mêmes propriétés qu’une scène ou un objet visuellement perçu. Dans cette recherche, nous nous intéresserons plus particulièrement aux images liées à la perception visuelle bien que les autres sources de perception telles que l’audition, l’olfaction, la kinesthésie fournissent également des représentations analogiques. D’ailleurs, il n’est pas exclu que toutes ces modalités sensorielles puissent se combiner pour former une seule image mentale ! Dans la littérature, comme dans la vie courante, il est admis que les productions figuratives du cerveau se distinguent, par leur nature et par leur circonstance de production, en trois principales catégories : « images consécutives », « images de mémoire» et « images d’imagination » (DENIS, 1989) ou autrement appelées, de façon respective, « images perceptives », « images de rappel » et « images de créativité » (DAMASIO, 1994)

Les « images perceptives ou consécutives » sont dans l’immédiateté de la perception des informations. Elles correspondent à la persistance momentanée d’un état sensoriel induit par un stimulus intense, même très bref.

Les « images de rappel ou de mémoire » se forment lors de l’évocation des idées ou d’objets du passé. En d’autres termes, elles sont indépendantes d’un phénomène perceptif récent. La définition de VINACKE (1952, dans DENIS, 1989, p.59) correspond assez bien à l’idée que nous nous faisons de ces images, à savoir ‘ « elles constituent le rappel sous une forme plus ou moins fidèle, d’une expérience ou d’une sensation antérieure. De telles images sont caractérisées par un sentiment de familiarité ou de reconnaissance de l’événement passé. Elles sont moins riches et moins nettes en détails que la sensation originale. »

Cependant, les qualités de l’image ne s’arrêtent pas à la simple reproduction de la réalité perceptive, car elles ont la capacité de transformation et d’invention à partir, malgré tout, d’un existant perceptif. Il s’agit des « images de créativité ou d’imagination» 8 Ces images sont capables de créer des "tableaux visuels" internes totalement inédits, par combinaison d’unités élémentaires dans des arrangements nouveaux et elles nous permettent, entre autre chose, d’élaborer des pensées constructives et dirigées. Les plus grands peintres ainsi que les plus grands esprits scientifiques, comme Albert Einstein 9 ne doutait pas de la nature de ses processus de pensée, il disait : ‘ « Les mots ou le langage, sous la forme orale ou écrite, ne semblent jouer aucun rôle dans le mécanisme de mes pensées. Les entités psychologiques qui semblent servir d’éléments, dans ce cadre, ont la forme de certains signes et d’images plus ou moins claires, qui peuvent être « volontairement » combinés ou reproduits. Il est, bien-sûr, un certain rapport entre ces éléments et les concepts logiques pertinents... (plus loin dans le texte) Les éléments mentionnés ci-dessus sont, en ce qui me concerne, de nature visuelle et musculaire. Ce n’est que dans un second temps, après que le jeu d’association mentionné ci-dessus est suffisamment bien établi et peut-être reproduit à volonté, que prend place la recherche laborieuse des mots ou autres signes conventionnels. »

Comme le soulignent VINACKE (1952) et DAMASIO (1994), elles sont le fruit d’une combinaison de plusieurs expériences antérieures. Elles apparaissent sous une forme originale et souvent inhabituelle, comme elles peuvent l’être lors des activités oniriques des individus.

Nous n’avons dressé, ici, qu’un profil sommaire de ces catégories car chacune d’elles contient des nuances fonctionnelles, entraînant des images mentales particulières. Celles-ci sont par ailleurs, variables selon les auteurs. A ce propos, la récente conception de KOSSLYN (préface de COURBOIS, 1997) distingue l'image en fonction de sa nature selon la théorie du calepin visuo-spatial. En effet, une "image spatiale" se différencie d'une "image figurale" dans le sens où elle survient principalement pour activer des relations spatiales stockées en MLT (ex: "se souvenir de la séquence de changements de direction à effectuer tout au long d'un trajet particulier met en jeu l'imagerie spatiale") alors que la seconde s'intéresse à la forme des objets. Cette dernière repose sur l'activation des représentations de forme et de leurs propriétés. Quand la résolution des caractéristiques devient relativement élevée, elle prend le nom "d'image dépictive".

En définitive, l’« image » mentale c’est la représentation interne de l’objet, mais pas seulement dans le sens d’une reproduction ou le simple prolongement de l’activité perceptive mais dans le sens d’une production mentale, d’une interprétation ou d’une ‘ « tentative de reproduction de figures réellement perçues qui reste approximative en fonction des circonstances dans lesquelles la configuration originale a été apprise ou est rappelée à la mémoire » (DAMASIO, p.138)

Notes
8.

Illustration : En fermant les yeux, l’espace d’un instant, histoire de mieux visualiser votre image interne. Pour commencer, imaginez une plage avec un palmier ; vous êtes sur une chaise longue et vous regardez la mer. Maintenez cette image, et à présent imaginez qu’un « esquimau », avec une énorme fourrure autour du visage passe devant - vous... Vous pourrez maintenir cette image seulement quelques millisecondes, elle est instable mais vous aurez eu le temps de visualiser cette rencontre imaginaire : si vous avez pu faire défiler ce scénario sur votre écran interne, vous avez alors activé des images mentales. Par ailleurs, vous avez pu vous rendre compte de différents aspects de l’image : elle est riche d’informations sans être complètement parfaite. L’image que vous avez créée est une interprétation des mots que vous avez entendus, vous les avez associés à des éléments réels que vous connaissez. Les processus activés dans l’imagerie ont produit une image dont vous êtes le seul bénéficiaire. Cette image fugace n’a pas les propriétés de la scène réelle, elle ne lui est pas complètement similaire, mais elle facilite la communication, c’est une aide à la compréhension.

9.

A. Einstein, cité dans J. Hadamard (1945), The psychology of inventions in the mathematical field, Princeton (NJ), Princeton University Press, in Damasio A.R. (1994) L’erreur de Descartes : la raison des émotions, (Eds.) Odile Jacob, p.145