2-2-4-2 Perception et imagerie

Aujourd’hui, les représentations imagées ne sont définitivement plus considérées comme des entités à caractère figuratif stockées de manière permanente dans la mémoire à long terme de l’individu, construites par des processus spécifiques. Le caractère constructif de l’imagerie mentale constituait déjà un aspect essentiel de la théorie de PIAGET et INHELDER (1966), puisque que l’image ne copie pas fidèlement l’objet lui-même mais plutôt les « accommodations » propres à l’action qui portent sur l’objet. Puis, des travaux ultérieurs ont pu démontrer que les représentations pouvaient subir certaines transformations, principalement lorsque la représentation possède une ressemblance marquée avec l’objet physique, de là est née une conception plus dynamique (SHEPARD et METZLER, 1971 ; COOPER et SCHEPARD, 1973).

Les premières études sur la rotation mentale consistaient en la présentation de paires de figures dans des orientations différentes. Les sujets devaient décider le plus rapidement possible si les figures étaient superposables par une rotation quelconque (cela revient à déterminer si les figures sont semblables ou non, indépendamment de leur orientation). SHEPARD et METZLER ont trouvé que plus l’angle de la rotation nécessaire pour faire coïncider les deux figures était grand, plus le temps de réponse des sujets augmentait. Leurs travaux démontrent une conservation des processus rotatifs par la même durée. Une particularité de l’imagerie : elle est capable de manipuler des objets bidimensionnels et tridimensionnels (FINKE et PINKER, 1982, 1983). Par ailleurs, COOPER et SCHEPARD avancent l'idée que la rotation mentale passerait par des états intermédiaires qui correspondraient aux positions successives de l'objet au cours d'une rotation physique. Plus récemment, MAILLES (1991, citée dans MAILLES, 1996) a constaté, dans ce type de tâche, une différence de performance chez des sujets, selon une perception préalable de l’objet en mouvement ou statique. L'auteur découvre que le format de l'image diffère donc selon la condition d'apprentissage ; elle constate une meilleure performance des sujets lorsque ceux-ci doivent "inventer" le mouvement de l'objet car, dans l'autre condition (où l'objet est en mouvement), les sujets perdent beaucoup de temps à reproduire mentalement les propriétés réelles de l'objet. Ainsi, il semblerait "qu'une meilleure performance soit liée à la "personnalisation", (ou fonctionnalité du mouvement appliqué à l'objet) et donc à la schématisation qu'il fait de l'objet" (MAILLES, 1996, p. 55)

Des études développementales se sont attachées à comparer les performances chez l’adulte et chez l’enfant (BIALISTOK et JENKIN, 1997). Ils démontrent que ‘ «les enfants s’engagent dans les mêmes processus de représentation que ceux engagés par les adultes pour effectuer ces rotations... Mais les adultes bénéficient d’un système plus large, d’une plus grande expérience du calcul et de ressources plus importantes en raccourcis heuristiques, ce qui leur donne la possibilité de résoudre des problèmes plus difficiles que les enfants. »

KOSSLYN (1980) affirme, sur la base des résultats du test classique de l’île imaginaire 10 , que les fonctions et les mécanismes impliqués dans l’imagerie sont les mêmes que ceux de la perception visuelle, en précisant que les buts évidents de la vision sont de reconnaître les objets et leurs différentes parties. De la même façon, les images mentales permettent selon lui de reconnaître ou d’identifier certaines caractéristiques des objets en rendant explicite l’information implicitement contenue dans le code mnémotechnique de ces objets. Au moment de la description d’un animal, par exemple, à un interlocuteur, une image mentale sera créée ce qui permettra le rappel de la forme de ses oreilles et autres détails. Grâce à cette représentation, la description verbale pourra se réaliser et s’enrichir. Pour cet auteur, la formation d’images mentales implique deux structures : une mémoire qui se réfère à la signification des objets et des événements (représentations propositionnelles) et une mémoire visuelle à très court terme (Buffer visuel). Ce buffer est comparé à un écran d’ordinateur qui génère une image à partir de la représentation symbolique qui se trouve en mémoire dans l’ordinateur (voir théorie de KOSSLYN, 2-2-3-2).

Il existe de réels opposants à la théorie de l’image, PYLYSHYN (1973) est celui qui a le plus vigoureusement critiqué la notion d’imagerie. Il reproche notamment au modèle de Kosslyn d’être descriptif et non pas explicatif de l’activité d’imagerie, bien qu’il ne nie pas le phénomène psychologique puisque consciemment accessible. Il avance que les structures mentales abstraites seraient de nature conceptuelle plutôt que sensorielle et perceptive. En d’autres termes, un seul système de mémoire, où tous les objets sont décrits verbalement, permettrait d'expliquer le fonctionnement de l’individu tant pour le traitement des images mentales que pour celui des concepts plus abstraits. Pour les propositionnalistes, l’image mentale est finalement considérée comme un épiphénomène.

Selon, la thèse imagiste, l’image est un produit conscient, elle est créée instantanément sur demande et les objets qui nous viennent à l’esprit ressemblent approximativement à ce que nous avons ressenti 11 antérieurement. Il s’agit là d’une reproduction d’un événement perceptif précis, localisé dans le temps et dans l’espace. Il existe également des images dépourvues de référence à un contexte événementiel contenant des évocations plus schématiques.

Quoiqu’il en soit, lorsque ces images sont manipulées, elles le sont systématiquement à un niveau conscient où les caractéristiques visuelles et/ou spatiales de l’objet sont particulièrement importantes. L’activité d’imagerie est associée à la mémoire de travail, instance cognitive proposant un écran interne permettant de « voir » l’image. PYLYSCHYN n’est pas favorable à l’idée qu’une représentation imagée puisse être définie comme une ‘ « construction hypothètique explicative de la vie mentale ». (cité dans DENIS ET DUBOIS, 1990, p.543).

Finalement, l'ensemble des études qui comparent les activités perceptives et d'imagerie ont démontré le lien tant fonctionnel que structural qui existe entre les deux. De surcroît, ces résultats sont renforcés par les découvertes en neurosciences 12 sur le fait que les images mentales activent les mêmes régions cérébrales (lobe occipital) que celles activées par la perception. (cf. : Les ouvrages de DAMASIO (1994) et de BIDEAUD et BOURBOIS (1998)).

Notes
10.

La carte imaginaire contient sept éléments réels (hutte, arbre, lac,…) disposés de façon à ce que toutes les distances entre tous les objets, pris deux à deux, soient différentes. les sujets doivent apprendre la carte pour être capable ensuite de re-situer les éléments dans la carte qu'ils ont mémorisée. A partir d'un élément, ils doivent explorer mentalement la carte vers un autre demandé par l'expérimentateur. KOSSLYN trouve alors que le temps d'exploration d'un point à un autre est une fonction linéaire de la distance entre ces deux points.

11.

Nous employons volontairement le terme générique « ressentir » en référence à toutes les activités sensorielles facteur de l’imagerie.

12.

Pour détail : les expérimentations en neurosciences utilisent la T.E.P. - Tomographie par Emissions de Positons - car elles permettent de vérifier les régions cérébrales engagées dans certaines activités cognitives. Les recherches conjointes de DENIS et KOSSLYN avec la collaboration d’autres groupes intéressés par ces questions permettent d’obtenir grâce à la T.E.P. « des données originales sur les régions cérébrales impliquées dans la représentation mentale de scènes visuelles,... et notamment la mise en activités d’un réseau occipito-pariéto-frontal dans les activités d’imagerie à partir d’entrées uniquement verbales » Le débat actuel est de savoir si l’aire visuelle primaire activée pendant la perception l’est également pendant l’imagerie. Jusqu’à présent, les études avec la T.E.P n’ont pas permis de le vérifier.