2-2-4-6 L’imagerie appréhendée autrement avec le « modèle mental  13 »

Introduite en psychologie cognitive dans les années 80, la notion de « modèle mental » (JOHNSON LAIRD, 1983) a permis d’aborder de manière nouvelle l’étude des représentations, et donc de l’imagerie dans le cas de la compréhension du langage. L’image mentale peut être considérée comme un outil privilégié de la spécification des modèles mentaux lorsque ces derniers incluent des données figurales (DENIS et DE VEGA, 1993). C’est particulièrement le cas des textes à configuration spatiale qui ont pour caractéristique d’évoquer des objets liés entre eux par des relations de nature spatiale. Dans le modèle mental spatial tel qu’il est défini par TVERSKY (1991), l’image mentale pourrait servir à visualiser une configuration d’un point de vue particulier, c’est-à-dire à le spécifier de façon plus abstraite. Le modèle d’après TVERSKY se caractérise par un certain degré de généralité, c’est une sorte de description structurale et schématique, similaire au format tridimensionnel et qui rend compte des relations spatiales entre les différentes parties de la scène décrite alors que l’image visuelle représente la scène selon un certain point de vue. Ainsi, flexibilité et abstraction qui caractérisent le modèle mental autorisent l’adoption de différents points de vue sur la configuration. RICHARD (1990) préfère parler de "représentations particularisées de situations" en raison de l'ambiguïté dans la littérature sur le terme de modèle mental qui fait soit référence aux connaissances soit aux représentations. Les représentations particularisées de situations sont des constructions en vue de la compréhension d'actions. De plus, en raison de la variabilité des situations, le modèle de compréhension va s'élaborer différemment en fonction de quatre caractéristiques. Il peut construire une représentation par particularisation d'un schéma (activation des connaissances en mémoire pour une situation spécifique). Deuxièmement, il peut utiliser des représentations conceptuelles, avec la mise en jeu d'inférences (le résultat est un réseau de relations). Troisièmement, le modèle est particularisé dans ses moindres détails (le résultat est une image de la situation, donc avec des composantes spatiales). Et, en dernier point, le modèle utilise des représentations analogiques

DENIS s'est inspiré de la conception du modèle mental dans ses travaux relatifs aux interactions de l’image et du langage dans la construction des représentations de configurations spatiales. Avec ses collaborateurs (DENIS et COCUDE, 1989 ; DENIS et DENHIERE, 1990 ; DENIS et ZIMMER, 1992), ils explorent les processus mis en œuvre dans la construction d’une représentation mentale d’un texte qui décrit les relations topologiques entre les objets de cette même configuration. L’hypothèse soutenue rappelle la théorie du double codage de PAIVIO mais dans une problématique spatiale. L’hypothèse stipule l’existence de deux systèmes de représentation parallèles : l’un propositionnel permet d’élaborer la base du texte ; l’autre analogique, fournit un « modèle » de l’objet décrit par le texte (troisième caractéristique dans la conception de RICHARD). Le rôle de l’image dans l’élaboration du concept spatial est supposé permettre, grâce aux propriétés spécifiques de cette forme de représentation, un degré élevé d’intégration et d’organisation interne.

Dans la mesure où l’image contribue à la modélisation mentale,DENIS et DE VEGA (1993) lui attribuent deux rôles possibles.Tout d’abord, elle est la« matière première » du modèle mental. "Elle permet aussi d'instancier le modèle selon un point de vue particulier et sous une forme figurative, lorsqu’il (le modèle mental) a perdu la trace du substrat sensoriel originel et qu’il se stabilise sous une forme relativement abstraite" (p.116, cité dans GALLINA, 1998). En bref, l’imagerie donne une existence figurale au modèle sous forme d’un « tableau visuel » qui constitue un point de vue spécifique de l’espace (au sens propre du terme). Ce point de vue est équivalent, sur le plan cognitif à un point de vue réel. Le sujet peut, dès lors effectuer des comparaisons, estimer des distances, produire des inférences à partir d’un espace de représentation spécifiée.

GALLINA (1998) rapproche la notion de modèle mental, telle qu’elle est perçue par DENIS et TVERSKY, de celle de la Carte Cognitive puisqu’elle permet d'organiser l’espace et d’effectuer des opérations dans celui-ci.

Cette conception, en définitive, laisse l'intéressé s'imaginer la scène, l'objet ou l'événement en fonction de ses propres connaissances catégorisées, c'est-à-dire il va activer une connaissance soit spécifique soit schématique/générique. L'idée est donc de préparer le sujet à discriminer l'objet en question, ou en quelque sorte à formater l'esprit pour guider son attention vers cet objet dans un souci d'optimisation de la perception. DENIS (1989) n'est pas favorable à la proposition d'une représentation figurative, hautement analogique, dans une tâche de mémorisation car selon lui cette image réelle entre en compétition avec l'image mentale. L'analyse de MAILLES (1996) va également dans ce sens puisqu'elle constate que si les figures peuvent aider les sujets dans la formation de la représentation visuelle d'un problème, l'image mentale qui en découle est plus rigide que celle inhérente à une activité de visualisation mentale.

Notes
13.

(MAILLE, 1995, p-p 42-49) Voir discussion sur les modèles mentaux entre la conception ergonomique de Gentner et Stevens, et celle psychologique de Jonhson-Laird où l'auteur fait le parallèle entre ces deux points de vue entre les connaissances déclaratives et les connaissances procédurales.