2-2-4-7 En conclusion : les fonctions du processus d’imagerie

L’imagerie est bénéfique à l’être humain dans différentes activités cognitives. D’une part, elle aide à la mémorisation c'est-à-dire qu’elle lui permet de traiter des situations ou des objets qui ne sont pas directement accessibles aux différentes modalités sensorielles. Non seulement, l’individu peut activer une image de l’objet dans un format bidimensionnel ou tridimensionnel mais il a la possibilité de lui faire subir un certain nombre de transformations. Une fois l’objet en mémoire de travail, l’intéressé peut le décrire, l’explorer ou encore le comparer à un autre. Il peut également anticiper les aspects figuratifs d’une situation. De plus, la mise en œuvre de l’imagerie à propos d’une information à mémoriser élève considérablement la probabilité de sa récupération. L’effet positif des images sur l’apprentissage est connu depuis la Grèce antique par cette anecdote significative relatée par Cicéron : Simonide, assistant à un banquet, fut appelé à l’extérieur de la maison. Pendant son absence, le toit de la maison s’écroula faisant périr tous les hôtes sans qu’il soit possible de les identifier. C’est en reconstruisant une image visuelle du banquet que Simonide put se souvenir des invités présents. Il tira de cette expérience une méthode mnémotechnique basée sur le lien entre les éléments à mémoriser et leur emplacement (méthode des « Loci »).

La deuxième caractéristique fonctionnelle de l’imagerie se rattache à la compréhension d’énoncés verbaux, car elle offre une occasion de « visualiser » mentalement une situation dont les composants peuvent être « imageables ». Pour cette raison, elle est très étudiée et exploitée dans les recherches sur les descriptions d’itinéraires (DENIS et COCUDE, 1989 et 1992 ; DENIS ET DENHIERE, 1990 ; DENIS et ZIMMER, 1992)

Nous allons maintenant aborder un troisième aspect de l’imagerie qui nous intéresse tout particulièrement puisqu’il s’agit du rôle de l’image mentale dans la résolution d’un problème spatial. Sa flexibilité est certainement sa caractéristique la plus utile pour l’individu lorsqu’il est amené à résoudre un problème (de nature physique) posé par l’environnement du travail ou, de façon générale, dans les activités de la vie quotidienne. Cependant, dès lors que les problèmes impliquent une planification des actions comme dans les déplacements de l’individu dans l’espace physique (PAILHOUS, 1970), l’image prend alors un statut un peu particulier car «elle ne peut plus être ici considérée pour sa fonction d’évocation figurative mais sa valeur d’instrument cognitif à vocation opératoire » (DENIS, 1982, p.23). Elle prend de fait le nom « d’image opérative ou opératoire» apporté par OCHANINE (1969, 1978). Selon cette conception, les connaissances sur le monde n’ont pas besoin d’être fidèles mais seulement cohérentes avec la réalité afin de guider l’action dans l’environnement réel. On parle alors de « représentations pour l’action » (cf. WEILL-FASSINA et al., 1993) qui sont riches d’un ensemble, voire d’un réseaux, de connaissances de différentes natures (croyances, savoir, savoir-faire, sensations imprégnées de l’histoire et des expériences du sujet). Sur cette base, elles peuvent assurer le guidage et l’organisation de l’action en vue de l’adaptation de la conduite à son but.

Les représentations pour l’action se rapprochent manifestement du concept de « modèle mental », d’après WEILL-FASSINA, dans la mesure où ils renvoient à des procédures mémorisées. Toutefois, le modèle mental en question ici, ne fait pas référence à celui de JONHSON-LAIRD mais plutôt à celui de GENTNER et STEVENS (cité dans MAILLES, 1996). En effet, la terminologie est source d’ambiguïté puisqu’une même acception est admise dans deux courants différents : l’un en psychologie (celui de JONHSON-LAIRD) et l’autre en ergonomie (celui de GENTNER et STEVENS). C’est à MAILLES (ibid.) que nous devons cette distinction : ‘ « En effet, pour les ergonomes, la description des modèles mentaux est un moyen de conceptualiser la façon dont les sujets comprennent l’outil de travail dans le but de l’utiliser) » ’ alors que pour les psychologues ‘ « le modèle mental est étudié en tant que construction cognitive ;… lors de la compréhension, la nature des relations entre les entités qui forment le modèle varie, ce qui induit plusieurs types d’inférences. » (p.43) ’. En d’autres termes, le premier est équivalent à un « modèle fonctionnel » orienté vers un objet à utiliser. Ce modèle ne peut se construire que lorsqu’il existe une interaction entre un opérateur et un dispositif.

Tandis que le second, « modèle structural », met en commun tous les éléments de l’environnement, c'est-à-dire des caractéristiques des objets au contexte. Il existe une forme d’analogie structurale avec l’environnement. Il facilite la compréhension des textes.

Lorsque ces derniers contiennent des données spatiales, ces modèles deviennent des représentations d’environnement multidimensionnels non comparables à de simples représentations figuratives par un texte (TVERSKY, 1991). Le lecteur prend du recul par rapport au texte en adoptant une représentation schématique, comme un film interne virtuel, qui rend compte de différentes relations spatiales entre les objets. Ces représentations permettent l’exploration d’un espace connu et également de faire des prédictions et des inférences. Dans le modèle mental spatial, l’image mentale pourrait servir à « visualiser » une configuration d’un point de vue particulier, ce qui se rapprocherait des « vues locales » de THINUS-BLANC (1996).

En résumé, MAILLES préfère conserver les proriétés directrices et communes aux deux points-de-vues en soulignant qu’il s’agit avant tout de compréhension de la structure et de la fonction de ce qu’ils représentent. Elle n’hésite pas à comparer cette dyade à celle des connaissances déclaratives et procédurales (voir 2-2-2). Les premières s’inspirent et se construisent à partir de la perception et des connaissances que l’on a de son environnement alors que les connaissances procédurales mettent en pratique les premières dans un objectif d’action avec un dispositif.

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Nous concluons à propos des images mentales qu’il se distingue dans la littérature deux perspectives d’approche : une perspective spécifique et une globale. Tout d’abord, il existe une capacité d’imagerie proprement figurative tout au moins dans l’obédience de la perception, intégrée dans une conception plus générale de l’image. Cette dernière est confondue ou assimilée à la notion de « modèle mental ». Nous pouvons allègrement appliquer ces deux conceptions à l’activité de l’orientation spatiale. En effet, considérée comme une activité de résolution d’un problème spatial (PASSINI, 1984), l’orientation intègre l’idée d’une construction dans un objectif de la compréhension d’un problème spatial ou d’un ensemble d’actions à accomplir et à partir de l’environnement physique. Un modèle structural est mis en œuvre dans une situation familière ou semi-familière (lorsque le trajet est nouveau). L’individu va agir dans l’unique but d’atteindre une destination en activant un certain nombre de connaissances qu’il détient avant de passer à l’action. Il est possible que les images figuratives soient instanciées afin de particulariser des configurations visuelles et motrices (du type « tourner à droite après la pharmacie »). De cette manière, il construit son itinéraire mentalement tout en « visualisant », s’il le peut, des intersections ou des repères cruciaux de son parcours qui peuvent correspondre à des zones de prise de décision fondamentales de l’itinéraire.

Cependant, le cas est un peu différent si l’environnement est inconnu, situation qui mérite un peu plus d’attention puisqu’elle représente la situation « idéale » du fourvoiement des individus. En réalité, s’orienter peut être considéré comme une action très simple puisqu’elle consiste en l’application séquentielle du processus Stimulus-Réponse. Or, la difficulté provient de l’environnement plus exactement de la méconnaissance de celui-ci. Les individus en situation inconnue, possèdent, certes, des connaissances schématiques, catégorisées de l’espace urbain, mais non particularisées des zones qu’ils doivent aborder. Pour comprendre la situation, ils doivent anticiper en prélevant de l’information extérieure soit à partir de cartes physiques, soit à partir d’instructions verbales (cf. DENIS) soit encore à partir de la signalétique. Le schéma général de l’activité d’orientation, et donc de planification d’actions, s’inscrit dans une double mise en œuvre des modèles. Il dispose de connaissances sur l’action « chercher son chemin » pour cela il sait qu’il doit faire appel à des éléments extérieurs ; le choix des éléments va dépendre de sa propre expérience et également de sa métacognition. S’il a l’habitude de se déplacer, il peut prendre la solution de se guider uniquement sur son propre sens de l’orientation en utilisant la signalétique ou des informations sur la ville. Il peut aussi utiliser un plan, instrument qu’il maîtrise plus ou moins bien. Dans ce cas de figure, il active un modèle mental fonctionnel, extraire des informations de ce support pour pouvoir les appliquer dans l’environnement réel. D’autres solutions existent selon l’importance qu’il octroie à cette activité. A l’extrême, une personne angoissée peut demander à être accompagnée.

Ensuite, durant la lecture de ce support qu’il soit à base de mots (instructions) ou d’un schéma (carte), l’imagerie, cette fois figurative, va faciliter la description de l’objet ainsi que sa localisation puisque la formation d’images implique deux structures : la mémoire propositionnelle (référence à la signification des objets et des événements ) et la mémoire visuelle (référence aux aspects visuels).

On peut penser qu’un input visuel offert par une information figurative comme une photographie, par définition analogique, pourrait pallier l’imagerie. Elle pourrait faciliter la reconnaissance par une préparation perceptive de la situation !