2-3-2 La Carte Cognitive et ses limites

2-3-2-1 Analogie ou non avec une carte réelle?

Chez TOLMAN, la Carte Cognitive est construite comme une carte réelle avec des propriétés euclidiennes sous une forme parallèle à une carte physique géographique. Les humains (comme les animaux) construisent et améliorent leurs connaissances spatiales mentalement sous forme cartographique par répétition des expériences de déplacement dans leur environnement quotidien ou non.

Puis, dans les années 70, elle est considérée comme un outil mental permettant de comprendre et de connaître l’environnement (KAPLAN, 1973). Elle permet d’emmagasiner de l’information sur cet environnement ce qui est utile pour prendre des décisions. STEA et BLAUT (1973, p. 227) la décrivent comme une construction permettant à une personne « de prédire un environnement trop grand pour être perçu immédiatement, et d’établir une matrice de l’expérience environnementale dans laquelle une nouvelle expérience peut être intégrée » Cependant, cette carte ne se limite pas à un simple stockage de données spatiales sur les éléments et sur les relations entre ces éléments mais elle implique l’intégration d’images et des comportements en interaction avec l’environnement (SPENCER & BLADES, 1986). Quant à THINUS-BLANC (1966), elle considère que les Cartes Cognitives se constituent progressivement lors de nos déplacements. Ces cartes permettent de se «re-présenter» la topologie et ainsi de déterminer la direction à prendre, reconnaître un endroit, et, en dépit d’éventuels changements d’apparence ou de perspective, nous adapter à des modifications d’itinéraires. Elles donnent tout simplement la possibilité de s’orienter dans l’environnement.

Nous pourrions lister encore d’autres définitions de la Carte Mentale, mais ce qui semble ressortir c’est une tendance à démontrer une analogie fonctionnelle entre celle-ci et une carte papier ou un plan de ville.

Analogie ou antinomie entre les cartes mentales et les cartes réelles?

Si quelques uns préfèrent parler d’analogie entre la Carte Mentale et la carte réelle, (PAIVIO, 1973 ; BYRNE, 1979 ; KOSSLYN, 1980 ; DENIS, 1980 ; THORNDYKE, 1981.....) d’autres la réfutent totalement (PYLYSCHYN, 1973) ou partiellement (TVERSKY 1992, VIGNAUX, 1992). TVERSKY considère qu’une Carte Cognitive est «le préparatif cognitif qui est à l’origine du comportement» (angl. «the cognitive apparatus that underlies...behaviour» 1992 p.134) tandis que pour VIGNAUX la notion de carte renvoie à une représentation statique alors que le fonctionnement cérébral est nécessairement dynamique». Parmi ceux qui s’opposent radicalement à la conception analogique, PYLYSCHYN, dès 1973, argumente que toute connaissance quelle qu’elle soit est représentée de la même façon sous format propositionnel. Les représentations abstraites sont appelées «propositions» et expliquent davantage comment les choses sont et comment elles sont reliées. Les modèles propositionnels sont plus attachés à la façon dont sont traitées les images et moins à l’expérience de l’image.

Finalement, ce débat (voire l’existence d’une Carte Cognitive) renvoie à celui de l’existence des images mentales. (voir 2-2-3) En effet, la carte mentale étant associée à une représentation analogique ou imagée de l’environnement, les contestataires de la thèse imagiste ne pouvaient concevoir un stockage des données spatiales de cette manière.

D’après GÄRLING et EVANS (1991), il existe deux conjectures majeures : la première suggère que les images mentales sont comme des percepts, et non des images (au sens de «picture») c’est-à-dire qu’elles interprètent la connaissance mais qu’elles n’enregistrent pas les images perçues comme des « photographies d’instantanées ». Ainsi, l’information est cohérente et organisée en mémoire car c’est le résultat d’une grande quantité de traitement. KOSSLYN, BALL et REISER (1978) suggèrent alors (avec le test de l’île), que les cartes cognitives maintiennent les distances et les directions entre les lieux représentés, celles-ci étant équivalentes à celles du monde réel. Pour la seconde, prenons les exemples suivants : le mot «église» n’apporte rien sur la nature réelle d’une église, alors que le mot « gauche » donne une instruction spatiale. Par conséquent, notre connaissance générale est un mélange entre des codes analogiques et non analogiques.

GALLISTEL (1989, 1990) a formulé différemment le concept de représentation, pour lui il est question de «représentation d’un aspect de l’environnement, lorsqu’il existe un « isomorphisme fonctionnel » entre cet aspect de l’environnement et certains processus cérébraux qui permettent au sujet d’adapter son comportement... Les représentations, de son point de vue, impliquent dans le système nerveux des opérations qui anticipent des relations et prédisent les conséquences d’action. ‘ « La représentation n’est pas une simple substitution, elle implique des processus combinatoires et transformationnels qui vont générer un comportement adapté » (cité dans SOFFIE, LEBLANC et LAMBERTY, 1994, p.303)

La conception de GALLISTEL d’une représentation mentale sous forme de cartes cognitives confirme, tout au moins, soutient certaines propriétés telles que la plasticité, l’adaptabilité au changement, les résistances aux pertes d’information, la possibilité d’innovation mais également la planification des déplacements.

Bien que ces résultats concernent des études en neurologie sur les animaux (rats principalement), ils permettent d’accéder au fonctionnement du cerveau humain quand celui ci est impliqué dans des tâches spatiales. L’intérêt des expérimentations animales permet ‘ « d’aborder la mémoire spatiale à l’état pur » (THINUS-BLANC, 1992) ’ Les études sur la neurologie animale créent traditionnellement une situation expérimentale de locomotion réelle ou directe tandis que les études qui ont pour objet d’étude les cartes cognitives humaines, peuvent travailler à partir d’une connaissance indirecte de l’environnement c'est-à-dire les cartes papiers.

GÄRLING (1989) reprend la comparaison entre la carte mentale et la carte sur certains critères. Elles offrent toutes les deux la possibilité de faire des détours, suivre un itinéraire en sens inverse et rejoindre une nouvelle destination à partir de la précédente font référence à trois propriétés mathématiques (figure 2-5).

Les trois grands avantages d’une carte papier sont identiques à ceux de la « Carte Mentale » lorsque l’environnement est suffisamment bien représenté mentalement, donc la connaissance des lieux s’enrichit à la suite de multiples expériences dans cette zone.

GIRAUDO (1989) constate que certains sujets s’avèrent très exacts et surtout homogènes dans leurs estimations de sorte que la forme symbolisante présente un isomorphisme réel avec le contenu symbolisé.