2-3-2-2 Les limites de la Carte Cognitive : distorsions ou erreurs

Les Cartes Cognitives sont-elles exactes? C’est la question la plus immédiate! Etant donné qu’une des premières fonctions de la carte est d’assurer un traitement de l’impressionnante quantité d’informations spatiales auxquelles chacun de nous est confronté. Par nécessité, à cause des limites de notre charge mnésique, toute « Cartographie Mentale » (Cognitive Mapping) est sélective : il n’y a pas de correspondance point par point entre l’environnement spatial et sa représentation mentale. Les formes et les tailles sont déformées, les relations dans l’espace sont altérées et transformées, certains détails réduits et d’autres exagérés (BYRNE, 1979 ; TVERSKY, 1981 ; GIRAUDO, 1989...).

Lorsqu’il s’agit de reproduire des informations spatiales à partir d’un modèle cartographié (que ce soit des villes d’un pays ou des bâtiments dans une ville imaginaire) les résultats ont mis en évidence des erreurs de jugement ou d’estimation métrique. Notamment, les résultats de BYRNE (1979) ont montré la présence d’erreurs et de distorsions dans l’estimation des distances entre des paires de lieux. Quant aux résultats de MOAR et BOWER (1983), ils ont révélé une inconsistance dans la représentation créée en terme de propriétés angulaires et directionnelles quel que soit le mode d’acquisition employé (expérience directe ou par carte). En 1982, THORNDYKE et HAYES-ROTH ont étudié les différences dans les connaissances spatiales et les procédures d’estimation sur les espaces à grande échelle selon le même procédé que précédemment. La tâche des sujets consistait à estimer des distances euclidiennes (ou de parcours) des orientations et des localisations. Les résultats montrent que l’estimation des distances et des localisations est correcte chez les sujets ayant appris l’environnement à partir d’une carte. Ces difficultés suggèrent l’existence de problèmes cognitifs consécutifs aux changements de points de vue. Concernant les sujets qui ont appris l’environnement par expérience ambulatoire, l’estimation de l’orientation et de la localisation est plus difficile. Cette fois, les difficultés proviennent de la nécessité d’effectuer un calcul.

Atteindre une destination sans qu’elle ne soit perceptive du point de départ, est manifestement possible grâce à l’organisation mentale de l’information sur l’itinéraire (avec ou sans détours) sous une forme cartographique qui est donc opérationnelle.

GIRAUDO (1989, 1992) a cherché à vérifier pourquoi ces déformations représentationnelles persistaient (pragmatiques et efficientes) malgré la familiarité de l’environnement. TVERSKY (1981) avait déjà apporté des éléments de réponse en proposant une organisation des informations spatiales sous forme d’heuristiques. TVERSKY concluait déjà de ses résultats que la « Carte Cognitive était une figure impossible » car la difficulté à mémoriser les positions exactes des localisations est compensée par l’utilisation de principes d’organisation perceptive qui tendent à ramener les orientations aux seuls axes verticaux et horizontaux. Ces principes sont appelés des heuristiques qui correspondent donc à une classe de mécanismes simplificateurs se rapportant à un processus de normalisation ou à l’assimilation d’un schéma, les nouveaux stimuli étant déformés en fonction d’une première schématisation. Lorsqu’il s’agit de replacer la position d’une ville par rapport à une autre, nous utilisons des heuristiques ou des stratégies qui rendent la tâche plus facile (TVERSKY, 1980). Par exemple, le haut et le bas représentent le Nord et le Sud alors que la gauche et la droite représentent l’Ouest et l’Est.

Ces dernières expériences mettent en évidence une tendance à l’erreur quasi-systématique dans la manipulation de relations spatiales du type distance, direction, et localisation entre des éléments de différentes natures. Les angles sont ramenés à des angles droits, les distances sont sous-estimées lorsqu’elles portent sur des environnements simples.

PAILHOUS (1969) constate, au terme d’une étude sur l’organisation des connaissances spatiales chez des chauffeurs de taxi parisiens experts et novices, que les connaissances dont ils disposent sont organisées en deux réseaux que l’auteur désigne sous le nom de : réseau de base et réseau secondaire. Le réseau de base est composé de l’ensemble des artères principales de la ville, c'est-à-dire des grands axes. Il couvre la ville régulièrement et est bien connu des experts et des novices. Le réseau secondaire contient les petites rues et sa connaissance augmente avec l’expérience. Les stratégies de déplacement mettent en œuvre une procédure qui vise à partir d’un nœud de réseau secondaire à rejoindre le nœud le plus proche du réseau de base, à se déplacer dans le réseau de base jusqu’à un nœud proche du but à atteindre et à partir de ce nœud rejoindre le réseau secondaire dans lequel se trouve le but.

L’auteur montre que les nœuds du réseau de base sont reliés entre eux, alors que les nœuds du réseau secondaire ne le sont pas entre eux car ils sont reliés à un nœud du réseau de base.

La stratégie de déplacement dans le réseau de base consiste à minimiser l’angle entre le choix d’une voie et la localisation estimée du but à atteindre. La stratégie employée dans le réseau secondaire relève plus d’une heuristique.

Ces résultats montrent d’une part l’utilisation prépondérante des artères principales de la ville et la minimisation des angles impliqués dans le déplacement. Les résultats obtenus par GRYL (1995) lors des analyses effectuées sur les descriptions d’itinéraires pédestres recueillies (partie 2 étude de la stratégie) montrent que les stratégies prépondérantes sont celles qui visent également à minimiser ce nombre.