2-3-3-2 Les points de repère définis comme des éléments structurant l’organisation spatiale

Que désignent-ils? Ces points de repère (ou landmarks dans la littérature anglo-saxonne) sont une référence dans le paysage, urbain et/ou naturel, et peuvent être de nature et de format variés. Pour illustration, nous citerons un des plus classiques qui est le clocher de l’église dans le village. En effet, il a depuis longtemps une fonction d’orientation, notamment pour les bergers cheminant dans les montagnes. Le clocher de l’église, voire même l’église dans sa totalité, est un point de repère caractéristique et culturellement connu. Ce repère est facilement identifiable par son unicité dans un village ou dans une ville, par sa taille et aussi par son architecture. En d’autres termes, les critères pour qu’un élément environnemental soit sélectionné peuvent dépendre de la taille, des formes, des couleurs... ou de l’originalité du design (architecture) sans que tous ces critères soient nécessairement réunis. La variété des critères entraîne une grande variété de points de repère. Ainsi, tous les objets sont susceptibles de devenir des points de repère qu’ils soient des objets physiques bidimensionnels comme des magasins, des panneaux indicateurs... ou des éléments tridimensionnels tels que les rues ou les places.

Outre ces derniers critères, un point de repère reste un élément isolé dans l’environnement. Isolé mais contextualisé ; ce qui signifie que sa valeur et sa fonction ne prennent sens que dans un contexte déterminé, un point de repère est dépendant de sa localisation.

Des études comme celles de TAYLOR et TVERSKY (1992b, 1995) ont démontré que les points de repère sont facilement mémorisés, rappelés et restitués : les sujets qui ont appris une carte rappellent 94,6% des repères présents et effectuent des descriptions suffisamment correctes pour que des lecteurs placent correctement 90,8% des repères sur une carte muette.

La théorie du point d’ancrage renforce la fonction des points de repère (PASSINI, 1984 ; GOLLEDGE, COUCLELIS, GALE et TOBLET, 1987). Cette théorie consiste à dire que des individus placés dans un environnement nouveau, sélectionnent rapidement des repères majeurs qui servent de points de référence autour desquels une structure de connaissances spatiales est construite. Ces points nommés « points d’ancrage » servent à l’organisation des informations spatiales utilisées dans des tâches telles que la navigation, l’estimation des distances, ou l’orientation. Cette notion suppose l’existence d’une hiérarchie dans les repères. Ainsi, tous les points de repère ne peuvent devenir des points d’ancrage, la sélection sera dépendante de leurs propriétés intrinsèques, de leur importance en termes de relations spatiales et/ou de la signification qu’ils ont pour un individu (GRYL, 1995).

La notion de point d’ancrage induit celle de hiérarchisation des points de repère. Les plus importants sont reliés au processus de prise de décision alors que les points secondaires s’inscrivent dans un processus plus automatique de confirmation d’itinéraire. Toutefois, ce rôle n’est pas négligeable car ces repères secondaires permettent de ponctuer l’itinéraire, créant ainsi des segments de route. Un itinéraire se définit comme une succession de segments finalisés par des repères, plus ou moins caractéristiques. Cette fragmentation facilite ultérieurement la construction de nouveaux itinéraires, ainsi que la réalisation des « conduites de détour ». D’après BASTIEN (1996), la conduite de détour consiste à s’éloigner provisoirement d’un but, inaccessible directement, pour y parvenir ensuite à l’aide de conduites intermédiaires. Chacune d’elles à son propre but, qui reste cependant subordonnés au but principal. Un but est illustré par un point de repère.

La segmentation permet également d’évaluer une distance mentale. Habituellement, les distances sont calculées à partir de données métriques ou kilométriques or dans le cas de la distance mentale, les paramètres reposent sur des données plus variées : l’effort physique impliqué dans l’accomplissement du parcours, des données temporelles ou encore à partir des différents changements de direction.

La zone qui contient l’objet de référence est aussi importante que l’objet, CHOWN, KAPLAN et KORTENKAMP (1995) tiennent à distinguer l’objet des lieux, car ils estiment que les objets sont caractérisés par des propriétés géométriques (taille, forme...) alors que les lieux permettent de déterminer les relations spatiales entre les différents objets.

Ces auteurs proposent un modèle computationnel dans lequel ils sont attachés au concept de prototype appelé PLAN (Prototypes, Location, and Associative Networks) . Les repères (indices visuels) permettent d’identifier un environnement familier. Ils sont donc mémorisés sous forme prototypique ce qui permet une utilisation à partir de vues partielles et selon des points de vue variés.

«Un prototype est considéré comme une représentation abstraite constituant des combinaisons de valeurs moyennes de caractéristiques définissant des objets ou des situations et les prototypes emmagasinés en mémoire permettent d’identifier les objets ou les situations que nous rencontrons quotidiennement» (FORTIN et ROUSSEAU, 1993) ’. THINUS-BLANC (1996) a adopté ce concept pour rendre compte du traitement de l’information spatiale. Dans cette conception, les prototypes correspondent à des règles abstraites d’organisation de l’espace qui servent non seulement à générer des représentations utiles pour s’orienter (sur la base d’informations mémorisées) mais qui contribuent également à l’organisation du recueil des informations nouvelles, ces dernières sont de cette façon plus rapidement intégrées.

Un point de repère correspond habituellement à un seul objet qui se distingue des autres par des caractéristiques physiques prégnantes. L’aspect saillant de l’objet est associé à l’importance de la prise de décision. En d’autres termes, du fait de l’emplacement stratégique de l’objet du point de vue décisionnel, il sera d’autant mieux retenu, rappelé et le nombre d’erreurs enregistrées sera moins élevé que les autres repères qui ont peu d’importance. Cet objet isolé dont la fonction est capitale, est appelé « Plot » par GOLLEDGE (1991). Un « plot » est un point d’ancrage fondamental dans le processus de prise de décision. Similairement, il existe les « scenes » avec la même fonction que les « plots », seul le contenu change. En effet, les « scenes » regroupent simplement des objets de l’environnement, elles correspondent à un segment de route - à un stop, un croisement de rues ou d’autres types de carrefours-. GOLLEDGE ne précise pas ce qui détermine la sélection, dans le processus de prise de décision, d’un « Plot » ou d’une « Scene ». L’environnement est sans aucun doute le seul déterminant. Si l’environnement ne fournit aucun détail distinctif, qui puisse être associé à une prise de décision, alors c’est l’ensemble de la scène visuelle qui servira de référence physique.

Quant à la fonction de ces repères, au niveau représentatif, DENIS leur attribue trois fonctions fondamentales. Une action est associée à un repère pour préciser les sites où devront avoir lieu des actions, comme celles induisant un changement de direction (tourner à droite) ainsi que celles qui indiquent une progression (longer la rue). Deuxièmement, ils permettent la localisation d'autres repères, en référence à la hiérarchie de la visibilité des repères. Troisièmement, ils confirment une décision liée au déplacement. Par exemple, un repère offre au piéton ou à l’automobiliste qui réalise l’itinéraire l’assurance qu’il ne s’est pas trompé.

La fonction primordiale et acceptée est liée à l’identification des lieux au niveau représentatif et la reconnaissance au niveau perceptif. En effet, au moment de l’activation d’un itinéraire, les repères ne seront pas systématiquement évoqués mais une fois en situation de déplacement ils seront reconnus, ce que PAILHOUS explique (1969) en ces termes ‘ « les repères visuels qui jouent un rôle très opérationnel, ne sont pas évoqués mais reconnus » ’. A ce propos, il précise, en s’inspirant des travaux de BLANCHETEAU et al. (1967), qu’il existe un effet différent selon la distance (entre les repères et l’individu) sur le guidage. En d’autres termes, il différencie les repères proches et les repères éloignés. BLANCHETEAU s’est intéressé à la complémentarité à ces deux types de repères auprès de rats en labyrinthe. Il constate un ‘ « renforcement concomitant des repères de lieu proches et lointains au cours de l’exploration pour qu’il y ait apprentissage » (cité Dans PAILHOUS, p. 107) ’ PAILHOUS pourra formuler la même conclusion auprès des chauffeurs de taxi. Par ailleurs, il constate que sur les deux réseaux, de base et secondaire, assimilés à une « vue d’avion », sont « greffés » des indices visuels dont le rôle est déterminant..

D’après les constats de LYNCH (1969) sur la différence entre ces indices visuels urbains, les lointains, mais aussi parfois exceptionnellement saillants, comme la tour Eiffel ou le Dôme de Florence, ont l’avantage d’être vus quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans la ville. Ce sont des repères capitaux pour les étrangers de la ville qui les utilisent de manière plus importante que les autochtones ou les habitués pour organiser la ville et construire des itinéraires.

Nous n’avons donné ici qu’un aperçu des recherches sur ces points importants des représentations spatiales qui structurent à la fois les représentations « type survol » et celles « type route ». Bon nombre de recherches se sont focalisées sur le rôle des points de repère mais également sur les liens entre ces derniers, sur leur ordre d’apprentissage respectif, en utilisant principalement des méthodologies telles que l’estimation de distance, l’estimation de temps ou les dessins de cartes.