2-3-3-4 Les opérations géométriques et les cadres de références

Avant de parler des cadres de référence, il est important de rapporter les processus qui permettent la construction progressive des rapports spatiaux, PIAGET et ses collaborateurs se sont penchés sur cette question et ont souligné trois types de relation spatiale qui se succèdent suivant la logique de la maturation intellectuelle chez l’enfant.

Cette construction s’effectue toujours, d’après PIAGET, sur deux plans : ‘ « d’une part, une coordination progressive des relations géométriques qu’entretiennent les éléments de l’espace, et qui permet au sujet de passer d’un codage géométrique élémentaire à la prise en compte de l’ensemble des éléments proches et lointains en un système d’ensembles homogène. D’autre part, une décentration progressive qui permet au sujet de passer d’un espace purement égocentrique, où la relation s’exprime exclusivement entre l’objet et le sujet, à un espace exocentrique dans lequel le sujet se situe comme un objet parmi les autres objets. »

Ainsi, sur le plan de la représentation de l’espace, les premiers rapports construits sont des rapports topologiques, ils se caractérisent par des relations de voisinage, d’inclusion, d’exclusion et des informations métriques. Puis, progressivement les sujets élaborent des systèmes d’ensembles projectifs et euclidiens qui permettent de situer les objets les uns par rapport aux autres selon des systèmes de perspective ou de coordonnées. Ces systèmes impliquent la conservation des droites, des angles et des courbes. Enfin, les relations euclidiennes contemporaines des relations projectives sont constituées par un système d’axes et de coordonnées s’étendant à tous les objets selon les trois dimensions à la fois. Il s’agit du produit d’une multiplication logique des relations d’ordre, avec intervention des droites, des distances, des parallèles et des angles.

Suite aux travaux de PIAGET, le concept de système de référence a ainsi été abondamment utilisé, parfois appelé référentiel ou cadre de référence. En définitive, ce n’est rien d’autre qu’un point de vue qui varie selon que l’on soit acteur, spectateur ou réalisateur d’une scène. Nos perceptions visuelles (et non-visuelles) dépendent directement de notre position et de notre orientation à un moment donné. Au début était l’acteur c’est-à-dire que notre perception de la scène reste « nombriliste » (dans un sens spatial) avec pour seule référence : soi. Ce premier cadre de référence, nommé « égocentré » permet un déplacement de proximité. Alors pour pouvoir manipuler des cartes et se projeter dans un environnement non perceptible, le cadre de référence devient « allocentré » c’est celui des représentations. Les cartes cognitives se caractérisent notamment par cette information « exocentrée », indépendante de notre position dans l’espace, et là nous devenons spectateur. L’élaboration cognitive de l’espace est habituellement décrite comme une progression allant d’un système de référence égocentré à un système exocentré (SIEGEL, WHITE, 1975 ; ACREDOLO, 1976 ; HART, 1981...). Une séquence similaire est développée par SHEMYAKIN (1962) qui décrit une représentation de type «route map» correspondant au tracé mental des itinéraires, et une représentation de type «survey map», respectant la configuration générale ou le schéma de la disposition des objets.

Entre les deux s’élaborent un système de référence fixe (le réalisateur) dans lequel s’associent plusieurs points de vue c’est-à-dire que les informations contenues dans les représentations (référentiel exocentré) doivent se traduire en un plan d’actions qui s’inscrit dans un cadre de référence « égocentré » (GIRODAU, 1989) (figure 2-6).

Grâce à ce dernier système de référence, un déplacement orienté est alors possible. Pour PIAGET, cette phase de décentration s’organise ainsi simultanément à l’élaboration de l’espace projectif qui constitue un moment important de l’évolution de la représentation.

Plus récemment, GRYL, dans sa thèse (1995), parle préférentiellement des cadres de référence et elle distingue :

La notion de référentiel est incontournable pour toute description car il faut nécessairement savoir de quel point de vue on se place pour se localiser et définir les directions. La coordination de l’ensemble des points de vue suppose une organisation d’ensemble à l’intérieur de laquelle le passage d’un point de vue à un autre est clairement considéré comme le résultat d’une transformation. Cette transformation modifie inéluctablement certains aspects du spectacle.

GRYL rappelle également qu’il ne faut pas négliger le fait que les différentes dimensions impliquées dans les cadres de référence (devant/derrière, droite/gauche, dessus/dessous) ne sont pas équivalentes dans les décisions des sujets. Les résultats de DE VEGA (1994) montrent un ordre dans l’accessibilité des informations dans les différentes directions. Les temps de réponse liés au rappel d’informations attachées aux dimensions dessus/dessous sont plus rapides que ceux liés aux dimensions devant/derrière, eux-mêmes plus rapides que ceux relatifs aux dimensions droite/gauche. Auparavant FRANKLIN et TVERSKY (1990) et BRYANT, FRANKLIN et TVERSKY (1992) avaient déjà mis en évidence l’inégale accessibilité des différentes directions dans des tâches où les sujets devaient retrouver des localisations spatiales. Les résultats montraient là encore que l’identification des objets est plus rapide lorsque ceux-ci sont situés sur les axes dessus/dessous que lorsque la localisation des objets fait intervenir les axes devant/derrière. Les temps les plus longs correspondent aux axes droite/gauche. Un simple exemple : notre main pointée vers la gauche ne désigne pas la même direction de celle d’un interlocuteur, en face de nous (en miroir) qui dirige également sa main vers la gauche!

Ainsi, les opérations géométriques et les systèmes de référence spatiaux s’élaborent corrélativement et constituent l’ensemble des instruments cognitifs dont disposent les sujets pour connaître et utiliser l’espace. Il nous paraît indispensable de savoir de quel point de vue on se place pour concevoir un support d’informations dont la finalité est le guidage des utilisateurs de transport. L’information doit répondre à une demande simple et précise sur l’itinéraire à emprunter. Pour une information adéquate, le concepteur doit utiliser le cadre de référence égocentré de façon à ce que l’utilisateur puisse suivre, pas à pas, les indications données pour atteindre une destination (hormis pour les cartes routières). Nous utiliserons par conséquent ce référentiel lors de la réalisation des moyens d’information liés à notre recherche.