2-3-4 Carte(s) Cognitive(s) et fonctions

La nature d’un outil (cognitif ou non) conditionne la fonction de ce même outil. L’hétérogénéité est l’une des principales caractéristiques des représentations spatiales car elles répondent à des aptitudes et des contextes d’action différents. Dans la littérature, les trois niveaux de représentation (respectivement landmarks, type route, type survey) sont fréquemment utilisés pour rendre compte de l’organisation des connaissances spatiales. Le premier niveau par ses caractéristiques descriptives est marginal par rapport aux deux autres mais sans être exclu. Au contraire, il contribue à l’enrichissement et à la performance des autres formes représentationnelles. Selon une conception organisationnelle, GOLLEDGE (1991) démontre la fonction des points de repère en les incorporant aux connaissances déclaratives. Généralement, ces connaissances font référence aux objets, aux personnes, aux événements et requièrent différentes capacités cognitives. La première des capacités est d’assurer l’existence de l’objet ou du lieu recherché, suivie d’une capacité à les reconnaître quand ils apparaissent dans notre champ visuel. Enfin, les points de repère facilitent ainsi la communication entre personnes grâce aux caractéristiques qui les identifient. Ces caractéristiques matérielles et visuelles sont explicites et ainsi verbalisables. L’image mentale de l’objet sélectionné pourra à la fois fournir des indications sur l’emplacement (relations spatiales) et des indications sur la composition (forme, couleur, taille...) selon la richesse même de cette image.

Le deuxième niveau (type route) dans la conception de GOLLEDGE renvoie aux connaissances procédurales qui impliquent une «capacité à anticiper et pré-traiter les informations afin de développer des plans d’action, une structure propositionnelle pour organiser ces plans et des heuristiques pour traduire les plans mentaux en plans opérationnels dans la réalité.» (cité dans GÄRLING, 1985)

Quant au dernier niveau (type survey), il est appelé connaissance configurationnelle. Selon l’exigence de la tâche, la plasticité de cette représentation permet des allégories spatiales diversifiées et adaptées. Frontalière, elle prend la forme seule du contour d’un espace précis (un pays) et les lignes peuvent se transformer en une armature recouvrant l’espace de voies de circulation (réseau).Grâce à notre imagerie créative, le contour d’un pays peut faire l’objet d’une métaphore figurative (botte de l’Italie).

TAYLOR et TVERSKY (1996) se sont attachés à mettre en évidence différents facteurs pouvant intervenir dans le choix d’une perspective pour la description d’un environnement spatial. Ils ont proposé à des sujets de décrire un site ; trois types de site étaient évalués : une ville, un centre commercial, un parc d’attraction. Les sujets devaient décrire le lieu à une personne qui ne le connaissait pas. Les sujets devaient formuler la description de manière verbale ou graphique.

Les résultats montrent que le choix de l’une ou l’autre des perspectives est fonction du type d’environnement à décrire :

Quand les chemins sont variables et multiples et les repères de taille variable la perspective survey est préférée.

En définitive, le type de représentation (route ou survey) est dépendant de l’organisation du site dans lequel l’individu déambule. Cette représentation spatiale est également dépendante de la distance physique entre l’individu et les éléments environnementaux, c’est-à-dire si ces derniers sont perçus directement ou non. Notamment, pendant un déplacement, l’individu est tributaire de la représentation type route («je vais tout droit et je tourne à gauche à la première rue») tant qu’il est capable de suivre son itinéraire dans un processus de stimulus-réponse : les inputs environnementaux viennent confirmer son propre schéma des lieux. Ces imputs viennent confirmer que l’individu est sur la bonne voie. La représentation type survey est mobilisée lorsque l’individu a besoin d’activer une représentation plus globale - donc d’une référence euclidienne - de son environnement ce qui va lui permettre de déterminer le chemin du retour ou de modifier un itinéraire. La représentation de type survey contient des informations plus précises sur les directions, les notions d’angularité, les distances c’est pourquoi elle est sollicitée pour des besoins de représentations graphiques ou schématiques de l’espace. Elle permet également de localiser les villes, les pays sur une carte et de les situer les uns par rapport aux autres.

L’idée que les connaissances procédurales s’appuient sur des connaissances déclaratives au moment de l’activation et notamment dans les situations complexes d’orientation, n’est pas partagée par tous les auteurs. D’après LOARER-EVEN (1989), ces deux formes de connaissances sont indépendantes, car il est possible que dans la condition d’un déplacement sans le but directement perceptif, un certain nombre d’individus utilisent des représentations imagées (connaissances déclaratives) comme une «prothèse représentative» alors que d’autres utilisent une représentation sous forme de pré-programmation de l’action (connaissances procédurales).

Finalement, les Cartes Cognitives ont pris des caractéristiques dynamiques et flexibles depuis les premiers travaux des auteurs intéressés par l’organisation des connaissances spatiales et de leur utilisation. En définitive, cette terminologie peut servir à définir une catégorie d’informations dans le modèle computationnel. Les informations spatiales prennent plusieurs formes et peuvent correspondre à plusieurs modules interactifs que sont les points de repère et ses liens.

Les connaissances spatiales s’enrichissent chez l’adulte de façon parallèle au développement des connaissances chez l’enfant. Au début était l’image accompagnée de relations topologiques avec pour seul référence le corps puis dans un processus de décentration, l’environnement devient cadre de référence (PIAGET, 1975). L’adulte face à un nouvel environnement (qui dispose déjà d’une connaissance générique de son milieu) va pouvoir intégrer de nouveaux éléments grâce à la transition de cadre de référence. Tout au long de cette évolution référentielle, ces connaissances se sont enrichies de détails et de précisions sous une forme imagée et/ou métrique.

En guise de synthèse et de conclusion sur les Cartes Cognitives, la conception distribuée de THINUS-BLANC (1992) de la mémoire spatiale permet d’une part de bien distinguer les deux représentations procédurales (système d’orientation simple et économique,) et propositionnelles ou déclaratives (cartes), d’autre part de montrer leur complémentarité malgré leur opposition au niveau du traitement. Elle introduit un niveau médiateur, les stratégies d’orientation intermédiaires.

L’importance est accordée à ce qu’elle appelle des vues locales qui « sont des vues frontales qui dépendent de la position de l’individu à un moment donné » (1992, p.146). Ces tableaux perceptuels sont sélectionnés puis stockés en mémoire à long terme selon leur empreinte émotionnelle et/ou décisionnelle, selon qu’ils correspondent à un changement net de l’environnement. Ces vues locales sont organisées et traitées à différents niveaux en fonction des nécessités et des capacités cognitives du sujet. Ces vues locales sont utilisées par les trois niveaux de stratégies spatiales mais avec des variantes. « Puisque les différents éléments ne sont pas mémorisés plusieurs fois, ce stock de vues locales va être utilisé dans des buts différents, et corrélativement organisé à différents niveaux » (p.145) (figure 2-7)

Le système d’orientation simple est basé sur un principe d’association stimulus-réponse avec les vues locales. Les stratégies d’orientation intermédiaires reposent également sur l’utilisation de ces vues locales, organisées selon des relations topologiques et de façon séquentielle. Cette reconnaissance demande, au cours des déplacements, une continuité perceptive entre les différentes vues locales, chaque vue contenant certains éléments de celle qui suit et de celle qui précède. Enfin, le troisième niveau appelé naturellement cartes s’organise comme telles avec un aspect plus dynamique car il est capable de réorganiser les informations disponibles afin de produire des comportements qui anticipent correctement les relations non codées initialement en mémoire.

La conception de la mémoire spatiale distribuée insiste sur l’aspect éphémère des trois niveaux de représentations. Après utilisation, seuls leurs éléments constitutifs sont conservés en mémoire.

Le niveau auquel nous nous intéresserons particulièrement dans cette recherche est celui des représentations type route.