3-2-3-2 Des plans et des cartes

Depuis environ 2400 avant J C, l’homme a cherché à dessiner sa représentation du monde dans lequel il évoluait que ce soit sur Terre ou dans l’univers. Ces dessins appelés communément des cartes ou des plans sont devenus de plus en plus précis, grâce à des découvertes mathématiques puis techniques. Au XVIème siècle, Mercator inventa plusieurs systèmes de projection (projection orthographique ou orthogonale et projection conique). Le XVIIème sera celui d’un progrès considérable : l’utilisation de la triangulation basée essentiellement sur des mesures d’angles et de distances. (A partir de ces calculs, la Terre ne sera plus tout à fait ronde mais légèrement allongée suivant l’axe des pôles). Au XVIIIème, la première carte topographique est apparue, les objets planimétriques sont représentés soit par leur plan schématique soit par croquis en élévation.

Les volontés politiques, à l’époque des grandes découvertes, permirent le développement qualitatif de la cartographie, principalement du point de vue de l’exactitude métrique. Cette volonté s’est poursuivie au XIX, lorsque les plus grands Etats ont fait établir des cartes topographiques de leurs territoires au 1/80 000, puis au 1/ 50 000.

Ces cartes offrent un support idéal de communication, aussi bien pour l’espace maritime, terrestre et l’espace tout court. La cartographie est aujourd’hui une science complexe qui utilise toute une panoplie de procédés pour rendre compte du monde dans lequel nous vivons : photographies en couleurs, prises de vues aériennes, procédés d’impression très perfectionnés, utilisation également de l’informatique et la télédétection par satellites (G.P.S., Global Positionning System, un Système de localisation mondial). On n'a rien trouvé de mieux jusqu’alors pour exprimer des données métriques et visuelles de l'environnement. Les sociétés industrielles de ce dernier siècle sont marquées par le développement considérable des déplacements de tous modes, le fait le plus remarquable est sans aucun doute le succès du petit véhicule individuel « symbole de liberté » dont la quantité considérable noircit les infrastructures routières du monde occidental. L’homme moderne est un homme mobile. Les téléphones et les ordinateurs ne sont- ils pas les symboles de l’air du temps : « mobiles » et « portables »?

Mais revenons à la cartographie, terme générique qui peut se décliner selon différents espaces et thématiques : cartes physiques (physionomie générale du relief), cartes topologiques (configuration détaillée du terrain), cartes politico-économiques, cartes routières et touristiques...

Pour répondre aux besoins des voyageurs des temps modernes, les cartes prolifèrent, les variances jouent sur la présentation, le design de la carte, l’introduction de services annexes (restaurant dans des villes étapes). Comme les villes deviennent aussi de plus en plus grandes et de plus en plus complexes, il devient nécessaire d’isoler certaines zones de la ville. Ces portions de ville sont donc représentées avec une échelle plus grande sur des plans, qui correspondent finalement à un zoom du tissu urbain. Par ce procédé, on obtient des plans de quartier ou des plans de site artificiel (foire, grande surface commerciale, campus universitaires...). Il existe également pour les besoins des transports collectifs urbains ou péri-urbains des plans de réseaux, schématiques, parfois anamorphosés, qui se superposent à la cartographie de la ville et ses extensions.

Toutefois, la schématisation des plans ne correspond guère à la représentation que se sont créée les utilisateurs du réseau souterrain du fait de la difficile transition entre l’espace de la ville (point d’origine et point de destination du trajet) et l’espace souterrain. Cette transition oblige le voyageur à opérer un ajustement entre deux types de comportements rattachés à la pratique de l’espace (GOLEDZINOWSKY, 1976) ‘ « un comportement plastique de découverte progressive toujours possible dans la ville où tout peut être un indice de lieu et un comportement rigide conditionné par des indices de réponse. Ce type de comportement est imposé en souterrain non seulement par les dispositifs fléchés d’orientation mais aussi par la nature de chacun des deux espaces fonctionnellement dissociés d’une station : la zone d’admission du public et les quais. » ’ Lors d’une enquête dans le réseau de métro parisien, GOLEDZINOWSKY a relevé les différents types de demande de la part des utilisateurs du réseau métropolitain auprès des commerçants des kiosques à journaux. Les kiosques représentent des sites privilégiés pour le voyageur en quête d’une information d’orientation et d’autre part pour un observateur justement intéressé par le comportement « verbal » de ces voyageurs fourvoyés. Au terme de cette étude, cinq catégories de demandes ont été répertoriées : 1) les questions ponctuelles, 2) celles sur la méthode de cheminement, 3) celles portant sur la façon d’atteindre la sortie la plus proche 4) celles concernant une sortie plus lointaine et 5) des questions ambiguës. Les questions ponctuelles peuvent se satisfaire d’une réponse gestuelle car il s’agit en réalité d’une simple confirmation de prise de décision. Ces questions sont finalement aussi importantes car elles renvoient à l’insuffisance des informations affichées sur plans ou panneaux directionnels. Ces questions portent sur la « méthode de cheminement » particulièrement révélatrice de la difficulté à lire les plans et à les comprendre car les lecteurs sont incapables de mettre à exécution à l’intérieur d’une station l’information qu’ils ont perçue. La complexité des lieux ne facilite pas l’adaptation des différentes opérations que le voyageur doit suivre. L’interprétation que peut faire le voyageur de l’information donnée par le plan demeure théorique. La correspondance avec l’information fléchée reste laborieuse et inefficace.

L’information de la signalisation de jalonnement entre une station de métro et l’extérieur s’avère parfois aussi peu congruente que celle des plans de quartier.

D’après GOLEDZINOWSKY, il semblerait que la chaîne d’information vers la sortie soit incomplète, surtout dans les nœuds de correspondance. Si les fléchages vers les sorties existent, le voyageur ne dispose d’aucune représentation spatiale de la surface. « Dans les espaces proches des sorties, on trouve parfois des plans de quartier. Mais ceux-ci n’assurent pas toujours la transition vers la sortie car ils ne donnent pas d’indications en termes de droite et de gauche et la numérotation des immeubles n’est pas toujours renforcée par les fléchages correspondants. » Dans tous les cas, la fonction d’orientation vers la surface est surtout axée sur des repérages morcelés et partiels de certains points de quartier, mais ces repérages n’assurent pas l’atteinte du lieu de destination à partir du souterrain.

En résumé, il apparaît clairement que la principale difficulté à s’orienter en souterrain découle de la nature même des aides au déplacement. Elles font appel à des représentations trop abstraites de l’espace et à des indices appartenant à un système d’orientation codé.

Malgré les efforts des designers et des géographes pour rendre les plans urbains et les cartes plus efficaces, les utilisateurs de ces supports restent confus et perplexes après la lecture de l’un de ces plans et font encore beaucoup d’erreurs de direction suite à une mauvaise compréhension. Certaines tentatives à la fois esthétiques et fonctionnelles n’ont pas été à la hauteur des bonnes intentions de leurs réalisateurs. Afin d’illustrer le réseau du métro de New York, Vignelli (1978) (cf. MIJKSENAAR, 1998) proposa un plan du réseau du métro schématique, diagrammatique, colorée de façon pragmatique, clair et lisible (figure 3-1). Compte tenu de la qualité de la production aucun reproche ne pouvait lui être fait, mais les utilisateurs du métro ne l’adoptèrent pas malgré les qualités esthétiques du produit final. Le principal défaut du plan était une déformation excessive de la représentation du plan de la ville, cette représentation déformée ne correspondait donc pas à celle des utilisateurs. En 1980, Taurenac proposa une nouvelle version du plan de réseau en respectant la topographie des différentes lignes de métro et des stations (figure 3-2). Cet ajustement permettait alors une meilleure adéquation entre la représentation interne des utilisateurs et la représentation graphique, objective.

Un second exemple illustre également l’intérêt de se préoccuper préalablement des besoins humains afin de mieux répondre à ces derniers.

Il est reconnu que certains bâtiments de par leur saillance architecturale et/ou fonctionnelle se détachent des autres constructions et sont donc considérés comme des repères urbains. Certains représentants du design se sont attelés à trouver des solutions afin que ces bâtiments puissent apparaître plus distinctement sur les cartes. L’une de ces solutions consiste à dessiner en trois dimensions les édifices spécifiques (carte de Washington). Ainsi, les bâtiments saillants de l’espace urbain le deviennent également sur le plan-papier, grâce au relief rendu par le dessin en trois dimensions (figure 3-3). L’inconvénient de cette présentation est que les bâtiments sont vus par-dessus et ne facilitent pas la reconnaissance du bâtiment réel.

Pour que les bâtiments soient vus de face, il est alors possible d’intégrer sur le plan, une copie miniaturisée des différents bâtiments sous la forme d’une icône. Cette solution s’avère très séduisante sur le plan cognitif, encore faut-il que chaque itinéraire passe devant l’un de ces points de repères illustrés! On peut se demander dans quelle mesure cette présentation ne conditionnerait pas le choix des itinéraires.

Il faut bien admettre que la figuration des points des repères sur un plan contribue à une amélioration de la préparation du trajet (LENERAND, 1993) en particulier grâce à une meilleure localisation du point de départ et du point d’arrivée. Les points de repères « iconisés » contrastent avec le reste des informations schématisées ce qui permet une meilleure mémorisation de l’itinéraire au moment du rappel.

Cependant, si on cherche à généraliser cette iconisation des bâtiments, on va rapidement atteindre des limites graphiques, comme le souligne MIJKSENAAR (1998), les icônes peuvent prendre beaucoup de place sur les cartes, ceci au risque d’entraîner des problèmes d’organisation spatiale sur un plan à deux dimensions.

En résumé, un plan est un outil précieux pour la préparation d’un trajet, car il permet l’anticipation des actions jusqu’à la destination finale, la formulation des sous-buts et il facilite la pré-connaissance des lieux. Comme on l’a vu, les icônes sont salutaires à la phase préparatrice de l’itinéraire. Les travaux de DENIS (1990) confirment l’idée que les représentations spatiales extraites d’un plan sont structurées et surtout que la localisation des objets est conservée.

Par contre, le plan est moins précieux au moment du guidage ; toute la difficulté réside dans la détermination entre la droite et la gauche. A certaines intersections avec une configuration quelque peu tortueuse, il sera parfois difficile de choisir entre ces deux directions opposées. Pourquoi certains individus n’arrivent-ils pas à reconnaître la droite d’un objet sur le plan et la droite de ce même objet de taille réelle?

En fait, la lecture d’un plan nécessite un changement de référentiel ...

Chaque fois que nous décrivons un environnement réel, pour un usage à grande échelle, nous nous situons selon un cadre ou un objet de référence. En d’autres termes, nous utilisons tour à tour une Carte Cognitive de « type route » et une Carte Cognitive de « type plan ». D’après la Carte Cognitive de « type route », les points de repère sont décrits selon la position et la perspective de l’observateur, celui-ci traduit ce qu’il voit dans son champ visuel immédiat. Il peut alors se situer et situer les objets de son environnement à partir d’un référentiel déictique ou intrinsèque, avec des indicateurs spatiaux tels que devant, derrière, à gauche, à droite, dessus, dessous...

Alors qu’une Carte Cognitive de « type plan » entraîne une description des points de repère selon un référentiel extrinsèque c’est-à-dire selon les directions canoniques d’un plan euclidien. Ainsi ces changements de référentiel peuvent entraîner des confusions principalement dans la désignation des directions droite et gauche. Des études ont montré que les temps d’identification des objets étaient plus longs lorsque ces objets étaient placés sur un axe droite/gauche que lorsqu’ils étaient placés sur un axe dessus/dessous ou un axe devant/derrière (cf. p56-57).

Des travaux du ressort de la géographie cognitive ont démontré les difficultés d’utilisation des plans de bâtiments ou de campus quand le point d’observation du plan(« You are here map ») n’était pas aligné avec l’environnement. Le principal problème dans la manipulation des cartes routières et des plans urbains réside dans la présentation de l’information topographique par rapport à l’offre spatiale visuelle de l’environnement.

Une carte verticale est dite « alignée » lorsqu’il existe une correspondance visuelle entre l’objet perçu à partir à partir d’une carte et l’objet réel dans l’environnement physique. La position corporelle réelle est donc identique à la position projective sur le plan (point souvent désigné par l’index) ; Dans le cas où la carte n’est pas alignée, alors les auteurs (MAY et al., 1995) disent qu’elle est « mal orientée » (angl. Misaligned), l’écart est de 90°. Pour un écart plus large, on dit qu’elle est contre-alignée. Lorsque les individus apprennent des relations spatiales à partir d’une carte « contre-alignée », ils nécessitent significativement de plus de temps pour s’orienter et ils font plus d’erreurs que lorsqu’ils apprennent à partir d’une carte alignée (LEVINE et al., 1982).

La question de l’alignement de la carte par rapport à l’environnement peut référer à celle du traitement de la rotation mentale (SCHEPARD & COOPER, 1982). Les résultats de l’étude de MAY, PERUCH et SAVOYANT (1995) viennent confirmer l’hypothèse d’une relation entre les deux évènements. Le traitement de la rotation mentale viendrait donc résoudre les problèmes de « mauvaise orientation ». Comparativement à la situation de l’alignement, les sujets font plus d’erreurs et mettent plus de temps avec une carte mal orientée à 90° et à plus forte raison quand elle est contre-alignée (180°). Ces auteurs ajoutent que la difficulté à faire correspondre une information abstraite (extraite d’un plan) à une information concrète non directement perceptible (mauvaise orientation) n’appartient pas seulement aux premières étapes du déplacement mais au contraire elle est permanente. Afin d’approfondir ces résultats, une étude différentielle permettrait sans doute de connaître les individus les plus vulnérables face au problèmes de mauvaise orientation. Ce type d’étude permettrait de cibler les individus qui courent le risque de se tromper régulièrement dans la manipulation des cartes. L’idée conséquente serait de fournir ou de proposer une autre forme d’information qui éliminerait toute sollicitation de rotation mentale.