3-2-3-3 Des descriptions d’itinéraires d’après les travaux de DENIS

Après des travaux principalement basés sur les images mentales et les capacités d’imagerie, DENIS a élargi sa problématique, depuis le début de cette décennie, à la thématique de l’espace avec une mise en relation du discours spatial -ou la description d’itinéraire- aux images mentales.

Les images et le langage constituent selon lui deux modes de représentation pourvus de propriétés fonctionnelles fortement différenciées, mais dont la coopération est requise dans de nombreuses formes de fonctionnement cognitif. ‘ « L’étude de leurs interfaces est particulièrement importante pour rendre compte des processus de communication entre agents cognitifs visant à partager des connaissances sur leur environnement spatial. » (M. DENIS)

La structure séquentielle du texte est strictement contenue par la structure temporelle des événements, ceci se vérifie dans les textes énumérant les étapes d’un processus ou dans les textes décrivant les routes dans des environnements naturels (ULLMER-EHRICH, 1982). La structure temporelle des événements se traduit par l’identification de sous-buts dans une macro-planification. Chaque sous-but déterminera une micro-planification. Finalement, une description d’itinéraire se définit par l’enchaînement d’instructions procédurales où les actions à suivre sont associées à des entités spatiales. Ces entités servent de repère, annonciateur d’une modification ou d’une confirmation d’action. Ces éléments n’ont pas de « structure séquentielle intrinsèque » et par conséquent interrompent la dynamique du texte. C’est une condition nécessaire et fondamentale : car les ingrédients statiques représentent certains éléments, sélectionnés dans le paysage routier, en fonction d’une information de guidage. Cette information est cruciale comme l’avertissement d’un changement de direction (« après la pharmacie, tourner à droite ») ou la localisation du point d’arrivée (« la banque est en face de la librairie »).

Par ailleurs, une des caractéristiques du discours est d’obliger le locuteur à organiser sa représentation de façon linéaire. Cependant, si le problème de la linéarisation ne se pose pas de manière aiguë en matière de descriptions d’itinéraires, il n’en reste pas moins que les choix descriptifs effectués par les auteurs reflètent des opérations cognitives impliquant l’interfaçage entre des représentations internes de l’environnement à décrire et un système assurant des sorties linguistiques pertinentes. Une des difficultés réside dans la description des objets statiques : le texte dont la structure est naturellement linéaire, doit obligatoirement introduire les éléments descriptifs tels que les points de repère. Les repère physiques sont décrits dans une séquence spécifique de la description.

La question fondamentale qui anime M. DENIS et ses collaborateurs est de connaître les composants structurants la description d’itinéraire afin de pouvoir construire une description sous un format universel. En d’autres termes, ils s’intéressent à la traduction de l’espace par le langage qui vient remplacer la forme schématique des plans dans les situations de wayfinding. Le contenu des instructions est essentiellement procédural, les éléments complémentaires sont des composants de type descriptif tels que les repères. Une description définitive d’un itinéraire constitue le résultat de trois opérations cognitives (DENIS, 1997):

  1. activation d’une représentation interne de l’environnement dans lequel le déplacement doit être effectué,
  2. détermination d’un trajet dans le sous-espace temporairement activé de la représentation,
  3. formulation de la procédure que l’utilisateur doit exécuter pour atteindre sa destination.

Les descriptions de deux itinéraires dans un environnement naturel ont été recueillies auprès de vingt étudiants. Une analyse détaillée des protocoles a permis d’établir une classification des items aboutissant à des catégories dont des descriptions de repères, des prescriptions d’actions avec référence ou non à des repères.

Ces protocoles ont ensuite été utilisés pour établir une « description squelette » ce qui correspond à une description plus abstraite, reflétant l’essentiel de la procédure de la navigation.

Ces descriptions « squelettes » ont également été testées sur d’autres sujets qui ont confirmé que les repères et les actions associés étaient par conséquent suffisants pour guider les individus.

M. DENIS et ses collègues analysent les processus cognitifs mis en œuvre lorsque des individus construisent la représentation interne des configurations spatiales à partir de descriptions verbales de ces configurations. Les représentations spatiales sont également comparées selon la source d’information soit par expérience directe (déplacement) soit par expérience indirecte (via les plans ou l’information verbale). L’hypothèse défendue par DENIS est que l’image construite à partir d’une description verbale contient une information structurée de manière comparable à l’information d’origine perceptive.

Dans l’idée de mettre en évidence le rôle de l’information verbale dans la construction des cartes cognitives, DENIS et ZIMMER (1992) ont suggéré que les représentations générées à partir d’un texte sont structurellement isomorphiques aux représentations générées à partir d’un plan. Deux groupes de sujets ont dû apprendre les éléments d’une île imaginaire soit à partir d’une carte soit à partir d’un texte. Une série d’expérimentations a été menée avec des variations au niveau des conditions d’acquisition et des conditions du test.

Les auteurs concluent d’une façon générale que les gens sont capables de convertir des descriptions linguistiques des configurations en représentations mentales. D’autre part, ces dernières préservent les propriétés métriques des configurations spatiales de façon acceptable c'est-à-dire que la mise en relation permet aux sujets de réussir dans des tâches cognitives.

Les auteurs confirment que « les Cartes Cognitives émanant d’un texte utilisent le même appareillage cognitif et les mêmes mécanismes de traitement que les Cartes Cognitives dérivées des expériences perceptives » (p.297). D’après les résultats des premières expérimentations, il apparaît que les sujets apprennent mieux lorsque l’information est extraite d’une carte que d’un texte, de plus la localisation des éléments est plus précise avec le premier support. Un plan fait appel à une référence extrinsèque et présente les configurations et leurs relations en survol ce qui concourt à améliorer la mémorisation de ces éléments.

DENIS et DENHIERE (1990) ont voulu démontrer l’effet de la structure d’un texte sur la représentation. Ils ont mené successivement plusieurs expérimentations à partir d’une carte imaginaire. Il s’agissait plus exactement d’étudier l’influence de la structure interne de textes décrivant des configurations spatiales sur leur compréhension. Se basant sur des résultats d’une expérience préliminaire consistant à faire décrire à des sujets une île imaginaire rectangulaire comportant six éléments caractéristiques (une forêt, une montagne, un lac, une prairie, une grotte, et un désert) répartis sur deux lignes horizontales, les auteurs proposent deux versions de textes descriptifs. La première version de ces textes respecte l’ordre de balayage horizontal et linéaire des éléments caractéristiques. L’alignement des points de repère facilite le signalement des points d’ancrage qui sont systématiquement aux extrémités des lignes. Ces points d’ancrage sont, par conséquent, faciles à utiliser. La seconde version ne respecte ni le balayage horizontal ni la linéarité avec des points d’ancrage aux antipodes de chaque ligne.

En outre, le principe de connectivité qui veut qu’un nouveau point soit décrit dans la proximité du point courant est enfreint. Les temps de lecture des textes qui ne présentent ni linéarité ni continuité sont plus longs que ceux des textes qui respectent l’ordre de balayage horizontal et linéaire des éléments caractéristiques. Ce résultat est confirmé par une étude phrase par phrase qui montre des temps de lecture globalement plus courts pour la première version des textes. Une tâche de rappel sur une carte muette permet par ailleurs de montrer que le texte bien structuré donne lieu à de meilleurs rappels que le texte mal structuré.

Plus un texte est structuré plus le rappel se fera dans de meilleures conditions. ‘ « La manipulation des intervalles de lecture montre que les motifs (pattern) de lecture sont essentiellement régulés par des processus consacrés à l’intégration des phrases à l’intention de représentation actuellement créée » ’. En d’autres termes, les temps morts entre les lectures permettent l’intégration des phrases qui contribuent à la construction des représentations.

Ce niveau de traitement concourt probablement à l’élaboration d’un « modèle spatial » visuel de la configuration de l’environnement.

Construire une représentation mentale d’une configuration à partir uniquement d’un input verbal ne demande pas seulement la capacité de saisir ce qui est dit dans le texte mais aussi la capacité de convertir l’information extraite du texte dans un modèle non linguistique de la configuration. L’imagerie est l’un des processus cognitifs qui peut aider à l’intériorisation des informations spatiales, elle permet de mettre en relation les éléments de l’environnement. KOSSLYN (1980) estimait que telle une représentation de mode analogique, l’imagerie préserve les distances relatives entre les parties d’une configuration. Cependant, des différences notoires sont présentes dans la capacité d’imagerie entre les individus. Ces différences affectent la construction de la connaissance spatiale (THORNDYKE et STASZ 1980). Le traitement des textes est alors très sensible à la différence des capacités d’imagerie des individus.

L’étude de DENIS et DENHIERE (1990) montre la signification fonctionnelle de l’imagerie visuelle dans l’élaboration des modèles spatiaux à partir d’un texte.

Le rôle des points d’ancrage dans une description d’itinéraire

Selon GRYL (1995), lorsqu’un texte décrit un point de repère et définit les autres par rapport à celui-ci, alors c’est par un effet de primauté qu’il va devenir un point d’ancrage. « Si les points d’ancrage introduits dans le texte servent aussi de points d’ancrage dans les Cartes Cognitives que le lecteur se construit à partir d’un texte, alors ils doivent être appris en premier et rappelés plus souvent et avec plus de précision que les autres repères ». (GRYL, p.31)

L’origine de la théorie du point d’ancrage part du constat que lorsque des individus sont placés dans un environnement nouveau, ils sélectionnent rapidement des repères majeurs ou nœuds qui servent de points de références autour desquels une structure de connaissances est construite. Les repères nommés points d’ancrage servent à l’organisation des connaissances spatiales utilisées dans les tâches de navigation, d’estimation de distance ou d’orientation. Cette notion suppose donc une hiérarchie des repères. Ce point là est donc précisément bien connu ainsi que la zone qui l’entoure. Ainsi, d’après GRYL, ‘ « il est possible de considérer la structure des connaissances spatiales comme une entité structure hiérarchique dans laquelle les repères utilisés comme point d’ancrage sont représentés à un niveau plus élevé que les autres repères considérés comme des détails par FERGURSON et HEGARTY (1994) ».

Les textes décrivant une configuration spatiale reflètent cette hiérarchie ainsi que l’organisation des détails autour des points d’ancrage.

En résumé, la bonne compréhension d’un texte décrivant une configuration spatiale repose sur sa structure linéaire et continue. D’autre part, une hiérarchie entre les éléments est créée faisant ressortir un point particulier du paysage urbain appelé le point d’ancrage qui est un facteur d’aide dans la structure des connaissances spatiales.

Il semblerait également que le cadre de référence employé donne un certain point de vue à la configuration considérée et il est essentiel de la préciser pour permettre la communication.

Dans une étude originale de DEVLIN et BERNSTEIN (1995), différents supports (plan, texte, photographie et informations mixtes) ont été comparés afin d'évaluer l'efficacité des points de repère lors d'une tâche de wayfinding. Dans une situation simulée de déplacement, les auteurs ont constaté que les participants guidés avec un texte ou avec un plan seulement font plus d'erreurs que ceux qui bénéficient d’un texte ou d’une carte améliorés d’images de points de repère. D'une façon générale, les participants avec des informations mixtes sont plus performants : ils font moins d'erreurs et ont des temps de réactions plus courts.