3-2-3-4 Le guidage appliqué à la situation de conduite

La situation de conduite sera examinée dans ce travail non pas comme un objet d’étude mais plutôt comme une condition de l’objet d’étude. Nous considérons, en effet, comme une priorité l’activité d’orientation spatiale et la nécessité de disposer d’informations de guidage en situation inconnue quel que le mode de transport (à pied, en transports collectifs ou en voiture). Il est certain que le mode de présentation de l’information est tributaire du contexte de déplacement : le piéton dispose d’un plus grand degré de liberté de mouvement et d’utilisation de l’espace que le conducteur de véhicule. Plus fréquentes sont les occasions où l’individu se déplaçant à pied peut s’arrêter, faire demi-tour, sans prêter attention à son environnement immédiat.

Comme le définit NEBOIT (1980), conduire un véhicule, c’est effectuer un déplacement dans un environnement en perpétuelle évolution. La particularité essentielle de ce déplacement est le fait qu’il soit véhiculé. Or, la maîtrise du véhicule ainsi que la gestion de l’environnement spatial, temporel et social inhérent à la conduite suscitent un certain nombre de contraintes. Le déplacement véhiculé se différencie du déplacement piétonnier en partie par le volume des contraintes.

D’une manière générale, la conduite automobile est caractérisée par sa complexité, son manque de structuration et son caractère dynamique (SAAD et al., 1990 in MAZET, 1991).

Le dynamisme est lié uniquement à la situation qui oblige l’automobiliste à maintenir une certaine vigilance : il doit être prêt à l’anticipation des éventuels dysfonctionnements et à agir avant qu’ils ne se produisent.

Cette tâche est peu structurée dans la mesure où les règles formelles du code de la route constituent plus des consignes que des guides d’action, et fixent ce qui doit être fait sans en préciser les modalités.

C’est une activité complexe soumise à une grande diversité et une variabilité de l’état des composants du système routier, tels que l’opérateur (âge, état physique, familiarité des lieux), le véhicule (puissance, tenue de route), l’environnement (route de campagne ou de centre-ville, autoroute, importance du trafic, conditions météorologiques...). La complexité provient également de l’enchaînement des phases où prédominent des sous-tâches automatisées à composantes sensori-motrices et des sous-tâches à composantes cognitives. Ces dernières se rattachent à des situations infiniment variées et, de fait, supposent une adaptabilité idoine de la part du conducteur. Les sous-tâches impliquées dans la réalisation d’un trajet sont donc principalement sensori-motrices lorsqu’il s’agit de circuler sur une autoroute fluide. Puis à la sortie de l’autoroute, lors du franchissement d’une intersection, les sous-tâches sensori-motrices sont relayées par les sous-tâches à dominance cognitive. En effet, une intersection, terme générique, sollicite fortement les ressources cognitives du conducteur ‘ « le conducteur prélève de l’information, détermine son importance, en fait une interprétation, émet un jugement sur l’issue des décisions, planifie et exécute les actions qu’il estime nécessaires sur les commandes (volant, pédales) afin de modifier ou non la trajectoire et/ou la vitesse de son véhicule. » (BELLET, 1998) ’. Cette explication concerne une situation « simple » lorsque la tâche de conduite est seule à solliciter l’attention du conducteur. Cette situation simple implique une connaissance suffisante des lieux.

En revanche, que se passe-t’il lorsque le conducteur n’est pas un habitué des lieux? Un second corpus de sous-tâches cognitives se greffent à la tâche principale, l’attention visuelle est alors partagée car elle sera à la fois sollicitée par des préoccupations de conduite, donc de sécurité, et par des préoccupations d’ordre spatial.

La tâche parallèle, liée aux processus d’orientation spatiale, se définit avant tout dans une démarche d’exploration de la scène routière exigeante sur le plan visuel. La recherche d’une information directionnelle pertinente dans l’environnement physique aura des incidences sur les stratégies visuelles. C’est pourquoi, l’activité de conduite sera perturbée par d’incessants aller-retours visuels entre la scène routière, et d’autre part les consignes de direction. Ces dernières peuvent être extraites d’un plan urbain ou d’un texte, disposées sur le siège du passager ou sur le tableau de bord. En conséquence, la pression temporelle est ici extrêmement forte aussi bien au niveau perceptif que cognitif car ‘ « elle impose à l’opérateur d’être plus sélectif dans sa recherche d’information de manière à réduire d’autant les temps de prélèvement et de traitement. Sur le plan des processus cognitifs, il y a nécessité d’agir dans un temps limité ce qui n’est pas sans incidence sur la complexité et la nature (niveau de contrôle) des processus mentaux (e.g. anticipation, décision, raisonnement et planification) » ’ qui sont mis en jeu dans la recherche d’un itinéraire.

Il est évident que la situation devient particulièrement critique d’un point de vue sécuritaire lorsque le conducteur est à la fois non habitué aux lieux à traverser et un débutant de l’activité de conduite.

A ce propos, des travaux orientés vers l’analyse des stratégies d’exploration visuelle (NEBOIT, 1980) permettent de mieux comprendre la différence entre un conducteur débutant et un expert. Ces travaux montrent que chez le débutant, les activités perceptives sont centrées dans un champ visuel essentiellement limité aux organes et instruments nécessaires au guidage du véhicule. Une fois la phase d’apprentissage passée, le débutant peut alors devenir un expert. L’élargissement du champ exploré par l’expert résulte d’une structuration progressive des stratégies d’exploration visuelle au cours de l’exercice de la tâche. Le champ exploré se modifie de façon quantitative et qualitative, car la zone explorée est plus large et les informations prélevées sont sélectionnées judicieusement. MAZET (1991) en conclue qu’il existerait ‘ « des structures de représentations en mémoire permettant à l’expert une gestion anticipée des indices, et résultant d’une intériorisation progressive des propriétés de la tâche et de ses conditions d’exécution. Par conséquent, la modification des conditions internes de l’opérateur (au niveau représentatif) apparaît comme une manifestation de l’acquisition des compétences chez l’expert, au même titre que la formation des habiletés nécessaires au déplacement, et l’amélioration des performances (en termes d’économie des procédures, de fiabilité et sécurité des compétences). »

Dans les études de sécurité routière, l’expertise est ainsi conçue, comme l’acquisition des mécanismes sensori-moteurs nécessaires au maniement du véhicule, et comme la capacité du conducteur à s’adapter rapidement et efficacement à la variabilité des situations rencontrées (SAAD et al., 1990). Un expert dispose alors d’une plus grande liberté pour s’affairer à des tâches secondaires car il possède des représentations mentales lui permettant de prévoir, traiter et de répondre à des situations non encore actualisées. Il a acquis certains automatismes résultants d’une osmose entre les connaissances déclaratives et procédurales qui sont activées au moment de l’exécution de la tâche. Il faut souligner, ici, le rôle de l’expérience pratique déterminant dans la conceptualisation de l’action ‘ « dans la mesure où c’est dans l’interaction avec le réel que le sujet forme et éprouve ses représentations et conceptualisations de la même façon que celles-ci qui dirigent la manière dont il agit et règle son action » (BELLET, 1998).

Bien que les experts soient capables d’assumer une double tâche, lire un plan urbain concourre à l’augmentation d’une prise de risque, car la demande temporelle est importante. En effet, la lecture d’un plan induit la recherche d’informations dont la localisation du véhicule au temps « t », la localisation du but ainsi que le lien entre les deux.

C’est pourquoi les constructeurs automobiles développent de nouveaux concepts à visée sécuritaire, par l’emploi des nouvelles technologies, comme l’introduction de l’informatique sur le tableau de bord. Les systèmes d’aide à la navigation prennent le relais des cartes ou des indications écrites sur un papier tout en offrant à l’automobiliste la possibilité de lire sur un écran une information dynamique. L’intéressé peut, par ailleurs, préciser sa requête au moyen d’un clavier : demander une information temporelle, augmenter ou réduire l’échelle par une fonction « zoom », sélectionner une présentation différente de l’information affichée... Un curseur représentant le véhicule indique la position exacte de celui-ci et ceci en temps réel, grâce au GPS. Le système présente l’infrastructure par segment et en mettant en évidence par colorisation la route à suivre. Le contenu informatif prend la forme d’une représentation cartographique, il s’agit d’une représentation de type « Survol ». Dans l’autre cas, d’une information de type « trajet » avec des symboles signalétiques de désignation de direction, sous forme de vignette, ou parfois avec un texte et même de la parole ! (Le système Carminat de Renault dispose de ces deux formats, le conducteur n’a plus qu’à sélectionner sa préférence.)

En termes de guidage, une symbolisation fléchée peut parfois s’avérer suffisante pour diriger l’automobiliste si la configuration de la route est simple. Dans ce cas, l’information spatiale contextuelle, représentée par un repère, est relayée par une indication temporelle : le timing de l’affichage. La localisation du changement de direction est déterminée au moment où l’information est envoyée.

Cependant, quand la route se sépare en plusieurs ramifications, il devient alors nécessaire de compléter l’information de guidage par un point de repère. Une étude effectuée au LESCO (PAUZIE, DAIMON, et BRUYAS, 1997) a permis de valider l’intérêt de l’association flèche et point de repère sous forme de pictogramme. L’annexion d’un élément physique à l’information pure de guidage rassure l’automobiliste car elle diminue, voire supprime, les sources d’ambiguïtés environnementales dans un carrefour complexe.

L’objectif de l’étude était par ailleurs de comparer l’effet du design pictographique sur les stratégies visuelles. Un pictogramme de type générique (symbole d’une banque) était comparé à un pictogramme spécifique (logo d’une banque). Les deux formules étaient utilisées de façon aléatoire au cours d’un même trajet. La compréhension et la reconnaissance des points de repère sont fortement appariées à la familiarité du sujet pour cet objet que celui-ci soit d’une portée générique ou spécifique. Toutefois, dans certains cas, un logo, comme « Mac Donald », est mieux identifié que le symbole de la « restauration rapide ». En revanche, un repère avec une forte connotation culturelle, comme une église, est suffisamment déictique. La tentative d’exactitude du pictogramme par une reproduction exacte du monument générerait un conflit visuel de reconnaissance et selon les conclusions de cette étude ferait perdre du temps au conducteur.

En résumé, ces nouveaux systèmes d’aide à la navigation sont insérés dans les tableaux de bord dans un objectif fonctionnel, sécuritaire et convivial. Ils représentent une première génération de nouveaux moyens d’information embarqué, et ils font l’objet d’études dans divers disciplines (ergonomie, psychologie, intelligence artificielle, linguistique...). La recherche dans, et entre, ces domaines participe à l’amélioration de ces produits, en offrant des composants nouveaux ou modifiés. L’originalité de cette recherche est de proposer un système de guidage contenant des photographies des intersections. Les points de repère qui permettent d’identifier les intersections avec un changement de direction sont de cette manière mis en évidence.