4- PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES

Tout adulte citadin porte en lui l’expérience urbaine. Selon l’enseignement de la psychologie cognitive, cela se traduit par la disponibilité de représentations spatiales génériques dans sa mémoire à long terme. Les représentations spatiales font référence à des représentations internes construites à partir de l’expérience ; elles sont inscrites en mémoire et sont activées lors de résolution de problèmes spatiaux (PASSINI, 1984 ; THINUS-BLANC, 1996 ; TVERSKY, 1992).

Grâce à cette construction cognitive des connaissances spatiales, l’environnement devient un territoire familier pour celui qui le traverse. Doté de ces représentations, l’individu est alors capable d’emprunter de nouvelles voies, de tenter des détours et d’innover en termes d’itinéraire. Ces comportements spatiaux mettent en pratique une forme particulière de nos connaissances environnementales, il s’agit des connaissances de type « survol » (angl. « survey »). Les connaissances de type « survol » contiennent des informations relatives aux relations spatiales entre les repères non immédiatement perceptibles. Les propriétés de cette forme de connaissances respectent la configuration générale de l’espace (SIEGEL & WHITE, 1975). A ce propos, elles s’inscrivent parfois sous la dénomination de « Cartes Cognitives ou Mentales» ce qui renforce la conception d’un « maillage cognitif ».

Une particularité de la vision, en relation avec la perception de l’espace, est qu’elle permet d’appréhender très rapidement les éléments constitutifs d’une scène : un grand nombre d’objets ou de lieux et de relations spatiales entre ces éléments sont appréhendées simultanément. Au niveau représentatif, les éléments de la scène comportant des repères sont rappelés sous la forme de « vue locales » (THINUS-BLANC, 1996).

En résumé, la Carte Cognitive, de nature dynamique, préserve les propriétés euclidiennes de l’environnement à partir desquelles s’organisent les points de repère, éléments structurants des représentations spatiales. Ces derniers éléments permettent également de construire une représentation type route dans une perspective différente puisqu’en vue frontale.

Les connaissances de type survol constituent par conséquent la matière première indispensable pour la réalisation de nouveaux itinéraires et d’autre part pour la description d’un itinéraire à un interlocuteur étranger à l’environnement en question.

De surcroît, cette description peut s’exprimer sous forme verbale (avec un texte) ou graphique (avec un schéma). Quelque soit la forme choisie, la description vient répondre à un problème spatial : « A partir de ce point X, que faut-il faire pour aller à ce point Y ? »

La notion de problème renvoie explicitement au processus de planification cognitive que nous considérons comme une activité de résolution de problème.

Ainsi, la description contient plusieurs attributs rattachés au processus de planification dont les buts, ou sous-buts (objets/repères), les contraintes (environnement) et les pré-requis (actions). Pour guider un interlocuteur à résoudre ce type de problème, le descripteur utilise les connaissances de type survol pour identifier, voire optimiser, l’itinéraire (activité mentale d’orientation) et va utiliser ensuite une autre forme de connaissance spatiale appelée les connaissances type « route » ; Celles-ci permettent de visualiser mentalement, grâce notamment aux images mentales, les vues locales de la scène routière. En d’autres termes, le descripteur « voit » le repère physique, nécessaire au guidage, selon une perspective idoine, similaire à la scène qu’il a antérieurement perçue.

Par ailleurs, la capacité du descripteur à passer des connaissances de type « survol » à celles de type « route », et inversement, est possible grâce à un phénomène de « re-centration » ou de décentration (PIAGET, 1975) selon le cadre de référence spatial. Un cadre de référence égocentré est utilisé dans le cas du type route (la référence est soi) alors que la représentation type survol est allocentré avec pour référent l’environnement.

Ainsi, par l’intermédiaire du matériel verbal, le lecteur ou l’auditeur va pouvoir particulariser sa représentation des lieux par l’intermédiaire d’une pléthore d’éléments informationnels telles que la distance (« près, 200m »), les sens de direction (« à gauche, à droite »), les indications projectives (« au Sud, au Nord ») et topographiques (« sur, contre »), des repères (« la boulangerie, le panneau publicitaire »)…La représentation interne de l’instructeur est donc traduite sous une forme propositionnelle et discursive que l’interlocuteur devra interpréter et intégrer avec son propre mécanisme cognitif.

Le discours, par la linéarité de sa production, est un système de communication particulièrement approprié à la description d’entités contraintes par une organisation temporelle forte (séquence d’événements, linéaires, procédures) (DENIS et COCUDE, 1992). Dans ce cas, la linéarisation inhérente à l’activité discursive s’ajuste parfaitement à la séquentialité intrinsèque de l’objet à décrire. Cependant, il existe aussi des situations où le locuteur est amené à décrire des objets où les représentations sont dénuées de toute structure temporelle, même implicite. C’est le cas de nombre d’objets ou d’entités spatiales de structure multidimensionnelle (territoires, scènes visuelles, objets tridimensionnels, plans...). Il est alors à la charge du locuteur d’opter pour la séquentialisation qui, tout à la fois, sera le mieux ajustée à ses propres capacités descriptives et la mieux adaptée aux capacités de traitement de son interlocuteur.

La mise en valeur de certains repères prégnants appartenant à la Carte Cognitive du descripteur prépare de cette manière l’interlocuteur à une scène visuelle mentale précise. Or, cette scène mentale qu’il s’est construite ne correspond peut-être pas à la scène réelle.

En d’autres termes, lorsque le contenu discursif n’est pas suffisamment analogique à l’objet réel, la reconnaissance de l’objet n’est pas immédiate et l’analyse de la situation devient alors défaillante.

Une autre solution de guidage existe sous la forme d’un plan cartographié. Le trajet lu sur une carte doit être transformé en une information de type « route » pour être exécutable. Lorsqu’un plan ou une carte est emprunté, les utilisateurs de la carte doivent appliquer la règle de l’alignement (MAY, PERUCH et SAVOYANT 1995) : la direction « en haut » sur la carte correspond à la direction « en avant » de l’environnement perçu. La violation de ce principe conduit à un effet négatif sur l’orientation et le guidage.

Par conséquent, le principal problème de l’utilisation d’une carte découle de manipulation de ces supports. Si la carte n’est pas orientée correctement, c'est-à-dire que le « haut » de la carte ne correspond pas à la scène visuelle perceptive, alors la carte est dite « més-alignée » (90°) ou « contralignée » (180°). Lorsque les individus apprennent des relations spatiales à partir d’une carte contralignée, ils ont besoin significativement de plus de temps pour s’orienter et ils font plus d’erreurs que lorsqu’ils apprennent à partir d’une carte alignée (LEVINE et al., 1982).

En résumé, une information de guidage efficace et congruente doit respecter plusieurs règles : -1) utilisation d’un cadre de référence égocentré, -2) séquentialisation des buts et des actions, -3) stimulation du canal visuel en dirigeant le regard vers des objets particuliers dans le même alignement du corps, -4) association d’une information déclarative (repère) et procédurale (action)

Dans le cadre de ce travail, nous avons l’intention de tester une nouvelle forme d’information qui pourrait satisfaire l’ensemble des critères précédemment évoqués. Nous avons vu que les points de repère assimilés parfois à des points d’ancrages dans l’environnement participent activement à la structuration de notre espace. Ils contribuent notamment à la segmentation des routes en séquence. Un point de repère saillant est incontestablement fondamental sur un trajet nouveau car il va « fixer » mentalement un segment de l’itinéraire. Dans la construction de l’espace chez l’enfant, PIAGET (1947) mettait déjà en évidence le rôle originel des points de repère, les repères servent de base pour un maillage ultérieur de toutes nos connaissances spatiales. (THINUS-BLANC)

Sans ces points de fixation visuelle, l’individu qu’il soit à pied, au volant de sa voiture ou encore transporté dans un bus ne pourrait se situer.

Compte tenu de la portée des points de repère sur l’organisation de nos représentations spatiales et sachant d’autre part que ‘ « toutes les interactions avec l’environnement sont guidées par la reconnaissance des objets qui le composent » ’, d’après BOUCART (1996), on est en mesure de penser qu’une photographie avec un fléchage en sur-impression pourrait fournir les indications nécessaires au guidage de façon analogique et synthétique.

De surcroît, les mots qui portent sur les objets environnementaux ont une forte valeur d’imagerie (DENIS, 1989). Lorsque ces objets sont évoqués sous forme de dessin ou photographie, le rappel est encore plus rapide. DENIS posait la question de l’analogie fonctionnelle comme fragile au niveau des traitements.

Or, il nous semble important de préparer plus spécifiquement le sujet dans sa tâche d'orientation. Les décisions qu'il doit prendre successivement sont fonction de différentes intersections avec des configurations propres, qu'il est peut-être utile de spécifier non pas à l'aide de dessin mais avec un support par définition analogique : la photographie.

Notre environnement extérieur est riche d’informations visuelles qui nous aident à construire nos stratégies de déplacement. Certains objets physiques, naturels ou urbains, s’imposent à nous en repères structurants. En conclusion de l’un de ses articles (1991), DENIS spécifie que l’imagerie est utilisée pour représenter des objets concrets ou des scènes qui elles-mêmes peuvent être imaginées de façon détaillée ou au contraire d’une façon générique et schématique. De ce fait, l’imagerie est très utile dans de nombreuses situations cognitives : l’imagerie visuelle peut être utilisée pour représenter l’information spatiale sous la forme des cartes mentales, pour représenter des relations non-spatiales.

Nous formulons l’hypothèse générale suivante :

HYPOTHESES

Une image qui combinerait les deux composantes essentielles de l'orientation les points de repère et les actions sous une forme analogique (et réduite) des intersections stratégiques d'un itinéraire serait aussi efficace, sinon plus, qu'une forme propositionnelle. Il est entendu qu'une forme propositionnelle fait référence à la fois au discours extrait d'un texte ou extrait d'un plan.

Le dessin et plus fortement la photographie présentent l’avantage de rester disponible alors que le maintien d’une image en mémoire de travail implique un coût cognitif. De plus, les représentations graphiques ou analogiques sont plus riches en détails que l’image actualisée en mémoire de travail.

Lors d’un premier itinéraire dans un environnement inconnu, des indications favorisant la description de repères, associée à une action inhérente au déplacement, aux intersections les plus cruciales du trajet constituent le fondement d’une information du guidage et ceci indépendamment du mode de transport. Les repères permettent de particulariser chaque segment de route même sur un itinéraire comportant de nombreux changements de direction. Malgré les différences individuelles sur les besoins en information spatiale, des instructions d’itinéraire, valorisant la topographie des repères, vont guider efficacement une population variée.

Afin de mieux explorer cette hypothèse, nous souhaitons la vérifier dans des contextes de déplacement différents caractérisés par l’automobile et les transports collectifs.

Dans une voiture, l’individu peut aujourd’hui s’équiper d’un système de guidage qui va lui donner les informations nécessaires à son déplacement dans une ville qu’il ne connaît pas. Ce système est donc un assistant technique qu’il peut utiliser à volonté. En d’autres termes, l’intérêt de cet équipement est qu’il libère la mémoire du conducteur des indications de guidage, donc il peut se concentrer sur sa tâche principale de conduite.

Des informations opportunes c'est-à-dire transmises quelques secondes avant la négociation d’une intersection sont-elles suffisantes pour que le conducteur puisse se rappeler l’ensemble du trajet ? Dans le cas des transports collectifs, l’étape la plus importante durant ces déplacements pour l’utilisateur est bien celle du changement de transport où il devient un piéton transitaire livré à lui-même, errant dans l'espace urbain et/ou souterrain perdant son temps à chercher l'information qui le guidera vers l'arrêt de bus ou la station qu'il recherche.

Hypothèses de travail lorsque la photographie est intégrée dans un système de guidage embarquée dans une voiture ou sur une fiche d’information des transports collectifs:

  • La photographie comme support analogique permet d’obtenir une meilleure performance par rapport aux autres formes traditionnelles d’aide à l’orientation dans un environnement inconnu car elle réduit les incertitudes et le nombre d’erreurs.
  • L’information figurative présente le contexte du carrefour et non pas un objet isolé. De cette manière, nous supposons que la reconnaissance sera immédiate car elle ne sera pas dépendante de la recherche d’un objet particulier.

Du fait que les trajets en voiture peuvent être particulièrement longs et que d’autre part l’automobiliste peut être amené à reproduire le même itinéraire, nous avons estimé que :

-Une information illustrée avec une photographie mettant en évidence les repères saillants du carrefour ainsi qu’un fléchage pour l’indication de direction est plus performante qu’une information simple avec uniquement des flèches car elle facilite la reconnaissance des lieux et la mémorisation de trajet .

Le plan de ce travail est organisé chronologiquement par la présentation de la première expérimentation en situation de conduite où l’information figurative est comparée à une information Symbolique, et secondairement l’expérimentation réalisée dans les transports collectifs. Cette fois l’information figurative est comparée avec deux autres types d’information plus traditionnels : la description d’itinéraire et le plan. L’observation a porté exclusivement sur les zones de « rupture » du trajet, c'est-à-dire durant le cheminement piétonnier intermodal.