11-3-2 Commentaires de la cartographie des erreurs

La répartition des erreurs rappelle des phénomènes de la mémoire à court terme comme l’effet de récence  (BADDELEY, 1993) : notre mémoire de travail retient plus facilement les éléments d’une liste en périphérie, particulièrement les derniers, que les éléments centraux.

Ces erreurs répétées expliquent certainement, au niveau cognitif, un lien spatial fondamental entre les carrefours donnés. Elles sont peut-être le fruit d’une organisation subjective qui aide à la mémorisation. BADDELEY, à ce propos, fait référence aux constellations célestes qui servent de véritable système d’orientation aux observateurs terriens. Le regroupement des carrefours permet de guider le rappel de l’itinéraire du départ jusqu’à l’arrivée.

On peut analyser ces binômes comme l’expression d’une amnésie partielle de secteur. Plusieurs explications peuvent être proposées. La construction de la représentation du trajet est l’encodage d’une forme globale, en l’occurrence d’une boucle, comprenant un certain nombre de changements de direction en des points précis. Il s’agit donc d’une succession d’éléments déclaratifs (les repères physiques) associées à des éléments procéduraux (les actions). Selon la capacité mnésique de chacun et du niveau attentionnel dirigé vers l’environnement extérieur, les représentations du trajet seront variées.

L’erreur est le résultat d’une reconnaissance dégradée. Au fur et à mesure du déplacement, notre système cognitif est en interaction avec l’environnement. L’automobiliste conduit son véhicule et emprunte des voies selon une représentation globale, plus ou moins transparente, du trajet. Cette représentation va s’affiner au contact des indicateurs environnementaux. L’acteur peut se souvenir, par exemple, d’une grande ligne droite sans avoir retenu un seul détail de la route car l’impression de longueur de la route est déjà une information en soi. Cet indice représentationnel sera suffisant pour agir car certains éléments du contexte confirmeront les éléments du calepin visuo-spatial.

Il est important de préciser que les carrefours intermédiaires entre le point d’arrivée et de départ ne sont que des sous buts, un passage obligatoire mais non final. Ils appartiennent à une logique globale de déplacement. Un itinéraire est morcelé en différentes zones. Ce découpage est une procédure cognitive qui économise la charge d’éléments à encoder donc à retenir. Ainsi, plusieurs carrefours appartiennent à une même zone -qui ne correspond pas forcément à la logique urbaine. Le facteur prépondérant de ce zonage spatial mental est l’effet de voisinage entre les carrefours, comme le montre la cartographie. Au vu de l’analyse qualitative des erreurs, il apparaît globalement trois interprétations possibles au niveau cognitif :

  • Oubli total d’une zone, d’une partie d’une zone ou d’un carrefour,
  • Reconnaissance des lieux mais oubli de la procédure, donc de la direction à prendre,
  • Rappel de la procédure sur un segment du trajet mais oubli de l’intersection, ce qui entraîne un sentiment de confusion aux carrefours précédents (par exemple, au carrefour intermédiaire entre les carrefours 12 et 13).

L’erreur peut être consciente ou inconsciente. En d’autres termes, les erreurs conscientes sont celles qui s’accompagnent d’hésitations. L’hésitation peut être considérée comme un indicateur de l’état cognitif face à un problème. L’hésitation révèle le dilemme que rencontre l’intéressé à choisir, à prendre une décision. Malheureusement, ce comportement est difficile à mesurer car dépend de son intensité et également de la personnalité, introvertie ou extravertie, de l’individu. Certaines hésitations sont manifestement exprimées et d’autres à peine perceptibles. Ces dernières sont évidemment les plus difficiles à déceler, par contre, lorsque l’incertitude est trop forte, elle ne peut être dissimulée et à contrario peut s’accompagner de signes ostentatoires. Ainsi, une hésitation marquée voire ostensible, témoigne d’un souvenir très flou du lieu et/ou de l’action. Les erreurs inconscientes révèlent, en revanche, de l’oubli total du lieu.

Les hésitations que nous avons relevées sont évidemment les hésitations les plus prononcées, c’est-à-dire que l’individu observé adopte une attitude exprimant sa perplexité. L’attitude va de la mimique faciale et gestuelle jusqu’à la verbalisation (ex : « je crois que c’est là mais je ne suis pas sûr »).

Les causes des erreurs

Dans les tâches d’apprentissage, il est quasiment certain que la motivation influe sur la volonté du sujet de porter son attention sur le matériel de l’expérimentation, matériel qui est ici l’environnement extérieur. La motivation n’est pas toujours liée à une récompense financière, comme l’a montrée l’expérience de NIELSSON (1987) (voir BADDELEY, 1993, p.165), mais elle est parfois dépendante de l’image que veut donner le sujet à l’expérimentateur. Le « Narcisse » qui est en chacun de nous participe activement au phénomène motivationnel lorsque la tâche de mémorisation reste dans des limites de faisabilité acceptables !

L’étendue des erreurs au sein de cet échantillon est sans doute également le résultat d’une différence du niveau de la motivation à participer à l’expérimentation. Compte tenu de l’envergure de la tâche (un trajet de vingt-deux changements de direction) nous avons convenu de dire aux sujets, avant de commencer le premier trajet, qu’ils devront réaliser un second trajet mais sans système. La consigne soulignait implicitement une tâche de mémorisation.

Selon l’assertion d’une moins bonne efficacité du système Figuratif par rapport au système Symbolique, les utilisateurs du premier système n’ont pas pu prêter la même attention à leur environnement que les autres utilisateurs. Ceci explique sans doute le nombre élevé d’erreurs du groupe involontairement « défavorisé ». Au sein d’un même groupe, les écarts de performance que nous avons relevés peuvent se justifier par les différences de capacité mnésique et d’autre part par le degré de motivation des sujets vis-à-vis de la tâche.

Malgré la diversité des situations, des constantes sont relevées comme le très grand nombre d’erreurs au carrefour 14. Il s’agit, pourtant, d’une intersection avec des repères prégnants tel que : la station service quelques mètres avant l’intersection, la maison en angle sur la gauche avec deux façades vertes et enfin le feu tricolore. Par ailleurs, cette intersection précède le carrefour, à la configuration particulière qui fourvoya bon nombre de sujets. Nous pensions que l’importance des repères devait renforcer le souvenir de cette intersection. Méprise ! Pourquoi ? Cette intersection appartient à une avenue bordée de commerces et de rues adjacentes, c’est donc une route chargée d’éléments environnementaux. La plupart des sujets, une fois sur cette route, savent qu’ils doivent tourner à droite mais sans se souvenir d’un repère particulier ; le contexte de la procédure reste alors très flou. Au fur et à mesure du déplacement, toute intersection rencontrée est propice à l’application de la procédure. Cependant, parmi ces sujets, certains viennent de vivre l’expérience de l’effet de la distorsion kilométrique des représentations spatiales : sur une grande ligne droite, ils ont confondu deux intersections en réduisant inconsciemment les distances. Ainsi, cette expérience peut entraîner une certaine défiance vis-à-vis de leurs propres représentations.

En définitive, il apparaît clairement qu’un seul passage ne permet pas d’identifier certains éléments de l’environnement même saillants et d’associer parallèlement une action quand l’intersection est neutralisée par le contexte. Une enfilade d’intersections sur une route urbaine composée de repères divers et variés ne favorise pas le détachement ou l’ancrage de l’un de ces repères. Toutefois, la fonction du repère peut modifier cette hypothèse si cette fonction est culturellement connue, intégrée et catégorisée comme une pharmacie ou plus remarquable, une église.