Cette recherche a pris naissance dans le contexte du travail d'un groupe de recherche-action (dénommé SOC) réunissant enseignants et chercheurs en didactique des sciences physiques, et ayant pour objectif commun l'élaboration de séquences d'enseignement pour le lycée. Participant au sous-groupe qui traitait de la partie "sons et ultrasons" du programme de 2nde des lycées, nous avons naturellement centré notre travail de recherche sur les processus d'enseignement et d'apprentissage des savoirs élémentaires de physique relatifs aux phénomènes sonores, et aux conditions favorables pour l'un et l'autre de ces processus.
Un sujet aussi vaste que celui "des sons"1 pose évidemment des problèmes quant à la délimitation des sujets dont la physique va traiter. Les textes officiels sont un moyen opératoire et pratique d'effectuer cette délimitation, en partant du fait que les savoirs à considérer sont ceux reconnus comme tels par la discipline2. Le fait que les sons soient omniprésents dans l'environnement quotidien, qu'ils impliquent des entités et des événements dont la physique ne traite pas forcément est quelque peu négligé : les sons vont d'abord être ce que la physique en dit, dans un mouvement implicite de détachement du champ empirique quotidien. C'est la perception de ce décalage, plus important encore que pour d'autres domaines de la physique, entre le champ de référence du physicien et le champ de référence quotidien au sujet "des sons", qui a initialement motivé cette recherche.
Si la didactique de la physique ne participe que peu à l'élaboration des contenus dont l'enseignement et l'apprentissage constitue son objet d'étude, elle a en revanche toute latitude pour choisir les inspirations théoriques et les méthodes scientifiques qu'elle estime pertinentes en référence aux objectifs fixés. Malgré sa relative jeunesse, la didactique ne s'est d'ailleurs pas privée, dans toute la variété des travaux originaux qu'elle a su produire, d'emprunter réflexions théoriques et méthodologies efficaces à d'autres disciplines, parfois à peine plus anciennes : psychologie développementale, psychologie cognitive, philosophie, épistémologie, psycho-sociologie, linguistique... Elle a su parallèlement exploiter ces emprunts pour développer ses propres méthodes et paradigmes.
Notre démarche est assez révélatrice de l'ambivalence qui vient d'être mentionnée : une référence indispensable à la discipline qui est à considérer telle quelle et une liberté toute aussi indispensable et fructueuse quant aux rencontres et échanges avec d'autres sciences humaines.
Le domaine "acoustique" est bien reconnu comme faisant partie de la discipline "sciences physiques" par la sphère savante. Il n'est nul besoin d'arguer du fait que c'est un sujet régulièrement mis au goût du jour dans l'enseignement secondaire français, en particulier pendant toute la durée de cette recherche, pour s'en convaincre. Mais autant les phénomènes électriques sont reconnus d'emblée par chacun comme relevant de la physique, autant les phénomènes sonores dans leur ensemble ne font pas l'unanimité sur ce point. Pour tout un chacun, les phénomènes sonores sont d'abord auditifs, impliquant de plus en plus d'objets techniques dont la complexité va croissante. Objectiver et conceptualiser des événements qui paraissent aussi naturels et évidents que n'importe quelle observation faite quotidiennement depuis la naissance n'est pas une chose qui s'annonce a priori facile. Les manifestations observables visuellement sont extrêmement rares, et le seul rapport perceptif évident que l'être humain entretient avec les sons, c'est... ce qu'il entend, les actions qu'il mène pour créer un son et les habitudes-réflexes qui en découlent naturellement. Le caractère familier des sons perçus et créés induit alors un décalage important avec ce que la physique dit à propos du même signifiant "son" (ou "phénomènes sonores"). Par exemple, comment ne pas être surpris par l'utilisation d'ondes acoustiques pour "voir" un foetus dans le ventre de sa mère.
Quels que soient les problèmes spécifiques, la didactique se doit d'aborder ce domaine de la physique élémentaire, d'autant plus que les travaux à ce sujet restent rares. Cette particularité des phénomènes sonores invite en tous les cas la didactique à développer davantage encore la deuxième spécificité que nous lui avons attribuée : l'ouverture de son champ de réflexion à d'autres disciplines, ou au moins à des points de vue qui s'éloignent quelque peu des problématiques de la didactique. C'est ainsi que nous avons choisi de réfléchir à ce qui est reconnu comme phénomènes sonores dans le domaine quotidien et dans le champ scientifique de la physique. L'approche phénoménologique adoptée à cet effet, influencée par quelques réflexions philosophiques, nous a semblé adaptée pour caractériser précisément le décalage mentionné ci-dessus qui, non explicité, pourrait donner lieu à des quiproquos dommageables pour l'apprentissage. Cette analyse nous a également conduit à porter un intérêt tout particulier à l'approche lexicale et sémantique qu'il est possible d'avoir des savoirs en jeu, même si les développement théoriques seront limités.
Ces "pas de côté" permettent alors d'éclairer et d'enrichir les autres éléments théoriques que nous utilisons, plus habituels en didactique : épistémologie, statut de l'expérience, transposition, rôle des représentations sémiotiques.
L'ensemble des outils théoriques utilisés permet l'analyse des sujets suivants :
contenus d'enseignement anciens et actuels au sujet du son ;
travaux sur les conceptions et sur ce que nous appellerons les systèmes explicatifs des apprenants ;
travaux sur le rôle de l'activité de modélisation.
Les conditions sont alors réunies pour étudier les traits phénoménologiques majeurs de la pensée commune au sujet "des sons" et les écarts par rapport à la physique. En ouvrant le champ empirique considéré, nous cherchons en particulier à mieux connaître les systèmes explicatifs des élèves qu'il est possible de reconstruire partiellement à partir de leur productions écrites dans des situations où descriptions et interprétations leur sont demandées. Ceci conduit à élaborer des outils méthodologiques qui seront détaillées et dont la pertinence sera discutée. Cette étude se placera également dans une perspective dynamique en se donnant les moyens d'évaluer les évolutions constatées après enseignement.
Il nous a semblé également intéressant d'analyser en quoi l'usage lexical peut contraindre ou révéler les processus cognitifs en jeu dans l'apprentissage. Une investigation sera alors menée sur certains termes ayant à la fois des facettes notionnelles et conceptuelles. Nous étudierons l'usage qui paraît le plus adapté pour les élèves et chercherons les traits sémantiques qu'ils attribuent à ces termes.
Les considérations théoriques ont également préparé le terrain pour proposer et analyser des outils d'ingénierie. Cet aspect plus pragmatique de notre recherche comporte en fait deux volets dont l'envergure et les modalités de mise en pratique sont très différentes : la progression d'enseignement concernant toute la partie "sons et ultrasons" élaborée par le groupe SOC et un outil informatique de simulation.
Pour donner une vue d'ensemble cohérente, cette présentation des points essentiels de notre travail ne respecte pas scrupuleusement son ordre de présentation, que nous détaillons ci-après.
Organisation de l'étude présentée
Notre travail se compose de quatre parties de longueurs assez différentes.
La partie A, qui comporte quatre chapitres, présente l'essentiel de nos réflexions théoriques ainsi que nos hypothèses et questions de recherche.
Le premier chapitre est consacré à des réflexions sur la nature des phénomènes sonores et sur les différentes facettes phénoménologiques qu'ils renferment. Nous étudions aussi le rôle joué par l'interaction avec nos autres sens sur les causalités construites et les outils de description des sons. Nous mettons en particulier en lumière dans ce chapitre les écarts entre une vision quotidienne et scientifique des sons en soulignant la difficulté d'une description "objective" des perceptions auditives.
Ces premières réflexions sont exploitées, dans le chapitre II, pour analyser l'enseignement de la physique à ce sujet. Après un bref historique de l'acoustique et de son enseignement, nous mettons en évidence l'intérêt d'un enseignement élémentaire des phénomènes sonores et les contraintes diverses qui pèsent sur un tel enseignement. Nous nous livrons ensuite à une analyse du savoir à enseigner actuel et à ses modifications récentes.
Le chapitre III est consacré aux points de vue théoriques sur les caractéristiques générales des savoirs quotidiens et des savoirs scientifiques, ainsi que sur la structure des connaissances de l'apprenant. Ceci permet dans un second temps d'établir une revue critique de la littérature sur les conceptions au sujet du son.
Les hypothèses et questions de recherche pourront alors être explicitées dans le chapitre IV.
La partie B est consacrée à la présentation de la progression d'enseignement proposée par le groupe SOC et aux hypothèses qui sont sous-jacentes. Elle comporte deux chapitres.
Le chapitre V apporte quelques compléments théoriques concernant les hypothèses prises en compte pour l'élaboration de cet enseignement, en particulier au sujet de la modélisation. Après une analyse du savoir à enseignement en terme de modèles et d'objets et événements, nous exposons en détail, dans le chapitre VI, les contenus et les méthode proposées et élaborées collectivement par la groupe SOC.
La partie C, avec ses trois chapitres, constitue le corps de notre recherche puisqu'elle présente la méthodologie mise en place et les résultats obtenus au sujet des systèmes explicatifs des élèves et de leur évolution, ainsi que les investigations menées au sujet de l'utilisation de la langue naturelle.
Les investigations sur les systèmes explicatifs sont exposées dans les deux premiers chapitres : le chapitre VII présente la méthodologie mise en place, en particulier les outils d'analyse des productions tandis que les résultats sont présentés dans le chapitre VIII. Ces résultats seront aussi un moyen de valider en partie l'enseignement proposé dans la partie B, puisqu'une comparaison des évolutions de deux populations (l'une des deux ayant suivi cet enseignement) est effectuée.
Le chapitre IX est consacré aux expérimentations sur les usages linguistiques. Il regroupe à la fois des aspects théoriques et méthodologiques et les résultats.
la partie D, réduite au seule chapitre X, présente le logiciel de simulation nommé simulaSON, ainsi que les hypothèses préalables à sa conception (issues de la littérature sur la simulation et les systèmes de représentation) et les conditions de son utilisation. Elle explique comment il a été possible de "faire vivre", en particulier grâce à l'animation interactive, les modèles essentiels proposés par l'enseignement de la partie B : le modèle de la vibration pour la création sonore et le modèle particulaire de la propagation du son. Nous tenterons d'illustrer en quoi il peut améliorer la construction du sens de certains concepts de la physique en favorisant la modélisation et l'interprétation des expériences réelles.
La conclusion sera l'occasion de dégager, en réponse aux questions de recherche, les apports essentiels de ce travail tant sur le plan de la méthodologie que sur celui des grandes tendances de résultats. L'articulation entre réflexion théorique, investigations de recherche et outils d'ingénierie sera alors évoquée. La portée de ces résultats et l'adaptabilité des méthodes utilisées seront discutées dans une perspective générale d'amélioration de l'enseignement et de l'apprentissage de la physique.
Cette expression est l'usage courant que nous avons pu observer, en guise de désignation de cette partie du programme.
Ces savoirs contribuent d'ailleurs, de façon tautologique, à délimiter les contours de la discipline.