I.1.4 Le son : cause ou effet ?

La difficulté et la subtilité d'analyse des impressions sonores d'une part, de la nature du phénomène sonore d'autre part sont trop vastes pour être abordées ici. Il est cependant pertinent pour ce qui nous concerne de noter la dialectique cause / effet que recouvre le concept de son et qui a émergé des développements précédents. En effet, puisque nous nous plaçons dans un contexte d'apprentissage des mécanismes physiques impliqués dans les phénomènes sonores, nous sommes appelés à étudier ce que certains appellent l'aspect "objectif" du son, cause qui précède l'effet sensoriel. Cet aspect "objectif" des sons est reconnu par la physique comme un objet d'étude et peut donner lieu, parfois au prix d'efforts importants, à des analyses et des mesures. Ce que nous appellerons dorénavant "facette physique" de l'objet d'étude "son" comprend les phénomènes physiques existant au niveau de l'objet source de son mais aussi ce qu'il se passe dans le milieu de propagation (figure I.1-3). L'Encyclopédie Universalis reprend à son compte cette dialectique du son : ‘"le mot "son" désigne à la fois une sensation auditive et le phénomène physique susceptible de lui donner naissance"’ (p. 1178).

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Figure I.1-3 : les deux facettes principales du concept "son"

Nous distinguons donc de façon schématique la cause de l'effet qui peuvent être toutes deux décrites par le même terme "son". Pour tenter de lever cette ambiguïté sémantique, Chion tente d'ailleurs de désigner l'effet, à savoir ce qui est entendu, perçu, par le terme "historiquement neuf" d'auditum, laissant le mot "son" ‘"aux techniciens et aux acousticiens, mais aussi à l'usage courant qu'on ne va pas prétendre réformer"’ (p. 272). Schaeffer parle pour sa part d' "objet sonore" pour désigner ce qui ne relève que de la perception. Certaines théories du son élaborées en philosophie, citées par Casati et Dokic (1994), ont mis en évidence cette distinction même si la causalité n'est pas forcément explicite. Ainsi, il peut être fait une distinction entre les événements sonores et les événements auditoires, objets supposés des expériences sonores. Helmoltz (1863), quant à lui, évoque dans sa Théorie physiologique de la musique les sons en tant qu'ondes sonores qui relèvent de l'acoustique physique, et les sons en tant que sensations sonores, objets de l'acoustique psychologique.

Par contre, tout en reconnaissant que ‘"la notion de flux d'information s'apparente aux concepts de causalité et de milieu"’ et que la ‘"transmission de l'information est un processus causal", Casati et Dokic (1994) pensent que "ce processus peut être considéré en deux sens : soit comme étant le milieu lui-même qui environne l'objet, soit comme s'effectuant dans ce milieu"’ (p.61). Pour ne pas entre dans les problèmes de définition philosophique de la notion de milieu (pris ici dans un sens différent de celui que lui attribue la physique), nous considérerons pour notre part les causes des perceptions auditives résident soit dans l'objet source (et son comportement événementielle), soit dans le milieu (milieu et événements y prenant place).

Il serait alors illusoire de croire qu'on va pouvoir, dans un contexte d'apprentissage, discourir sur les relations entre cause et effet en s'affranchissant de toute expérience sensible. Celle-ci constitue l'aspect "subjectif" du son, à savoir l'effet provoqué chez l'être humain par une cause ou un ensemble de causes. Nous utilisons ici le terme "subjectif" au sens où il est difficile de faire coïncider de façon simple et univoque les événements physiques et les sensations. Les relations entre ces deux aspects du son sont maintenant relativement bien connues (en particulier grâce à la psychoacoustique dont c'est l'objet principal) et les caractéristiques principales de ces relations sont relativement stabilisées, quelle que soit la population concernée.

Une fois cette précision faite, nous pouvons parler du processus d' "objectivation" des sons comme celui qui permet la compréhension des liens, même simplifiés, entre événements physiques et sensations auditives. Ce travail d' "objectivation" des sons est le point de départ de tout apprentissage de la physique relative au son et occupe donc une place centrale dans la suite du présent travail.

L'étude des sons peut difficilement se passer de l'un de ces deux aspects : c'est évident en ce qui concerne l'apport des perceptions sur la compréhension des phénomènes physiques qui les régissent mais, réciproquement, notre interprétation des sons, des paramètres physiques les caractérisant et de leur propagation peut modifier les perceptions correspondantes et permet d'envisager la détermination d'outils de classification et de description des sons perçus (cf. § I.2). Notre habitude à relier les sons et les objets sources, notre expérience perceptive et nos déplacements font que nous imbriquons intuitivement les caractéristiques de la cause et ses effets sensoriels. Articuler ces deux facettes (et en avoir conscience) n'a donc rien d'évident et nécessite un réel travail.