I.2.1 Problèmes posés par une description phénoménologique des sons: objectivité et subjectivité

I.2.1.1 Tentative de définition d'une description phénoménologique des sons

En tenant compte de ce qui vient d'être dit, on s'intéresse dans cette partie à l'analyse de ce que pourrait être une description phénoménologique des sons perçus. Il n'est pas nécessaire de développer très longtemps les avantages d'une classification et d'une description stabilisée et partagée par le plus grand nombre. Ceci permettrait en effet d'analyser les sons perçus, certes, mais aussi de communiquer à leur sujet ou encore de les synthétiser numériquement. On verra que l'emploi du conditionnel n'est ici pas superflu puisque de tels critères de description sont encore en débat et ne sont pas partagés par toutes les catégories de praticiens du son et par toutes les disciplines évoquées au § I.1.2. Reste à savoir ce que serait une description phénoménologique des sons.

Une première définition de la phénoménologie, largement admise, mais encore bien peu précise pourrait être "Théorie de l'apparence" (Encyclopédie Universalis, phénomène). Merleau-Ponty décrit dans l'avant-propos de sa Phénoménologie de la perception (1945) sa vision de la phénoménologie. Elle serait une ‘"philosophie pour laquelle le monde est toujours "déjà là" avant la réflexion, comme une présence inaliénable, et dont tout effort est de retrouver ce contact naïf avec le monde pour lui donner enfin un statut philosophique. [...] C'est l'essai d'une description directe de notre expérience telle qu'elle est, et sans aucun égard à sa genèse psychologique et aux explications causales que le savant, l'historien ou le sociologue peuvent en fournir"’.

Pour avancer dans la définition de ce que nous entendrons par la suite par phénoménologie, nous citons le passage suivant de La philosophie du son (Casati & Dokic, 1994), qui contextualise le point de vue de Merleau-Ponty dans le cas du son :

‘La plupart des descriptions des phénomènes sonores que je suis capable de donner sont tributaires de ma familiarité perceptive avec eux. Si quelqu'un me présente un Do et un Si l'un après l'autre, je peux remarquer une différence (ils m'apparaissent comme différents), même si je suis incapable d'expliquer, par exemple en utilisant une description qui fait appel aux fréquences vibratoires, la base physique de la différence. La description et l'analyse de ce qui m'apparaît, de ce que j'ai l'impression de percevoir - indépendamment de ce que j'apprends sur une base non perceptive, par exemple en lisant un livre de physique - relève de la partie phénoménologique d'une recherche philosophique. (p. 11).’

Même si notre recherche n'est pas philosophique, nous pouvons reprendre à notre compte le fait qu'une description phénoménologique du son est d'abord basée sur la perception et l'impression. Mais, au regard de notre sujet d'étude, nous prendrons nos distances avec ces définitions en ne mettant pas à l'écart de la perception les conceptions ou ce que nous appellerons plus loin les systèmes explicatifs des individus. Ainsi, tout en considérant que la démarche philosophique, qui tend à poser le problème de la nature du perçu en termes de relation d'un objet et d'un sujet, est un cadre de réflexion intéressant, il nous paraît important de ne pas opposer analyse phénoménologique et analyse physique, surtout sur un sujet comme le son (Merleau-Ponty n'hésitait pas à affirmer : ‘"La phénoménologie, c'est d'abord le désaveu de la science"’). Plus précisément, il serait dangereux d'enfermer le point de vue phénoménologique dans quelque chose de "naïf" et "premier" pendant que le point de vue physique serait considéré comme réfléchi, élaboré et bien plus conceptuel. La possibilité évoquée en philosophie d'une description ‘"des choses elles-mêmes en dehors de toute construction conceptuelle"’ (extrait du sens philosophique de "phénoménologie" donné par le Petit Robert, 1993) nous paraît quelque peu illusoire aussi bien pour le physicien que pour l'apprenant. En effet, le physicien peut avoir une phénoménologie imprégnée de connaissances parfaitement intégrées qui lui donnent l'impression de percevoir de telle ou telle façon. En un sens, il ne peut pas faire autrement (à moins d'aborder lui-même la question d'un point de vue philosophique) et mettra donc facilement en oeuvre ce que Martinand (1992) appelle une phénoménographie, ‘"description empirique mais déjà conceptualisée".’ L'élève en situation d'apprentissage, quant à lui, n'a pas les moyens d'aborder son expérience sensible sans prendre en compte les conceptions préexistantes qu'il possède inévitablement.

Nous nous placerons donc ici davantage dans un cadre un peu plus ancien que celui des définitions philosophiques modernes, en rejoignant ‘"le schéma, à la fois grec et ancien, de la participation de l'extérieur et de l'intérieur, ou de l'objectif et du subjectif, à l'élaboration du phénomène"’ (Encyclopédie Universalis, phénomène, p. 942).