I.2.3 Description des modes de propagation

Nous avons à ce stade évoqué les particularités et les ambiguïtés du concept "son" et cherché à distinguer les différents aspects qu'il peut contenir. Nous avons en particulier étudié les liens entre les phénomènes se déroulant au niveau de la source et leurs effets perceptifs (et la difficulté de caractérisation de ces liens). Pour rendre complète l'étude de ces relations, il est nécessaire d'aborder le rôle du milieu dans cette relation entre cause et effet. Nous avons déjà mentionné que nous incluons les événements se déroulant dans le milieu dans la facette "cause" du son. L' "objet son" constitue alors l'objet de prédilection de l'acoustique physique. Cette étude peut même s'effectuer en dehors de la considération de toute perception humaine. Nous reviendrons donc tout naturellement plus en détails sur ces aspects physiques de la propagation de l'onde sonore dans le chapitre suivant consacré au regard que la physique porte sur le son.

Il n'est cependant pas dans notre intention de négliger les facultés humaines qui utilisent implicitement des propriétés de la propagation du son parmi lesquelles on peut citer : parler plus fort pour être entendu s'il y a des obstacles, s'attendre à ce que ça résonne dans une pièce, s'attendre à percevoir un écho, localiser une source sonore dans l'espace. Ces activités sont le reflet de phénoménologie personnelles au sujet du déplacement du son. Mais même si le fonctionnement de la sphère auditive intervient dans ce type de facultés qui nous paraissent innées, nous ne nous intéressons pas ici pour notre sujet aux mécanismes physiologiques et neurologiques qui sous-tendent ces facultés.

La familiarité que l'être humain entretient avec les phénomènes sonores et la prédominance des situations où la transmission paraît instantanée peut lui faire oublier que le son se propage (il n'en a pas forcément besoin pour interpréter ses perceptions). On peut cependant se poser la question de la façon dont l'Homme décrit la transmission des sons, et à partir de quels indices sensibles il formule des descriptions.

Nous avons vu (§I1.5) que, comme pour la vue, le milieu et le déplacement ne sont pris en compte que lorsque la modification perceptible auditivement n'est plus imputable à l'objet ou à l'événement source. Ceci en accord avec ce que Casati et Dokic (1994) appellent le principe différentiel : ‘"à une différence perceptive doit correspondre une différence dans le monde’ ". Nous nous contenterons de souligner ici que la relativement grande diversité des termes utilisés pour le déplacement du son (ou ayant un rapport avec une occupation spatiale du son).

La référence à l'espace ou à la distance peut d'abord se manifester dans la description des sons perçus, comme caractère pertinent : on peut dire d'un son qu'il est lointain, pour signifier qu'il est faible et mal contrasté ; ou encore qu'il est virevoltant. Certaines expressions utilise même un lexique qu'on pourrait qualifier de cinétique ou de mécanique, ce qui n'est pas sans ambiguïté du point de vue de la physique : un son rapide n'est pas un son qui va vite mais plutôt un son court ou éphémère ; dans un son en mouvement, c'est l'aspect changeant qui est signalé, davantage que son déplacement spatial.

Le déplacement en tant que tel bénéficie lui aussi d'un lexique relativement varié. On a déjà signaler la différence sémantique entre "se déplacer" et "se propager" tenant à la nature de ce qui est en mouvement, respectivement plutôt matérielle et plutôt abstraite (l'actant prototypique de la propagation étant l'onde). Mais on peut aussi dire des sons, sans que ce soit d'ailleurs anodin quand à la description du son éventuellement perçu, qui se répandent, qu'ils rayonnent, diffusent, rentrent dans, ou encore qu'ils s'épuisent. Le champ sémantique des déplacements mécaniques peut aussi être utilisé : un son peut traverser, atteindre, aller vite, rebondir, monter, ou même voler. Lucrèce (1er s. av. J.-C.) explique déjà dans De natura rerum ‘que "les sons destinés à notre oreille cheminent (c'est nous qui soulignons) plus lentement que les images capables d'émouvoir notre vision’ ". La force des métaphores s'exprime largement ici, et l'utilisation de telle ou telle expression révèle bien souvent les pensées du locuteur au sujet du son (Lakoff & Johnson, 1980).

Enfin, les expressions plus techniques permettent de décrire le son en mouvement. En effet, le physicien parlera, outre de la propagation de l'onde sonore, de possibles réflexions, diffraction, atténuation, absorption de l'onde, action qui sont subies par l'onde sonore mais n'en sont pas moins liées à son aspect dynamique. Nous n'en dirons pas plus dans cette partie sur ces phénomènes qui d'une part concernent essentiellement la physique, d'autre par implique aussi la matière en interaction avec le son, dont nous parlons dans le paragraphe suivant.

Quoi qu'il en soit, ces descriptions plus ou moins courantes de l'aspect mobile des sons pose le problème du statut de l'objet "son" dans toutes les expressions citées ci-dessus. Pas vraiment perception puisque situé hors de l'oreille, pas vraiment onde sonore bien conceptualisée si on ne se place pas dans le cadre de l'acoustique physique, quelle peut être la nature de l'objet qui est pourtant mis en scène ? De la matière, de l'énergie, de l'information, une sorte de vent ? On verra que la délimitation de cet objet, souvent plus hybride que bien défini, n'est pas simple et qu'elle n'est pas sans poser des problèmes importants à l'apprentissage.