II.1.1.3 Le renouveau de l'acoustique : un contexte mécanique et mathématique

Mersenne publie Harmonie universelle en 1636 et on peut dire que c'est à partir de ce moment que l'acoustique devient un domaine bien plus lié à la mécanique en plein essor (dont elle va vite constituer une branche) qu'à la musique. En effet, si Mersenne s'intéresse aussi aux phénomènes musicaux, il essaie d'en comprendre le fonctionnement et il s'attache en particulier à étudier ce qui se passe dans le milieu de propagation, en menant des expériences minutieuses. Il explicita en particulier l'égalité de la fréquence du mouvement vibratoire de l'air et celle de la vibration du corps excitant l'air. Il mit aussi en évidence le lien privilégié entre fréquence de la vibration et hauteur (caractère aigu-grave). Il serait bien entendu injuste et inexact d'attribuer au seul Mersenne ces résultats issus de l'acquis des siècles précédents. Galilée (1564-1642) s'est lui aussi intéressé au même moment à ces problèmes en mettant en lumière l'importance de la notion de fréquence, ou encore en décrivant le phénomène de résonance entre deux corps vibrants. Galilée publie en 1638 Discours mathématique concernant deux sciences nouvelles. Le titre de cet ouvrage rend compte de l'apparition d'un formalisme mathématique omniprésent (pour ne pas dire systématique) et qui ne quittera plus le domaine de l'acoustique. Mersenne lui-même, dans la tradition mécaniste de l'époque (le but de la science serait de trouver les relations mathématiques entre les grandeurs physiques gouvernant les choses), a abondamment recours au formalisme mathématique. Cependant Locqueneux (1987) explique que pour Mersenne, si la ‘"science s'attache à la partie mathématisée ou pressentie comme mathématisable de la connaissance", "la fécondité de la traduction mathématique des phénomènes ne peut faire oublier la réduction qui est ainsi opérée sur la réalité : l'abstraction qui fait du son un ébranlement de l'air laisse la sensation en dehors de la science"’ (p. 39).

Le fait que le son possède un caractère ondulatoire est renforcé par ce renouveau de la discipline, en particulier par recours aux analogies. Le rapprochement est en effet réalisé entre le caractère ondulatoire et ce qu'on connaît alors des ondes, qui est également rencontré pour le son : il peut contourner des obstacles, interférer avec lui-même, se diffuser dans toutes les directions. Les recherches de Otto von Guericke sur le vide (en 1650) poursuivies par celles de Boyle (en 1660) qui enferme sous une cloche à vide une petite horloge, permettent de montrer la nécessité d'un milieu matériel pour que le son se propage et finissent de convaincre la plupart des savants de l'époque de la nature ondulatoire du son. Cependant, certains s'opposent à ce point de vue, et tout particulièrement Gassendi (1592-1655). "Atomiste" convaincu, il explique que le son serait ‘"dû à un courant d'atomes émis par l'objet sonore ; célérité et fréquence du son étaient interprétées respectivement comme la vitesse des atomes et leur nombre émis par unité de temps..."’ (Encyclopédie Universalis, p. 177). Nous soulignons ici ce point de vue pour l'intérêt qu'il représente quant aux conceptions de l'apprenant qu'il est possible de mettre en évidence (voir plus loin).

Cependant, l'acoustique ne connaîtra jamais les polémiques et les affrontements qui aboutirent à fonder l'optique moderne puis l'électromagnétisme. En quelque sorte, l'aspect corpusculaire du son ne fit jamais vraiment recette dans les milieux scientifiques et c'est dans le cadre de l'aspect ondulatoire que l'optique et l'acoustique étaient mis en regard. Huygens (1629-1697), ainsi que Euler (1707-1783), explicitait même l'analogie en faisant des deux types d'ondes des phénomènes similaires de vibration des molécules des corps élastiques dans le cas du son, de l'hypothétique éther dans le cas de la lumière. On sait que ce dernier point de vue dut être remis en cause plus tard.

La fin du 17e siècle et le 18e siècle sont consacrés au développement de la théorie mathématique de la propagation du son. S'étant nettement affranchi des rapports privilégiés qu'elle entretenait avec la musique, l'acoustique fait dès lors partie de la mécanique et il n'y a rien d'étonnant à constater que les avancées significatives sont réalisées par des savants souvent cités en mécanique. Le mouvement est initié par Newton (1642-1727), qui en 1686 proposa une explication du mécanisme de propagation (des chocs se propageant de molécules en molécules) et affirma que la vitesse de propagation était proportionnelle au quotient de la racine carrée de l'élasticité par la densité en faisant l'analogie avec des ondes longitudinales sur un ressort continu (Modèle de Newton). Notons qu'à la fin du 17e siècle, par suite du refus d'accorder à l'eau et aux liquides une élasticité, la propagation du son dans les liquides était également niée (jusqu'en 1743). La formule de la vitesse dans l'air ne fut mesurée expérimentalement qu'après les travaux de Newton : on peut par exemple citer une mesure effectuée en 1738 par Cassini, Maraldi et Lacaille bien meilleure (337 m.s-1 dans l'air) que toutes celles effectuées jusqu'alors (Taton, 1961). C'est finalement Laplace, en 1826, qui accorde les nouvelles mesures et la formule théorique en remplaçant la compressibilité isotherme par la compressibilité adiabatique dans la formule établie par Newton. L'acoustique bénéficia du développement du formalisme mathématique ondulatoire de la théorie des champs (physique du continu), en particulier avec les développements de Lagrange (1736-1813) et d'Alembert (1717-1783). Ce dernier explicite et intègre l'équation aux dérivées partielles à laquelle il a laissé son nom. Daniel Bernoulli (1700-1782) et Euler (1707-1783), dont les noms évoquent la mécanique des milieux continus, s'intéressèrent d'un point de vue mathématique aux phénomènes vibratoires complexes, en particulier dans des solides aux formes variées.