II.1.2 Histoire de l'enseignement de l'acoustique

II.1.2.1 Des débuts révélateurs

Dans l'introduction de son ouvrage Acoustique et électroacoustique (1965), Jean-Jacques Matras affirme : ‘"Il faut dire très honnêtement que l'enseignement classique – surtout en France – réserve une place minime [à l'acoustique], toujours la même depuis bien longtemps (tuyaux sonores, cordes vibrantes, consonance et dissonance, quelques aperçus sur la propagation) qui ne donne aucune idée de son évolution récente et de son degré d'avancement"’ (p. 23). Cette constatation a déjà 35 ans, ce qui est relativement peu à l'échelle de l'histoire de l'enseignement de l'acoustique. Nous tentons ici de juger de la pertinence de tels propos en passant rapidement en revue l'histoire de la présence du son dans l'enseignement français, des premières apparitions à aujourd'hui. Nous étudierons essentiellement l'enseignement secondaire d'une part par choix et par référence à notre sujet de recherche, d'autre part sous la contrainte inhérente au système français qui ne dote pas l'université de programmes officiels. Il semble cependant, en tous les cas pour le passé très proche, que l'acoustique soit moins présente à l'université qu'au lycée, tout spécialement si la comparaison est faite par rapport à l'optique (Maurines, 1999)

Avant la Révolution française, "les sciences modernes ne sont pas reconnues comme une partie intégrante de l'enseignement de niveau secondaire" (Belhoste, 1995, p. 22). Il est donc légitime, pour notre étude restreinte, de se limiter à l'enseignement après la Révolution et jusqu'à aujourd'hui. Comme pour l'histoire de l'acoustique, on constate au début de l'Instruction publique (après la Révolution française) un lien assez fort entre acoustique et musique. Tout au moins, la présence de notions d'acoustique dans l'enseignement de la physique est motivée par le désir de faire comprendre la musique. L'enseignement de l'acoustique va tout au long de son existence être influencé par son rapport à la musique. La référence à la discipline "musique" est alternativement passée sous silence ou explicitée, dans un souci de complémentarité, voire de transdisciplinarité à la fin du 20e siècle. Cependant les statuts des deux disciplines ne sont pas identiques vis-à-vis de l'instruction. En effet, la musique peut être considérée comme une discipline à part entière (ce qui ne veut pas dire qu'elle a toujours été enseignée et qu'elle a toujours bénéficiée d'un statut très noble, réservée par exemple en 1836 mais aussi en 1924 aux seules jeunes filles, à côté des arts ménagers) ; par contre, avant l'université, l'acoustique n'est qu'une partie des sciences physiques. Ainsi, cette branche de la physique peut disparaître des contenus d'instructions sans mettre en péril le statut de sa discipline mère. Par contre, la présence ou l'absence de la musique sont révélateurs de choix politiques et en particulier de la place que la société accorde à la formation artistique de ses citoyens.

Certaines notions d'acoustique (en particulier celles relatives aux vibrations des cordes ou aux longueurs des tuyaux sonores) ont pu être enseignées par la discipline "musique" au cours de l'histoire. Nous regardons ici l'acoustique enseignée uniquement dans le cadre d'un contenu de sciences physiques. Nous renvoyons pour plus de détails sur l'histoire des liens entre enseignements de la physique et de la musique au travail déjà cité de Daniel Beaufils et Marcel-Jean Vilcosqui (1998) et au recueil de textes officiels regroupés par Vilcosqui (1998).

Si l'enseignement des sciences et en particulier des sciences physiques n'est plus vraiment contesté après la Révolution, il faut attendre le 30 novembre 1814 pour voir la première mention de l'acoustique dans des textes officiels. Ce fait historique est suffisamment important pour que nous citions complètement la trace que nous en avons. Le "programme des cours des sciences physiques dans les collège royaux" (nouveau nom donné aux lycées) précisent pour les élèves de troisième année du cours élémentaire qui suivent la classe de philosophie, dernière année du lycée correspondant à peu près à la Terminale actuelle :

Sixième partie(cité par Belhoste, 1995)

  • Acoustique. De la propagation du son dans les corps solides et liquides. De la compressibilité de l'eau, déterminée en comparant son volume dans le vide et sous pression atmosphérique. De la propagation du son dans les gaz et en particulier dans l'air.

  • Vitesse du son déduite du calcul et de l'observation. Explication de la différence des résultats.

  • Examen des diverses circonstances qui font varier l'intensité du son.

  • De la réflexion du son. Des échos. Du porte-voix.

  • Lois des vibrations des cordes tendues.

  • Comparaison des sons. Moyens d'en exprimer les intervalles. Du tempérament. Des sons harmoniques. Expérience de Sauveur6.

  • Lois des vibrations des verges et des surfaces élastiques. Expériences de Chladni7.

  • Théories des instruments à vent.

  • De la distinction des sons simultanés.

Dès 1821 des consignes sont données pour que du matériel d'acoustique soit présent dans les collèges royaux. Cette même année, l'acoustique apparaît dans les programmes du baccalauréat ès sciences pour les futurs étudiants en médecine ‘("Dans l'acoustique, les lois générales de la formation et de la propagation du son, soit dans un milieu indéfini, soit dans les tuyaux, avec leur application aux organes de l'ouïe et de la voix"’).

En 1828, l'acoustique apparaît dans les programmes des deux années de philosophie non plus en tant que telle mais pour la premières fois à la suite d'une étude des mouvements vibratoires des corps (la partie correspondante s'intitule "Phénomènes physiques produits dans les corps par les forces moléculaires répulsives et attractives"). On y voit pour la première fois mentionnée l'"expérience de la clochette dans le vide". Le programme, très complet, inscrit aussi en deuxième année la relation entre la vitesse du son, "la force élastique, et la densité des corps véhicules du son" et les mesures expérimentales de la vitesse de propagation (avec influence de la température) et des éléments d'acoustique musicale. Ce programme couvre, avec davantage de détails et de formalisme, un domaine d'étude similaire à celui qui est actuellement présent en classe de seconde et que nous détaillerons plus loin.

Il n'est en effet pas nécessaire d'énumérer les fréquents changements de textes officiels pour constater une relative stabilité des contenus d'acoustique (stabilité bien évidemment toute relative si l'on prend en compte la variété des niveaux et des sections). Les deux exemples initiaux ci-dessus rendent compte d'une part du contenu qui va devenir une sorte de "noyau dur" des contenus d'acoustique au cours de l'histoire d'autre part de l'alternance entre l'acoustique pour elle-même et l'acoustique comme exemple, illustration ou domaine d'application des phénomènes vibratoires et/ou oscillants.

Notes
6.

Joseph Sauveur (1653-1716) a travaillé expérimentalement sur différents sujets concernant les sons mais il semble que l'expérience mentionnée ici fut réalisé en 1700 ; elle consistait à déterminer les noeuds et les ventres d'une corde vibrante en utilisant des cavaliers de papier (Taton, 1961).

7.

Les expériences de Chladni (1756-1827) consistent à observer les figures que dessinent du sable sur des surfaces solides mises en vibration.