II.2.2.5 Un moyen d'illustrer l'imbrication moderne technologie-physique

Nous avons déjà évoqué les liens historiques importants entre l'acoustique et les instruments de musique, pendant longtemps sources principales des recherches. Ces liens se sont par la suite assez largement distendus, au fur et à mesure que l'objectivité du physicien ne suffisait plus à expliquer les perceptions humaines. Paradoxalement, les écarts entre les deux disciplines sont devenus encore plus importants lorsque les moyens technologiques de mesure (en particulier électriques) sont apparus (Leipp, 1989). La technologie a pris une place de plus en plus grande en acoustique (au fur et à mesure la musique intéressait de moins en moins les acousticiens) mais aussi dans la vie quotidienne "sonore". Tout individu du monde occidental utilise maintenant quasiment quotidiennement des haut-parleurs ou des disques, et l'utilisation du microphone est devenue naturelle. Il semble même que cette évolution technologique s'apprête à connaître un second souffle avec l'arrivée dans les foyers de la synthèse et de l'analyse numérique (les "home-studios"). Il n'est pas question dans cette section de mettre en doute l'appartenance de ces objets technologiques à un champ empirique de référence sonore. Il n'est pas contestable, cependant, que ces objets sont presque toujours impliqués dans les phénomènes sonores (et pas seulement dans la vie quotidienne). Le physicien utilise ces outils techniques mais contribue aussi par la manipulation du savoir savant de la discipline à les améliorer. L'acoustique apparaît ainsi, parmi tous les champs de savoir des sciences physiques, comme un bon exemple d'imbrication des savoirs théoriques et des technologies, si tant est qu'on puisse toujours les séparer nettement. De plus, les évolutions en acoustique sont un moyen d'illustrer le fait que la théorie ne précède pas systématiquement la technique. De nombreux développements théoriques ont été rendus possibles, dans le domaine de l'acoustique peut-être plus que dans d'autres, grâce à l'apparition de nouvelles technologies. Les appareils technologiques précèdent parfois ou suivent au moins de très près les avancées théoriques. Il semble bien que ce soit une particularité du fonctionnement de la science moderne (Rosmorduc, 1996).

Cet aspect des choses est également le moyen d'illustrer les écarts importants qui peuvent exister entre une idée théorique et son application pratique soumise à des contraintes de nature bien différente (facilité d'utilisation, erreur humaine, dissipation énergétique par exemple). Il y a dans ce passage intervention de nombreux savoir-faire et compétences spécifiques ; l'observation de la constitution d'objets pourtant "simples" (ou perçus comme tels) comme un haut-parleur ou un microphone peut être à ce sujet tout à fait judicieuse.

On voit bien ainsi comment la physique savante peut plaider pour ce type de présentation de la physique qui montre une science ancrée dans le quotidien et avec un lien fort avec des objets de tous les jours. Cependant, la physique scolaire, pour être légitimée, doit trouver un équilibre difficile entre une science "quotidienne" qui ferait la part trop belle aux applications technologiques et une science théorique (plus proche de celle qui se pratique) davantage tournée vers la manipulation de concepts, éventuellement au moyen d'expériences construites et plus éloignée de la vie quotidienne.