II.2.3.1 Contraintes d'un enseignement introductif sur les outils de description et de représentation (iconographiques et langagiers)

Il est bien évident qu'une bonne partie des contraintes liées au fait que l'apprenant est novice sur le sujet sont elles-mêmes sous-tendues par les hypothèses d'apprentissages qu'adopte plus ou moins explicitement l'institution scolaire et qui pèsent elles aussi sur les processus de transposition. Nous ne détaillerons pas dans ce paragraphe l'analyse de ces hypothèses d'apprentissages, auxquelles nous consacrerons une partie ultérieure (chapitre IV en particulier). Selon les besoins de la discussion nous pourrons cependant mentionner la ou les hypothèses sous-jacentes à tel ou tel aspect du fonctionnement scolaire.

Le novice dispose d'abord de ses sens pour apprendre ce qu'est un son, pour comprendre comment cette sensation est corrélée à des phénomènes physiques, à des objets physiques ou encore comment l'objet physique "son" se comporte, se crée et se capte. L'ouïe, bien évidemment, va jouer un rôle essentiel et indispensable. Cependant, l'écoute en groupe n'est pas toujours aisée. Elle induit inévitablement des variations individuelles perceptives fortes du fait de la subjectivité inhérente aux perceptions auditives mais également à cause de la position spatiale spécifique de chaque élève par rapport à l'émetteur. Même dans des conditions d'écoute optimales, cette activité est insuffisante pour expliquer et interpréter les phénomènes mis en jeu. Nous avons déjà dit au chapitre I combien il était difficile d'étudier une perception auditive le plus souvent éphémère, changeante, dont on peut difficilement garder une mémoire. Pour mener à bien les études nécessaires à la corrélation entre des phénomènes descriptibles objectivement et des perceptions plus subjectives, il est alors naturel de chercher d'autres modes de description et de représentation.

Les concepts de la physique sont alors évidemment très utiles pour la description des phénomènes. Comme nous l'avons vu, lorsqu'ils sont impliqués dans un formalisme mathématique ondulatoire, ils sont suffisants au physicien pour décrire les phénomènes physiques qu'il étudie. Ceci ne l'affranchira pas des mesures éventuellement nécessaires mais la description formelle à l'aide de grandeurs physiques parfaitement définies suffit pour que la communauté savante communique et progresse.

La situation est très différente lorsqu'un apprenant doit décrire et interpréter des phénomènes sonores. D'une part, les concepts et grandeurs physiques utilisés sont à définir avant qu'il puisse s'en servir comme outils. D'autre part, il est rare (surtout depuis quelques années) qu'un élève du secondaire ait des connaissances suffisantes en mathématiques pour pouvoir utiliser le formalisme mathématique et la notion de champ spatio-temporel (quant bien même il saurait le faire, nous avons de bonnes raisons de penser que cette manipulation mathématique ne favoriserait pas forcément la compréhension des concepts manipulés et des phénomènes). Nous prendrons donc ces deux points (nécessité d'une compréhension préalable des concepts et inaccessibilité du formalisme mathématique ondulatoire) comme contraintes importantes pesant sur la détermination du savoir à enseigner.

La description en terme de grandeurs physique doit donc être visée. Elle sera utile à la description du comportement de la source de son (fréquence, amplitude en particulier) mais également à la description de l'onde sonore (vitesse, longueur d'onde par exemple). Les mathématiques interviendront relativement peu si le choix est fait de ne pas aborder le formalisme ondulatoire. Ces grandeurs pourront néanmoins être mises en relation quand cela sera possible et pourront également donner lieu à des représentations iconographiques (schémas, images, graphe...). La manipulation de ces grandeurs, dont la représentation graphique n'est qu'une modalité, ne prend néanmoins sens que lorsque la signification des grandeurs elles-mêmes est assurée. Finalement (mais antérieurement dans le processus d'enseignement), il convient de donner à l'apprenant les moyens de comprendre ce que signifient ces grandeurs (ou les concepts) qui servent à décrire et interpréter les phénomènes.

Pour ce faire, il est alors naturel d'utiliser des supports visuels, en particulier iconographiques. L'observation visuelle des phénomènes eux-mêmes est rarement possible, en particulier du fait de leur rapidité que la persistance rétinienne empêche de visualiser et à cause de la grande difficulté d'observation des modifications du milieu de propagation. L'apprenant peut seulement dans certaines situations observer visuellement des manifestations indirectes de la présence d'un son.

La nécessité de "rendre le son visible" (sans oublier quand c'est possible de rendre le son "touchable") pour pouvoir mieux appréhender ce qu'est le son "objectif" (cf. chapitre I) devient alors un problème majeur posé à l'enseignement..

Les représentations schématiques apparaissent alors comme des moyens utiles de donner une description visuelle compréhensible des concepts ou des phénomènes. Ce qui est visé, c'est la perception de tel ou tel phénomène ou de tel ou tel aspect du son à travers les représentations sémiotiques diverses. Les représentations visuelles de l'amplitude d'une vibration ou encore de l'état "microscopique" d'un milieu traversé par une onde sonore (qui permet entre autre de "matérialiser" la longueur d'onde) contribuent par exemple à représenter certains aspects de ce qui est perçu ou de ce qui se passe dans le milieu.

On sent poindre aussi à ce sujet le besoin d'images animées, en particulier d'animations ralenties pour suivre ce qui se passe (Foley, 1995 ; Robles, 1997). Si certaines images fixes sont facilement réalisables à l'école (ne serait-ce qu'au tableau), d'autres restent difficiles soit à obtenir soit à présenter aux élèves. De plus, présenter pour des besoins pédagogiques des images animées n'est pas encore une pratique très répandue en sciences physiques. Dans ces domaines, des progrès se sont faits (en particulier avec l'arrivée des "techniques audio-visuelles") et se font encore sentir. On peut penser que les nouvelles technologies vont bientôt permettre la généralisation des ces pratiques dans l'enseignement (Beaufils et al., 1997).

Par ailleurs, la physique a l'habitude de représenter une oscillation ou vibration au cours du temps, ce qui conduit ici à des représentations graphiques des vibrations sonores. Ce qui est représenté est généralement l'évolution de la vibration en un endroit donné au cours du temps (signal qui peut donner lieu à une analyse harmonique). Cette représentation tend à être présente dans la vie courante, sous forme iconique (pour symboliser un son, on dessine un petit signal du type IMAG01) ou sous forme plus sophistiquée dans les logiciels de création sonore pour le grand public. C'est aussi ce type de courbe qu'on obtient lorsqu'on branche un microphone à un oscilloscope, sans précision explicite cette fois que le signal est donné en fonction du temps (figure II.2-1ci-dessous).

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Figure II.2-1 : exemple de signal visualisé à l'oscilloscope à l'aide d'un microphone

Le spécialiste peut donc facilement se surprendre à dire qu'il "voit le son" ! La perception auditive n'est souvent plus nécessaire de son point de vue. Pour "rendre le son visible", on a donc coutume d'utiliser des schémas ou des courbes, souvent sans entendre les sons correspondants. Quand, malgré tout, on essaie d'entendre et de voir en même temps, on a alors recours à des technologies (microphones, appareils électriques, appareils de mesure...) qui ne facilitent pas forcément la compréhension des phénomènes puisqu'elles sont elles-mêmes complexes dans la mesure ou comprendre leur fonctionnement implique de comprendre les concepts physiques en jeu.

Signalons également les possibilités de représentations de la propagation des ondes (sonores ou lumineuses). On peut les classer en deux grandes catégories issues des représentations utilisées dans les manuels de physique, représentées de façon typique sur la figure II.2-2 ci-dessous, et consistant à représenter les rayons (direction de propagation de l'énergie) ou les surfaces d'onde :

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Figure II.2-2 : représentations typiques de la propagation d'une onde (rayons à droite, surfaces d'onde à gauche)

On trouvera une étude détaillée de l'utilisation par des élèves du secondaire et de l'université et de la présence de ces schémas dans les livres scolaires et de vulgarisation dans l'important travail de L. Maurines qui les replace dans une problématique plus large (Maurines, 1999). Ces représentations sont largement utilisées dans la vie quotidienne sous des formes plus ou moins variées, par exemple comme représentation iconique (IMAG02) ou dans des schémas un peu plus sophistiqués (figure II.2-3) mélangeant parfois plusieurs types de représentations (la figure de gauche ci-dessous emprunte à la surface d'onde et à une représentation microscopique). Elles sont donc disponibles pour le novice et induisent bien évidemment des idées plus profondes sur la nature de la propagation en jeu.

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figure II.2-3 : figures utilisant les représentations en surfaces d'onde ou en rayons (figures issues de Pierce J.R., 1984, p. 27 (à gauche), du manuel de seconde Tomasino & Pénigaud, 1993, p. 167(à droite))

Dans le domaine de l'acoustique musicale coexistent les représentations qui sont plutôt celles du musicien (la partition essentiellement) et celles qu'utilisent plutôt le physicien (forme d'onde, spectre issu de l'analyse de par transformée de Fourier mais également sonagramme). Ces représentations ne sont plus maintenant cloisonnées et sous l'impulsion de l'informatique musicale, il est de plus en plus courant de voir des musiciens manipuler des spectres ou des sonagrammes. Quelle que soit la représentation adoptée, on se heurte à la difficulté de représenter la diversité des paramètres sonores dans un espace réduit et avec une symbolique qui peut facilement prendre sens. L'objectif est de pouvoir s'approcher le plus possible d'une bijection entre ce qui est perçu et ce qui est représenté (Raquillet, 1987). Les inconvénients de telle ou telle représentation ont été largement étudiés. Les objectifs de la représentation et la nature de ce qui doit être représenté permettent de faire un choix de la représentation la plus adaptée. Par exemple, la phase n'étant pas perçue, il ne sert a priori à rien de la représenter10. Nous conviendrons par exemple avec Beaufils et Le Touzé (1998) que c'est le sonagramme, objet absent des contenus d'enseignement officiels jusqu'à maintenant, qui est le plus efficace pour décrire et comparer les sons et qui s'approche le plus de la bijection visée. Il nécessite cependant, pour être utilisable, des connaissances théoriques relativement importantes, en particulier au sujet de la compréhension et de la signification du spectre puisqu'il en est une représentation au cours du temps. Comme les sujets dont nous traiterons par la suite ne concerne pas l'acoustique musicale, nous n'aurons nul besoin de représentations spectrales ou par sonagramme.

L'utilisation de toute représentation sémiotique du son implique donc de façon sous-jacente des connaissances, des liens entre objets du monde perceptifs et objets (conceptuels) de description de la physique. Pour évidents qu'ils puissent paraître au physicien, ces liens sont à construire pour l'élève, avec les moyens disponibles intellectuellement et matériellement. Les investigations que nous avons pu mener à ce sujet montrent que ces liens ne sont évidents ni à construire ni à utiliser pour décrire et/ou prédire. Nous reviendrons par la suite, dans des contextes plus précis, sur l'importance des représentations sémiotiques (partie D en particulier).

Enfin, on peut signaler que la visée d'un savoir partagé par tous en fin d'enseignement (le plus proche possible du savoir à enseigner) induit une certaine normalisation du vocabulaire de description utilisé. Certains mots peuvent ainsi devenir autorisés alors que d'autres sont rejetés. La richesse et la variété de description permises par la langue française pourraient être bridées (ou leur développement empêché). Si cette étape paraît raisonnablement indispensable dans une première phase d'apprentissage de la physique des phénomènes sonores, il nous paraîtrait dommage de ne pas revenir dans un second temps à une analyse critique des descripteurs de la physique à la lumière des termes que peuvent avoir envie d'utiliser spontanément les apprenants.

Notes
10.

Raquillet (1987) propose à cet effet une représentation, le cyclogramme, qui ne prend pas en compte la phase mais qui permet de représenter la forme d'onde. Le principe est basé sur une construction de Fresnel. Malheureusement cette représentation ne permet pas de distinguer deux sons de hauteurs différentes.