II.3.1.1 L'épistémologie du programme

Dans le texte d'introduction de tous les nouveaux programmes de l'époque ("Principes directeurs de l'enseignement de la physique et de la chimie au collège et au lycée"), il est possible de lire les objectifs sous-jacents sur ce que doit être la fonction de la physique, sur la façon dont elle fonctionne. Ce texte d'introduction générale à la réforme des programmes de l'époque s'inspire explicitement des textes de quelques "instances de réflexion" : il est ainsi fait cas de la prise en compte du texte de réflexion des sociologues P. Bourdieu et F. Gros "Principes pour une réflexion sur les contenus d'enseignement", du Rapport de la mission de réflexion sur l'enseignement de la physique, de la Déclaration du Conseil National des Programmes sur l'Enseignement des Sciences Expérimentales. La référence au savoir savant est explicite puisque les "associations de spécialistes" sont mentionnées. Il est donc possible d'identifier clairement ici des éléments de la noosphère.

Le programme de seconde entre bien sûr dans la logique de ces principes directeurs de l'enseignement de la physique au niveau du secondaire mais bénéficie à côté de ce texte d'un texte spécifique qu'il est également instructif d'étudier. Ce texte présente les objectifs et les contenus du programme, avant d'entrer dans le détail des contenus11.

Globalement, les deux textes affirment la volonté d'un enseignement plus près du "monde extérieur", moins formel, moins vaste et favorisant la compréhension plutôt que les "recettes" recherchées pour le baccalauréat, ce qui est bien résumé par le but que s'est fixé le GTD12 de l'époque : séduire et former.

Les idées force explicitement exprimées devenaient donc une bonne " culture scientifique 13 " (sans oublier de "former de futurs citoyens"), la " curiosité ", l'ouverture aux techniques (dont on trouve les fondements dans les sciences physiques), la "séduction" et l'ancrage ‘"sur l'environnement quotidien et les technologies modernes"’ (pour "susciter des vocations de scientifiques"). Le problème est bien sûr amplifié pour une classe indifférenciée mais d'orientation comme la seconde : ‘"toute la difficulté pédagogique réside dans la nécessité d'apporter une culture générale de base accessible à tous mais aussi de permettre aux élèves de s'orienter"’ *.

L'importance des objets techniques et d'une science tournée vers le monde extérieur, la vie quotidienne et les "applications" est donc hautement affirmée ‘("La physique est dans tout et le moindre objet peut être prétexte à une analyse et une démarche scientifique"’). Cependant, dans un souci de légitimation par rapport à la discipline "physique", la différenciation par rapport à la technologie est clairement affirmée, comme si l'intérêt accru porté aux objets techniques menaçait automatiquement l'intégrité de la discipline. La physique marque sa différence par rapport à la technologie parce qu'elle amène l'élève ‘"à l'acquisition des capacités d'analyse, des concepts, des lois physiques et de leur utilisation"’. On sent bien ici la difficulté qu'il y a à faire de la physique à partir de l'étude de certains objets techniques, ce qui est pourtant préconisé ici. La méthode choisie dans le programme est globalement de partir des objets pour que les élèves aient ‘"compris à la fois le fonctionnement d'objets techniques mais surtout les lois physiques [...] et leur caractère universel dégagé de l'objet’ ". Le contenu enseigné devra donc permettre une décontextualisation des savoirs envisagés. Leur recontextualisation pour l'analyse de nouvelles situations ou nouveaux objets n'est que très rapidement évoquée ‘("Le retour à l'exploitation d'expériences simples et fondamentales pour illustrer le phénomène mis en cause est alors indispensable pour faire comprendre la généralité de la loi sous-jacente"’ *). La physique apparaît donc bien, à travers ces objectifs généraux comme un moyen de décrire et d'analyser le réel avec des outils conceptuels ‘("rendre notre monde intelligible’ "*) qui peuvent avoir un domaine de fonctionnement et de pertinence plus large que celui qui a permis l'émergence de ces concepts ‘("ces lois permettent de prévoir et d'imaginer des phénomènes ou des objets nouveaux"’ *). Cette chronologie stricte faisant précéder toute avancée technique d'une découverte scientifique révèle d'ailleurs une épistémologie largement discutable et discutée (Caillot, 1994). Au regard de ce que nous avons exposé dans la partie II.2.2 au sujet des liens privilégiés entre l'acoustique et les phénomènes quotidiens, il n'y a alors rien d'étonnant de ce point de vue à voir le son apparaître comme sujet d'étude (cf. en particulier § II.2.2.1, II.2.2.5 et II.2.2.6).

L'appel à la relation avec d'autres disciplines est également mentionné, en particulier la musique et les sciences de la vie. Enfin, le programme mentionne comme il va maintenant de soi que ‘"les activités expérimentales ont une place essentielle’ ". L'expérience "directe" ne doit pas être remplacée par l'ordinateur qui ‘"sera l'outil privilégié pour la saisie et le traitement de données ainsi que pour la simulation".’ De même, il est précisé que ‘"les activités proposées font une large part à l'utilisation des moyens technologiques modernes (vidéo, ordinateur)".’

Nous ne disons rien ici de la longue liste des objectifs méthodologiques et des pratiques expérimentales recommandées. Nous les évoquerons en temps voulu, sur des sujets plus précis.

Le choix d'un "thème conducteur" est présenté comme un moyen d'atteindre ces objectifs généraux, ‘"un support, une réserve d'idées, un ancrage sur le quotidien".’ Il ne doit cependant pas remplacer l'enseignement ‘"par thème – objet d'étude".’

En classe de 2nde, le thème choisi est sensé susciter ‘"particulièrement l'investissement de nombreux adolescents : sons, reproduction des sons, musique et lumière"’*. Ce thème est un détail du titre du programme : "LUMIèRES et SONS" (on remarquera que, peut-être par soucis de symétrie, le terme lumière a gagné la marque du pluriel dans le titre). En pratique, le contenu se décompose en trois thèmes – objets d'étude : tensions et intensités, sons et ultrasons, lumière. Le son apparaît donc bien dans ce programme en tant que tel et non en tant qu'exemple ou illustration de phénomènes vibratoires et/ou ondulatoires (§ II.1.2.3).

Notes
11.

L'essentiel des citations de ce paragraphe sont issues des deux textes évoqués. Les citations signalées par * sont issues du texte de présentation spécifique au programme de seconde générale et technologique. Les citations sans * sont issues du texte plus général "Principes directeurs de l'enseignement de la physique et de la chimie au collège et au lycée".

12.

Groupe Technique Disciplinaire

13.

Les passages notés en gras le sont dans les textes officiels.