II.3.2 Du savoir à enseigner au savoir enseigné

Comme notre recherche étudiera entre autres choses l'évolution conceptuelle d'élèves ayant suivi ce contenu d'enseignement, il nous intéressant de ne pas borner notre analyse au savoir à enseigner mais de tenter d'obtenir des indices sur les pratiques effectives en classe de physique concernant cette partie du programme. Nous nous approchons donc ici du savoir enseigné. Ce qui peut être considéré comme une deuxième phase de transposition didactique est évidemment difficile à décrire du fait de la difficulté à connaître le savoir effectivement enseigné. Le savoir enseigné n'a pas l'uniformité du savoir à enseigner puisqu'il n'est plus perceptible par un texte écrit et qu'il dépend de nombreux paramètres (enseignant, matériel, type de public...). Il est donc quasiment impossible d'en faire une description précise sans observation spécifique des séances d'enseignement, en acceptant en outre de se restreindre à une classe donnée. Nous ne nous lançons donc pas dans cette entreprise ici mais nous donnons quelques grandes tendances les plus objectives et représentatives possibles que nous pouvons trouver dans la littérature, en particulier grâce à une enquête de l'UdP auprès des enseignants (Lestrade et al., 1996).

Un fait d'abord tout à fait significatif, qui nous semble assez révélateur de l'attitude globale du corps enseignant face à la partie "sons et ultrasons" : les consignes concernant les deux horaires prévus pour cette partie dans les textes officiels ne sont globalement pas suivies. Après deux années d'existence de ce programme, parmi 298 enseignants interrogés par l'Union des physiciens, plus de 80% affirmaient passer moins de temps que conseillé sur ce sujet, aussi bien en classe entière qu'en TP, la différence se faisant au profit de l'électricité. Il est cependant signalé que les élèves suivant la classe de seconde à cette époque n'ont pas suivi les nouveaux programmes de 3e et n'ont donc fait que très peu d'électricité, ce qui a pu avoir un effet amplificateur de ce contenu en seconde. Comme le montre la figure II.3-1 ci-dessous, les "libertés" réductrices par rapport à l'horaire officiel peuvent même devenir importantes.

message URL FIGII-05.gif
Figure II.3-1 : Temps effectif passé à traiter la partie "sons et ultrasons" par un échantillon de 298 enseignants (d'après enquête de l'Union des Physiciens, Lestrade et al., 1996)

Il peut donc paraître surprenant de voir les allégements de programme toucher de façon conséquente cette partie au motif que les contenus seraient trop nombreux vus le temps imparti. Une interprétation quelque peu naïve pourrait en effet laisser croire que cette minoration du temps passé sur la partie indique un volume de connaissances trop faible pour les 26h30 prévues. On peut raisonnablement penser que ceci est plutôt le signe d'un relatif désintérêt des enseignants pour le sujet qui lui-même peut prendre racine dans diverses causes : goût personnel, épistémologie propre (du type "ce n'est pas de la physique"), difficulté pour enseigner un tel sujet, sujet jugé trop difficile ou trop facile pour les élèves (les deux opinions sont mentionnées en proportion sensiblement égale dans l'enquête mentionnée), difficulté à évaluer, manque de matériel... Il nous est difficile de privilégier objectivement l'une ou l'autre de ces causes. Cependant, nous pensons qu'il est raisonnable de mettre en lumière les pratiques nouvelles induites par cet enseignement, tant au niveau de l'évaluation (évaluer des méthodes, des raisonnements plus que des capacités à mettre en équation et calculer) que des activités expérimentales (vérifier une loi, activité la plus habituelle en TP, n'est que marginale ici) et de la place qui leur est accordée par rapport aux séances en classe entière habituellement réservée au cours. Notre expérience personnelle des échanges avec de nombreux enseignants permet aussi de signaler un jugement de relative inutilité du contenu pour les élèves poursuivant un cursus scientifique (contrainte étudiée en II.2.3.4).

Parmi les enseignants ayant répondu à cette enquête, 10% demandent la suppression pure et simple de la partie alors que 19% réclament une réduction de cette partie. L'UdP reprend à son compte ces propositions en demandant officiellement la réduction de cette partie sans préciser ce qui doit être supprimé (Bureau National de l'UdP, 1996). Ceci a probablement fortement pesé sur les allégements effectués trois ans plus tard. Les allégements de programme apparaissent bien dans ces conditions non comme une suppression de contenus qu'il n'est pas possible d'enseigner dans le temps imparti, ce qui est pourtant la justification officielle mais comme un désir de satisfaction de cette demande de réduction qui ne concerne pourtant qu'une minorité des enseignants (cette réduction permettant alors de passer plus de temps sur l'électricité, ce qui avait été demandé officiellement par l'UdP). Dans la logique de ces allégements, la suppression devenait alors fort probable. On voit bien ici la perte de légitimité du thème par rapport au savoir savant (ce sont quelques universitaires qui ont décidé des aménagements, en tenant compte en particulier des opinions de l'UdP).

Paradoxalement, les enseignants interrogés proposent le plus souvent de supprimer le haut-parleur et le microphone, l'expression de la force de Laplace ainsi que, dans une moindre mesure la stroboscopie. Ceci peut paraître paradoxal car ces parties sont en effet propices à ce qui est reconnu comme "faire de la physique". Elles sont le moyen de mettre en évidence des phénomènes généraux en physique (induction, force de la Laplace), mais qui n'ont pas besoin de l'acoustique pour exister dans un corpus d'enseignement. En ceci, ce sont des sujets classiques de l'enseignement secondaire, dont la légitimité est forte et stable. Il est d'ailleurs remarquable de constater que la réduction effectivement réalisée par les allégements ne concerne aucun de ces sujets.

Ce rapide tour d'horizon forcément réducteur des opinions des enseignants tranche avec ce qu'on observe lorsqu'on se tourne vers les élèves. Les enseignant interrogés jugent dans leur majorité les élèves intéressés, un tiers les jugeant moyennement intéressés. Ces pourcentages sont cependant nettement inférieurs aux pourcentages correspondants pour l'électricité ou la lumière. Il ne faut pas sous-estimer ici une possible perturbation de ces avis par la préférence propre de l'enseignant qui a tendance à projeter son intérêt sur celui de l'élève ou à effectivement motiver l'élève par l'enthousiasme qu'il met à enseigner un sujet plutôt qu'un autre. Car lorsque ce sont effectivement les élèves qui sont interrogés (Burgat, 1996), les thèmes jugés les moins intéressants (312 élèves interrogés) sont les thèmes de l'électricité alors que stroboscopie, haut-parleur/micro et ultrasons sont jugés les plus intéressants. Mais on peut également résumer cette enquête en disant que ce qui est le plus intéressant est le moins bien compris (toujours de l'avis des élèves eux-mêmes). On retrouve ici la difficulté posée au système didactique d'enseigner de la physique à partir d'objets ou d'expériences spectaculaires (c'est le cas de la stroboscopie par exemple). Les parties sur le haut-parleur et le microphone échappent quelque peu à la règle puisqu'elles sont jugées à la fois intéressante et assez bien comprises. La partie sur les ultrasons est jugée bien mieux comprise que celle sur la stroboscopie. Il est d'ailleurs assez surprenant que les 5 thèmes proposés aux élèves dans l'enquête citée ne soient pas tout à la fait les mêmes que ceux du programme mais redécoupés d'une façon qui nous semble révélatrice du savoir effectivement enseigné : tension et intensité, amplification de tension, stroboscopie, micro/haut-parleur, ultrasons.