II.3.3 1 Un alibi pour d'autres sujets

A la première lecture d'une partie intitulée "sons et ultrasons", on peut être surpris de voir figurer l'analyse stroboscopique d'un mouvement circulaire uniforme, le principe du cinéma et de la télévision ou encore dans les compétences exigibles "citer des applications de la stroboscopie". Le son comme phénomène est ici clairement mis entre parenthèses et seul le physicien est capable d'entrevoir le lien possible entre l'étude de l'émission sonore et la stroboscopie. Nous qualifions alors ce type de savoirs d'annexes puisqu'il n'entretiennent pas de lien direct avec l'étude des sons perçus ou des ondes sonores. La stroboscopie n'est là que comme outil d'analyse des mouvements rapides (les mouvements rapides à analyser étant finalement ceux d'un émetteur sonore, en pratique souvent la membrane d'un haut-parleur dont la fréquence de vibration doit être comparée et égalée à la fréquence de la tension d'alimentation). Des savoirs annexes sont également présents dans le programme sous l'étiquette Fondements physiques (voir tableau II.3-1), comme pour spécifier la portée bien plus générale que le seul contexte acoustique. Il s'agit de la loi de Laplace et de l'induction électromagnétique. Les deux objets-prétextes dont il faut expliquer le principe sont bien sûr le haut-parleur et le microphone électrodynamique. De plus, la loi de Laplace constitue un prétexte idéal pour l'activité expérimentale classique qui consiste à vérifier une loi (Tiberghien et al., 1998), un objectif méthodologique (exploitation graphique de mesures) et la possibilité de faire des calculs formels ou numériques (influence de la contrainte d'évaluation puisque la capacité à mener des calculs est facilement évaluable). Dans un article consacré à l'enseignement de la loi de Laplace en seconde, Luc et Durey (1997) montrent bien le problème de la cohérence interne des savoirs prescrits à ce sujet. Ils précisent ainsi que ‘"le modèle réductionniste F=k.i, établi en courant continu sur une partie du haut-parleur est incapable d'interpréter, à lui seul, la proportionnalité entre le déplacement x de la membrane et l'intensité i. Il est évidemment encore plus incapable d'expliquer le comportement du haut-parleur en courant alternatif’ " (Luc & Durey, p. 43). Ces auteurs remarquent ainsi qu'un seul des deux phénomènes principaux antagonistes régissant le mouvement de la membrane (force électromagnétique et élasticité de la suspension de la membrane) est pris en compte. Ces difficultés sont effectivement rencontrées lors des séances à ce sujet. Il y a donc un décalage manifeste entre les objectifs attribués à cette portion du programme et ce qu'elle peut réellement permettre. Finalement, il semble que ce soit des raisonnements qualitatifs qui servent d'outils pour expliquer le fonctionnement du haut-parleur et si finalement, ‘"le temps consacré à son étude et à son principe et souvent limité, voire inexistant"’ (p. 66), les élèves passent cependant quasiment une séance de TP à établir expérimentalement la loi, par relevé de mesures en courant continu. On pourrait alors préférer comme ces auteurs, l'établissement d'un modèle expérimental établissant la proportionnalité entre déplacement de la membrane et intensité du courant, ce qui permet au moins d'expliquer le lien entre fréquence de la tension électrique et fréquence de vibration de la membrane (via la loi d'Ohm), ainsi qu'entre l'amplitude de la tension d'alimentation et l'amplitude de vibration.

Sur les 31 compétences exigibles ou en cours d'apprentissage, quasiment un tiers (9 exactement) concernent ces trois domaines annexes et sont formulées entièrement hors contexte acoustique puisque aucune référence au son n'y est faite. Ceci permet de comprendre comment ces parties gagnent en pratique leur autonomie, que ce soit en classe ou dans les manuels scolaires. Un bon exemple de ceci est le découpage mentionné dans le paragraphe précédent : stroboscopie, haut-parleur/micro, ultrasons.

Cette façon d'introduire des "fondements physiques" à partir d'objets répond bien à l'objectif visé de partir des objets de la vie quotidienne pour faire de la physique, puis pour éventuellement revenir aux objets (figure II.3-2).

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figure II.3-2 : Introduction d'un domaine de savoirs annexes à l'aide d'un exemple du champ expérimental et retour aux applications quotidiennes.

Mais il n'y a alors plus que l'objet de départ qui a un rapport plus ou moins strict avec le son et les savoirs en jeu sortent complètement du champ phénoménologique sonore. On peut alors légitimement se demander si ce qui est enseigné est toujours de l'acoustique. Désormais, lorsque nous analyserons les savoirs au sujet du son, nous ne prendrons pas en compte ces trois "blocs" d'enseignement. Il n'est pas question de critiquer la présence, sur le fond, de domaines annexes. L'intérêt pédagogique peut être réel pour montrer que la physique peut décrire le monde en puisant dans différents domaines (quoique ceci ne prenne sens que lorsqu'on a une vision des différents domaines, donc lorsqu'on est physicien). Il est par contre dommage que ces sujets prennent autant de place, d'autant qu'ils semblent poser des problèmes importants aux élèves (qui par exemple ne connaissent quasiment rien sur le concept physique de force) (Lestrade et al., 1996, Burgat, 1996).