Types de compétences en jeu
Nous avons vu que le programme de seconde était novateur par rapport à ses prédécesseurs dans la mesure où il tente de présenter des savoirs non pas à partir de thèmes généraux de la physique (mécanique, optique, etc...) mais à partir de phénomènes du quotidien. Nous avons vu très vite également le retour à des domaines classiques de physique, non seulement les domaines attendus (le son fait faire de l'acoustique) mais aussi des thèmes plus surprenants empruntés à des domaines non attendus ici (électromagnétisme à partir du haut-parleur et du microphone). De la même façon, l'ancrage affirmé fortement dans l'expérience et le monde réel, au lieu de favoriser l'apprentissage de savoir-faire qu'on pourrait en attendre, se traduit en fait essentiellement par des compétences exigibles qui s'expriment plutôt en termes théoriques ou conceptuels. Tout en montrant bien que le terme "compétences exigibles" pose problème à la physique par la diversité de ce qu'il peut recouvrir, M. Caillot (1994) décompte les compétences associées d'une part à des savoirs déclaratifs, d'autre part à des savoir-faire. Sur 31 compétences exigibles ou en cours d'apprentissage de la partie nous concernant, il en dénombre alors seulement 5 associées à des savoir-faire (dont "tracer un graphique" pour vérifier la loi F=kI15). Les aménagements de programme ne change pas le déséquilibre évoqué ici (par exemple le savoir-faire consistant à appliquer la formule λ= v/f est juste changé en une vérification expérimentale de la même formule).
Peu de recours à l'audition
Dans le même ordre d'idée, il est surprenant de constater que le recours explicite à l'audition est rare. Il est bien sûr difficile d'évaluer effectivement la fréquence des phases d'écoute en classe. De plus, si nous nous en tenons aux compétences exigibles et activités support (ces dernières n'étant que proposées), il est clair que les activités mentionnant explicitement une perception auditive sont quasiment inexistantes. On peut juste mentionner l'expérience de la sonnette sous vide (la perception est réduite au minimum car il s'agit de repérer un son ou le silence) et l'étude de la fréquence de deux sons de même hauteur (si tant est que le jugement de même hauteur se fasse auditivement). Dans toutes les autres activités proposées, s'il peut y avoir bien sûr des sons émis et inévitablement entendus, l'activité ne consiste pas à écouter et interpréter mais la réception est toujours instrumentalisée. On retrouve donc là une pratique proche de la physique savante dans le domaine (§ II.2.1). Les commentaires sont assez cohérents avec cette vision des choses puisque le son y est jugé parfois inaudible. Dans ce cadre de négligence de la perception auditive, il n'y a effectivement rien de gênant (mais plutôt que des avantages) à inscrire au programme l'utilisation et l'étude des ultrasons. Voulant d'une part partir du sens courant du terme son, d'autre part mettre donner une place privilégié à la perception pour l'enseignement, nous réfutons le fait que les sons puissent être inaudibles, en adoptant le terme d'onde sonore pour désigner l'ensemble des signaux acoustiques, audibles ou non. Le point de vue adopté par le programme à ce sujet nous paraît quelque peu gênant dans la mesure où il est possible dans bien des cas de proposer des interprétations simples basées sur des perceptions auditives.
Un écart entre sons d'étude et sons quotidiens
Il n'est pas étonnant de voir l'onde sinusoïdale à une place privilégiée dans le programme. Elle présente d'une part une simplicité de "forme" remarquable, elle est obtenue avec un objet simple tel que le diapason mais elle présente aussi un intérêt théorique qui est appelé à être réinvesti dans la partie où il est question d'analyse harmonique. De plus, les signaux électriques sinusoïdaux fournis à un haut-parleur pour la créer ou par un microphone la captant sont parmi les rares signaux électriques que les élèves connaissent alors et pour lesquels ils peuvent normalement facilement identifier période et amplitude. Les "sons sinusoïdaux" sont donc largement utilisés, et ceci n'est en rien spécifique à ce programme. Cependant la création, la perception et l'analyse de ce que nous pouvons appeler des "sons d'enseignement" contribue à creuser le fossé entre les sons quotidiens du monde réel et les sons que l'apprenant va percevoir dans la salle de classe. Quoi de commun pour l'élève entre le Générateur Basse Fréquence qui permet ces sons et la chaîne Hi-fi ? Quoi de commun entre les sons musicaux qu'il écoute à longueur de journée et les sons purs et bien stables dans le temps (en tous les cas pas toujours agréables) que l'enseignant lui propose d'entendre ? Ce sont là des questions que la physique élémentaire a parfois du mal à aborder et qui, en tous les cas justifient une partie sur l'acoustique musicale.
Des concepts dont on privilégie plutôt l'utilisation mathématique que la compréhension
Nous avons déjà parlé de la commodité qu'il y a à évaluer des capacités de calcul (formel ou numérique). De plus, cette pratique contribue à diminuer la distance entre savoir savant et savoir à enseigner. Hors du formalisme ondulatoire, l'acoustique élémentaire se prête assez mal à ce type d'activité. Pourtant on trouve dans le programme un certain nombre de formules simples ou de grandeurs physiques dont il faut connaître les ordres de grandeurs (les intensités acoustiques en décibel par exemple) et dans les manuels scolaires la plupart des exercices donnent lieu à des calculs sur ce sujet. La quantification et la mesure, autres moyens de mettre en oeuvre cette pratique, ont ainsi une importance qui peut ici paraître surprenante. Il nous est permis de craindre que cette "mathématisation", même sommaire, se fasse au détriment, parfois, de la compréhension des concepts. Nous pouvons citer pour argumenter notre propos les formules explicitement au programme, la première citée faisant partie des savoirs annexes : F=kI (Loi de Laplace) et λ= v/f. On peut y ajouter la formule nécessaire pour la mesure directe de la vitesse du son, activité support proposée (distance divisée par le temps nécessaire, en considérant implicitement que la vitesse est constante), ainsi que les exercices visant à calculer une fréquence à partir de la période ou l'inverse. Dans le premier cas (F=kI), le concept de force n'est pas expliqué et l'élève n'y a accès que par des "astuces" expérimentales qui ne sont pas forcément simples à comprendre elles-mêmes. Pour la formule exprimant la longueur d'onde, qui donne lieu elle aussi à beaucoup d'exercices dans les manuels, le calcul d'une des trois grandeurs à partir des deux autres apparaît explicitement comme compétence exigible. La longueur d'onde n'est définie dans les textes officiels que par cette formule (λ est
vT et ‘"caractérise une onde sonore sinusoïdale de période T et se propageant à la vitesse v"’). Comme nous l'avons déjà dit, le remplacement issu des aménagements du calcul par la vérification expérimentale de la formule ne favorise pas forcément (loin de là) la compréhension des concepts et du pourquoi de cette formule. Il nous semble dommage de privilégier ce genre d'activités, qui contribue à donner de la physique une image de science arbitraire, figée et calculatoire, au profit d'activités visant la compréhension des concepts. Cette compréhension peut dans un second temps permettre une formalisation qui ne vient plus de nulle part.
les quatre autres sont : utiliser l'oscilloscope pour étudier un son, mesurer la longueur d'onde à l'aide d'un ou deux microphones, calculer une vitesse de propagation à partir de la formule λ=v/f, montrer l'égalité des fréquences fondamentales de deux sons différents de même hauteur à l'aide d'un oscilloscope ou d'un ordinateur.