Concepts dans la vie quotidienne et en physique
En adoptant une définition assez large du concept, par exemple celle de Vergnaud ci-dessus, nous pouvons alors tenter de caractériser les concepts utilisés dans la vie quotidienne et ceux utilisés par la physique. En ayant conscience qu'il n'y a pas une frontière stricte et bien délimitée entre les deux types de concepts, nous considérons que cette distinction correspond globalement à celle que Vygotski fait entre concepts quotidiens et concepts scientifiques.
Commençons par dire à la suite de Vygotski (1934) qu'une différence majeure entre concepts quotidiens et concepts scientifiques réside dans leur mode de développement et d'élaboration. En particulier, les concepts quotidiens, à l'inverse des concepts scientifiques, ne font pas l'objet d'un enseignement spécifique. De plus, les concepts quotidiens et les concepts scientifiques "ont des côtés faibles et des côtés forts différents". Chez l'enfant Vygotski repère comme manifestation de la faiblesse des concepts quotidiens l'incapacité à l'abstraction et une inaptitude au maniement volontaire alors que la faiblesse des concepts scientifiques réside essentiellement dans leur verbalisme, leur insuffisante saturation en concret (p. 275). Dans la vie quotidienne et pour l'enfant, la distance entre perception et concepts serait ainsi moins grande que dans le cas de la physique, même si le physicien imbrique aussi ses perceptions et les concepts qu'il utilise.
Vygotsky précise également un fait qui avait aussi été pointé par Piaget : l'usage des concepts quotidiens est généralement, et en tous les cas pour l'enfant, non conscient. L'enfant est capable d'utiliser, de comprendre des causes et des relations simples mais n'a pas conscience de sa compréhension. La chose est tout à fait différente pour les concepts scientifiques qui sont introduits généralement dans le cadre scolaire, en tant que concepts, par leur définition par exemple. La plupart du temps, la verbalisation du concept scientifique précède son utilisation. Claparède, cité par Vygotski (1934), a tenté de formaliser cette idée par la "loi de prise de conscience" qui indique que plus nous nous servons d'une loi moins nous en avons conscience. Le langage joue un rôle majeur dans le processus de prise de conscience de l'utilisation de concepts.
Signalons également que, comme l'avait déjà mentionné Piaget, la prise de conscience nécessite l'intégration du concept dans un système, c'est-à-dire que des relations doivent être faites avec d'autres concepts. Il est donc raisonnable de considérer, pour poursuivre dans cette séparation dialectique entre types de concepts, que la plupart des concepts quotidiens, utilisés dans la vie de tous les jours, sont des concepts plutôt catégoriels alors que les concepts scientifiques seraient plutôt relationnels16.
Cette séparation forcément réductrice de la diversité des concepts pourrait paraître inopérante si nous ne mentionnions pas le fait que le concept ne peut pas être identifié au terme utilisé. Un même mot peut désigner à la fois un concept catégoriel ou quotidien et un concept relationnel. Le terme vitesse est un bon exemple, mais également, dans le contenu d'enseignement que nous étudions, le terme vibration. Gentilhomme (1994) étudie pour préciser ceci la distinction entre notion (facette quotidienne du concept) et concept (facette scientifique du concept). Il définit en effet le concept comme un ‘"contenu informationnel entièrement déterminé par sa définition. Le contexte sélectionne un concept parmi plusieurs susceptibles d’être véhiculés par un même signifiant"’. La notion, quant à elle, n'exige pas la même rigueur. Elle est le résultat de la flexibilité du contenu, obtenue par métaphore ou métonymie. Son remplacement par un synonyme n'altère en rien la signification. Ainsi la notion d'intensité permet d'identifier quelques invariants éventuels, sa signification, hors contexte, est relativement floue et flexible. C'est dans la production langagière ou formelle, dans tous les cas contextualisée, que l'intensité acquiert un statut de concept (scientifique), puisqu'on pourra alors parler d'intensité électrique, acoustique, d'intensité des marées, etc.
En physique, les concepts (le plus souvent relationnels donc) sont impliqués généralement dans un réseau conceptuel, ils induisent la plupart du temps un langage formel et sont utilisés et utilisables dans un contexte théorique précis. Ils bénéficient de plus d'un ensemble de signifiants, pour reprendre le terme de Vergnaud, bien plus grand que celui des concepts quotidiens. On peut représenter un concept scientifique dans différents registres sémiotiques (Duval, 1995). A la suite d'autres auteurs (Duval, 1995 ; Ainsworth et al., 1996), nous estimons que l'articulation des différentes représentations est non seulement nécessaire mais favorise également la compréhension d'un concept scientifique.
Ce rapide panorama permet donc de distinguer des différences majeures entre les concepts spontanés, quotidiens (ou encore les notions) et les concepts scientifiques, plus relationnels.
explication homogène ou formelle : elle ne fait pas appel à ce qui est extérieur au système, ni à d'autres variables que celles par lequel le système a été caractérisé ; il reconnaît lui-même que cette explication s'apparente davantage à une description mais qu'elle peut revêtir un caractère explicatif au sens donné ci-dessus ; ce type d'explication fournit davantage une raison, en donnant moins une cause qu'une description opératoire (en invoquant par exemple des éléments d'ordre théorique comme le principe de conservation de l'énergie ;
explication hétérogène, causale : dans le cas où la raison d'être des changements du système doit être cherchée hors du système, prenant généralement la forme d'un agent causal bien déterminé ; la causalité linéaire fait partie de cette catégorie ;
explication bathygène : ce type d'explication est très spécifique à la physique puisqu'il s'agit de changer de niveau de description et d'utiliser de nouvelles variables (il s'agit par exemple d'expliquer un phénomène macroscopique à l'aide d'un point de vue microscopique).
Il est bien évident cependant qu'avant d'être intégrer à un réseau conceptuel, les concepts du physicien ont pu être d'abord catégoriels ; c'est le cas par exemple des concepts primitifs d'une théorie.