III.1.2 Structures des connaissances chez les apprenants et changement conceptuel

III.1.2.1 Quelques précisions

Les travaux de recherche en psychologie ou en didactique permettent de penser raisonnablement que les élèves abordent les problèmes scientifiques et plus généralement toute situation-problème à l'aide de ce qu'on pourrait appeler des théories plus ou moins construites et précises. Dans certains cas, ces théories revêtent une cohérence interne forte, quitte à subir quelques modifications ad-hoc. Il n'est pas question ici de décrire des conceptions figées et fixées une bonne fois pour toute à un niveau de développement donné. C'est au contraire dans leur capacité à évoluer et à s'adapter aux nouvelles situations que certaines conceptions acquièrent cette capacité à coexister à côté du savoir scolaire, et par suite à "résister" à l'enseignement (Johsua & Dupin, 1993, p. 127).

Nous nous proposons dans ce paragraphe de décrire les tentatives pour identifier et caractériser ces théories "naïves" (au sens où elles précèdent l'apprentissage). Plus largement nous proposons différents courants de pensée qui tentent de percer l'organisation des structures conceptuelles et des connaissances naïves relatives à l'interprétation et la description des objets et des événements. La plupart de ces courants de pensées s'inscrivent dans ce qu'il est courant d'appeler (en particulier dans la littérature internationale) le changement conceptuel (conceptual change). Nous ne passons pas en revue la diversité des travaux à ce sujet mais nous nous bornons à ceux qui se sont intéressés de près à l'apprentissage de la physique.

Il ne s'agit pas ici de détailler les méthodologies mises en oeuvre pour produire ces résultats. Les outils utilisés sont relativement classiques lorsqu'il s'agit de révéler les connaissances des sujets : interviews, questionnaires avec ou sans matériel expérimental. Nous n'insistons pas non plus sur les différentes dénominations qu'il est possible de rencontrer dans la littérature : raisonnement commun, conceptions, connaissances naïves ou spontanées, structure conceptuelle... Sans oublier que le choix de tel ou tel terme n'est pas anodin17, nous considérons pour notre part que nous traitons ici de façon générale des connaissances des sujets étudiés, avant enseignement sur le domaine concerné (ou plus largement avant un enseignement scientifique) et des caractéristiques de ces connaissances. Il est bien entendu que ces structures et ces connaissances sont révélées dans des situations toujours particulières et c'est la reproductibilité des conclusions quelle que soit la situation et le sujet qui est encore aujourd'hui à valider. Enfin, les recherches ne s'intéressent pas toujours à des enfants ou des adolescents du même âge, ce qui peut induire dans certains cas des contrastes forts dans les conclusions théoriques formulées.

Pour chaque point de vue, nous donnons d'abord des descriptions relativement statiques des structures et des caractéristiques des connaissances et des invariants qu'on peut y repérer. Ces structures ont souvent été élaborées grâce à des observations évolutives et pensées pour permettre une analyse des difficultés à apprendre la physique ou des mécanismes cognitifs qui accompagnent cet apprentissage. Nous tentons donc de donner ensuite les quelques points de vue théoriques sur les mécanismes d'évolution des connaissances pour chaque auteur (§ III.1.2.5).

Notes
17.

le terme anglo-saxon de misconception stigmatise par exemple les écarts et les connaissances "fausses" par rapport aux savoirs canoniques (reconnus comme à apprendre), il induit ainsi une connotation négative.