III.1.2.3 Les catégories ontologiques de Chi

Les psychologues Chi et, dans le domaine de la biologie, Keil s'intéressent à la connaissance ontologique (Chi et al., 1994) : pour eux, toute entité du monde appartient à une catégorie ontologique particulière, que ce soit du côté des connaissances quotidiennes que de celui des connaissances scientifiques. Ils proposent un arbre structuré de catégories ontologiques dont le premier niveau possède par exemple trois catégories : la matière (les objets), les processus et les états mentaux. La catégorie matière est ensuite divisée en chose naturelle et chose artificielle, les choses naturelles peuvent à nouveau être catégorisées (vivantes / non vivantes), etc. A chaque catégorie correspond une liste d'attributs que le concept doit posséder pour entrer dans la catégorie. Dans cette approche conceptuelle (ce sont bien des concepts qui sont affectés dans les catégories, les connaissances sont ici réduites au concept et à leur affectation dans une catégorie), les conceptions erronées et les difficultés d'apprentissage de la physique seraient le résultat d'un décalage ou d'une incompatibilité entre la catégorie ontologique que la science attribue au concept et celle que le sujet lui assigne effectivement. Les exemples choisis dans le domaine de la physique sont assez nombreux : la force, le courant électrique, la lumière seraient considérés comme faisant partie de la catégorie "matière" alors que la physique les considère comme des processus.

Le cas du son est à ce sujet tout à fait intéressant. Nous avons vu dans le chapitre I la diversité des points de vue possibles sur la nature de la notion de son (au sens de Gentilhomme toujours). La physique a tendance à privilégier l'aspect processus mais accepte différentes possibilités dans cette catégorie (événement mais aussi interaction basée sur la contrainte par exemple). Le son peut aussi être considéré, dans son acception perceptive, comme un état mental. Aux différentes facettes du concept "son" (chapitre I) correspondrait donc différentes catégories ontologiques. Comme l'articulation de ces différentes facettes va probablement poser des problèmes dans l'enseignement et l'apprentissage de connaissances scientifiques à ce sujet, ceci tendrait à confirmer l'interprétation des difficultés que fait Chi en invoquant le changement de catégorie ontologique.

Par contre, l'analyse de Chi à ce sujet semble insuffisante pour décrire ce qui constitue le coeur de certaines connaissances, à savoir les liens à établir entre différents concepts. La connaissance consiste souvent à faire des liens entre concepts et l'apprentissage ne nous semble pas seulement consister à attribuer une catégorie à chaque concept. Il n'y a pas vraiment de place dans cette catégorisation pour les réseaux de concepts. On voit bien également que l'affectation et le découpage à partir d'un mot ne tient pas très longtemps, un mot pouvant donner lieu à plusieurs concepts scientifiques qui n'appartiennent pas forcément à la même catégorie.

Par rapport au point de vue de diSessa, il semble que l'hypothèse de cohérence des connaissances soit ici beaucoup plus forte. Une autre divergence importante, comme le remarque Karine Mazens (1999), réside dans le fait que l'inné occupe une place très importante dans la catégorisation ontologique alors que diSessa donne un rôle central à l'expérience sensible et à la phénoménologie. On pourrait dire dans ces conditions que diSessa est très situationniste. Une voie intermédiaire sur ce sujet serait celle proposée par Carey et Vosniadou.