III.1.2.5 Le changement conceptuel

Comme nous l'avons dit dans le préambule de ce paragraphe, les courants de pensée exposés s'inscrivent dans le cadre du changement conceptuel (conceptual change). Ce qui est en question pour ces auteurs est en effet l'évolution de structures de connaissances au cours de l'apprentissage. Les structures dégagées l'ont été pour mieux étudier leur modification que ce soit au cours du développement cognitif ou au cours de l'apprentissage (sans qu'on puisse toujours séparer les deux causes).

Nous ne passerons pas en revue tous les points de vue sur les changements conceptuels, suffisamment nombreux pour donner lieu maintenant à des analyses comparées (Tytler, 1998). Nous ne nous placerons pas dans le cadre d'un parallèle strict entre changement conceptuel et révolution scientifique (Kuhn, 1970), comme ont pu le faire certains (Postner et al. (1982)).

Il est maintenant largement reconnu que certaines conceptions sont plus stables que d'autres et que certains apprentissages sont plus difficiles que d'autres. De même, il est admis dans une certaine mesure que les structures de connaissances ont une cohérence interne parfois excellente (Driver, 1981 ; McCloskey, 1983). Les outils de description de la structure des connaissances et les différents points de vue sur le changement conceptuel doivent permettre d'expliquer, au moins en partie, ces phénomènes. La nature du changement conceptuel diffère énormément selon le point de vue théorique adopté.

Pour diSessa, il est difficile d'avoir un point de vue clair sur le changement conceptuel puisque ses propositions ne sont pas centrées sur les concepts en tant que tels. On peut dire globalement que l'apprentissage consiste en une réorganisation des p-prims et en une augmentation de leur cohérence interne. Au cours de l'apprentissage les p-prims peuvent aussi permettre l'élaboration de briques de connaissances plus grosses en cessant de devenir auto-explicatives et en étant rattachées à des structures de connaissances plus large. Pour Chi, le changement conceptuel a lieu lorsqu'il y a changement d'un concept d'une catégorie à une autre, sans nier que certains apprentissages ne consistent pas forcément à changer un concept de catégorie mais en des modifications intermédiaires ou d'un autre ordre (modifier des relations causales entre concepts par exemple). Ce point de vue ne permet cependant pas d'expliquer pourquoi certains changements conceptuels sont plus difficiles que d'autres. Enfin, Vosniadou interprète le changement conceptuel par une modification d'abord au niveau des modèles mentaux ‘("the mental models are the points at which new information is incorporated into the knowledge base",’ p. 48), celle-ci pouvant avoir des conséquences sur les croyances, voire même sur le cadres théoriques, qui sont pourtant les plus stables et les plus "résistants". Ceci permet donc d'interpréter le fait que certains apprentissages sont plus difficiles que d'autres : tout dépend du niveau qu'il faut modifier. Par exemple, lorsque l'information nouvelle est cohérente avec les connaissances en place, cette évolution est facile (il y a alors enrichissement de la structure conceptuelle par simple accrétion) alors qu'elle est plus difficile lorsqu'elle ne paraît pas en ‘accord "avec les croyances, les présuppositions ou la structure relationnelle d'une théorie"’ (p.49) : il faut alors qu'il y ait révision, celle-ci étant plus facile au niveau des théories spécifiques que des cadres théoriques. Dans tous les cas, le changement conceptuel est graduel et requiert un temps important. Pour Vosniadou, le savoir du novice est rattaché à des présuppositions d'ordre ontologique et épistémologique (dont il n'a pas conscience) alors que celui du de l'expert l'est à des lois et théories (dont il a conscience), ce qui produit des systèmes explicatifs très différents.

Ces travaux de psychologie ou de didactique sur le changement conceptuel sont donc des moyens de caractériser ou d'étudier l'apprentissage et les conditions favorables à sa réalisation. Nous retiendrons de cette revue bibliographique les différentes approches dont nous exploiterons tout ou partie des réflexions selon ce qui nous paraît pertinent :

C'est finalement le cadre théorique élaboré par Vosniadou qui nous paraît le plus complet et efficace pour tenter d'étudier les structures de connaissances sur un domaine donné de la physique.

Nous tentons dans ce qui suit de contextualiser ces repères théoriques au regard des conceptions mises en évidence au sujet du son et nous reviendrons sur ces éléments théoriques lors de la présentation de notre expérimentation sur les systèmes explicatifs (Partie C).