III.2.2.1 Nature du son et propriétés "matérielles" du son

Mazens propose différentes situations pour tester si les propriétés suivantes sont attribuées au son : substantialité (ou consistance), poids, permanence (ce sont des propriétés de la matière, catégorie ontologique principale de Chi). Il est entendu ici par permanence le fait que ‘"le son existerait encore après avoir été émis et qu'il se trouverait toujours quelque part"’ (p.114). Ces trois propriétés de la matière sont effectivement attribuées au son, en particulier par les enfants les plus jeunes. Il y a un abandon progressif de ces propriétés au cours du développement des enfants mais ces évolutions ne sont pas forcément synchrones : les propriétés de poids et de permanence sont abandonnées avant la propriété de substantialité. Le concept de son ne semble donc pas réaffecté en bloc de la catégorie matière à la catégorie processus mais les changements sont progressifs. A partir des situations proposées aux enfants (quelques-unes pour chacune des propriétés), il n'est pas possible de dégager une cohérence forte entre les trois propriétés. De façon plus précise, l'attribution d'une propriété donnée au son (en particulier la substantialité) semble dépendre énormément de la situation proposée.

Au sujet de la substantialité, K. Mazens tente de dégager deux "théories naïves". La première est caractérisée par la croyance en la substantialité du fait analogies avec la matière. Ceci contraint les modèles mentaux suivants :

  • une substance peut passer à travers des trous, même petits ;

  • une substance dure peut traverser une substance molle.

La deuxième est basée sur une croyance en la substantialité cette fois largement aménagée. Cette "théorie naïve" peut se manifester par la mise en oeuvre de deux modèles mentaux :

  • la propriété d'invisibilité du son lui permet de passer à travers les murs (comme les fantômes par exemple, la nature du son étant mal définie mais différente de l'objet et de l'humain) ;

  • le son est décrit avec des termes qui lui sont spécifiques (vibrer, résonner par exemple).

Il semble que ces quatre modèles mentaux apparaissent au cours du développement de l'enfant dans l'ordre où nous les avons présentés. Remarquons que la propriété de substantialité est assez fortement ancrée puisqu'elle reste relativement importante même chez les élèves les moins jeunes (lors de la situation de perception auditive d'un réveil enfermé dans une boîte en fer, 80% des grandes sections se placent encore dans ce cadre après l'expérience, 30% des CM1). Certains de ces points de vue sont également rencontrés dans d'autres recherches avec des enfants (en particulier Asoko et al., 1991 et 1992).

La propriété de permanence est elle aussi fortement attribuée au son (entre 60% et 80% des réponses), ceci quelle que soit l'émission sonore (boîte qui fait un bruit de vache, corde de guitare ou coup de poing sur la table). Les localisations du son après perception citées par les enfants sont les suivantes : surtout dans l'objet (en particulier pour la boîte et la table) et à l'extérieur (davantage pour la guitare et la table), un peu dans l'oreille et de façon rare dans le cerveau. En fait, si l'on demande à l'enfant jusqu'où va le son, en faisant effectivement un son, l'attribution de permanence chute énormément. Nous discutons pour notre part le lien fait ici entre permanence et matérialité. Il est possible que pour certains enfants, même jeunes, le son soit permanent au sens où il peut encore être dans la source qui peut toujours potentiellement faire un son ou bien parce qu'on l'a "en tête" ou "dans l'oreille", reflétant ainsi une mémoire auditive qui peut permettre de dire que le son existe encore : la permanence n'a pas forcément un support matériel.