III.3.4 Critiques et enseignements à tirer de ces travaux

III.3.4.1 Analyse critique

Malgré le peu de travaux (en comparaison d'autres domaines) sur les conceptions concernant le son, nous pouvons formuler une analyse globale.

Il est d'abord remarquable de constater que beaucoup de ces travaux concernent les étudiants, avec un diagnostic qui permet de mesurer l'ampleur des améliorations à apporter à l'enseignement de ce domaine (ou à l'articulation de ce domaine avec d'autres sujets appris). Ceci peut s'expliquer par la relative absence de l'acoustique dans les contenus du secondaire. Maurines, cependant, s'est intéressée à ce niveau et a joué un rôle moteur pour les recherches sur ce thème. Venue aux phénomènes sonores par l'intermédiaire de phénomènes ondulatoires mécaniques, elle a permis la mise en évidence de raisonnements similaires à ceux qui sont identifiés en mécanique élémentaire (et par suite le caractère matériel attribué au son). Par contre, les investigations sur les aspects spécifiques du son ont parfois été laissées de côté ou en tous les cas pas exploitées complètement (par exemple type de propagation en champ libre ou mécanisme de propagation).

En particulier, il est plus rare de trouver des recherches sur la mise en correspondance avant enseignement entre paramètres perceptifs et grandeurs physiques ou même entre paramètres perceptifs eux-mêmes. Finalement les facettes multiples du son (chapitre I), les rapports complexes à la perception quotidienne et leur influence sur des processus d'apprentissage n'ont été que rarement questionnés. Ceci peut alors amener quiproquos et fausses pistes dans l'analyse des réponses.

Signalons cependant à ce sujet l'étude menée à l'INRP auprès d'élève de 3e en éducation musicale et d'élèves de seconde en cours de formation (Beaufils et al., 1998). Cette étude s'intéresse à la description de sons perçus par les élèves. Elle révèle des capacités générales moyennes dans la reconnaissance de sériations aigu/grave ou fort/faible à condition toutefois qu'il s'agisse du même instrument (en particulier pour la reconnaissance de hauteur). Il semble donc qu'un enseignement basé sur la perception des sons devrait prendre soin de proposer des activités spécifiques dédiées à un travail de reconnaissance des sons et d'entraînement "de l'oreille".

Cette étude mise à part, quand la perception intervient dans les situations proposées par les chercheurs (et encore s'agit-il plus souvent d'imaginer la perception que de percevoir réellement), la fusion a été très vite opérée par les chercheurs entre grandeurs physiques et caractéristiques auditives alors que c'est cette mise en correspondance qui risque de poser les premiers problèmes à l'apprenant. Par exemple, lorsque Maurines propose une situation où il faut comparer les arrivées de deux sons dont l'un est plus fort qu'un autre, elle adopte immédiatement le point de vue du physicien en présentant les résultats comme les avis des élèves sur ‘"la vitesse du son dépend-elle de l'amplitude ?"’ (Maurines, 1998, p.17). Le lien entre amplitude et fort/faible ou entre fréquence et aigu/grave n'a a priori rien d'évident pour l'élève puisqu'il n'est même pas censé connaître les concepts physiques impliqués. Ce sont ces liens qui sont justement à apprendre.

Le choix fait implicitement ou explicitement dans de nombreux travaux sur les conceptions (pas seulement sur le son) de prendre comme référence le savoir à enseigner (ou le savoir savant) et de comparer les réponses des élèves à celles qui seraient issues du savoir à enseigner ne nous paraît pas forcément la méthode la plus appropriée pour prendre pleinement en compte la phénoménologie de l'élève débutant. Le cours extrait ci-dessous de Johsua et Dupin (1993) nous paraît assez révélateur à ce sujet :

‘"Trop souvent, les chercheurs en didactique ont eu tendance à jauger des productions et discours d'élèves à l'aune de concepts scientifiques absents en tant que tels dans les conceptions des élèves. Sous des appellations parfois semblables, ceux-ci utilisent en réalité plus des "notions" que des concepts. Lesquelles notions sont plutôt trop "riches" (pas assez différenciées) que trop pauvres." (p.128). ’

Et reprenant l'exemple de l'élan ou du capital hybride des conceptions en mécanique, ils affirment :

‘"Cette intuition comprend des aspects de concepts que le physicien appelle vitesse, force, quantité de mouvement, énergie, etc. Mais elle ne s'y résume pas ; cette intuition ne doit pas seulement être évaluée par rapport au savoir du physicien ; elle a sa pertinence propre, son domaine particulier d'application." (p.129).’

Tout se passe comme si, dans ces conditions, il fallait mesurer l'écart entre les conceptions des élèves et le savoir de la discipline pour comprendre pourquoi l'élève a tant de mal à s'adapter aux situations proposées par la physique. Au contraire, il nous semble que choisir d'autres critères d'analyse permettrait, dans certains cas, d'envisager les conditions favorables pour adapter le savoir à enseigner aux phénoménologies naïves dégagées hors de toute référence au savoir savant. C'est ce point de vue qui sera adopté pour les expérimentations que nous avons menées et qui sont présentées dans la partie C.