IV.1.1 De la quotidienneté et évidence des phénomènes à des situations propices à l'enseignement

Dans un premier temps, en ce qui concerne les phénomènes sonores, il est utile de rappeler leur caractère familier, omniprésent et finalement inhérent à la présence de tout individu dans le monde sensible (chapitre I). Le problème épistémologique classique de l'articulation de ces faits observables avec le discours que la science peut tenir à leur propos a été évoqué. Ce problème est crucial dans une logique d'enseignement puisque sous-tendu par un éventuel conflit entre concepts quotidiens et concepts scientifiques (Vygotski, 1934). Pour Vygotski, c'est à partir de cette expérience sensible quotidienne que l'enfant forge ses concepts quotidiens. Vygotski attribue quatre caractéristiques principales aux concepts quotidiens :

  • référence et centrage sur des objets et des événements, à propos de situations particulières ;

  • inconscience de leur maniement de la part de l'utilisateur (et donc impossibilité du maniement volontaire) ;

  • non-intégration dans une pensée systématique ;

  • base du développement des concepts scientifiques.

Comme nous l'avons vu, les phénomènes sonores, par leur quotidienneté, leur omniprésence dès la naissance (et donc tout au long du développement de l'enfant) procurent a priori une richesse et une variété à l'expérience personnelle de l'enfant et à son champ empirique qui va nourrir les concepts quotidiens (Hyp. 1). C'est donc sur ce premier aspect des concepts quotidiens que nous nous attardons quelque peu pour souligner l'importance qu'il va pouvoir prendre dans un cas comme celui du son. Le concept quotidien se développe ‘"dans la sphère de l'application concrète, spontanée, dont le sens est déterminé par la situation, dans la sphère de l'expérience et de l'empirisme"’ (Vygotski, 1934, p. 373). Il est donc indispensable pour nous de nous pencher sur la nature de ces structures conceptuelles quotidiennes au sujet des phénomènes sonores. Pour ceci, il faut avoir conscience que l'élaboration mais aussi la révélation (par la production écrite ou orale) des systèmes conceptuels se fait à partir de la perception et de la description de ce que Guillaud appelle des "faits bruts" (1999, p.71), ‘"perçus et construits dans le cadre théorique de la connaissance quotidienne". Les faits bruts sont "saisis et construits à partir de l'intuition sensible"’ et correspondent finalement aux constatations partagées par le plus grand nombre, ce qui tend à leur donner un caractère d'évidence. A l'inverse des faits scientifiques, ils ne sont pas construits dans un cadre théorique scientifique déterminé. Les faits bruts sont la plupart du temps décrits en terme d'actions d'objets du contexte ou de relations causales impliquant des objets ou des caractéristiques de la situation. Ces descriptions que Guillaud appelle "primaires" sont toujours fortement contextualisées et elles ne mettent pas en oeuvre de mécanismes explicatifs globalisants (au sens où ils sont valides pour expliquer un grand nombre de situations apparemment très différentes).

Nous pensons donc que les phénomènes sonores ont un caractère d'évidence plus fort que pour d'autres champs phénoménologiques traditionnels dans l'enseignement de la physique (Hyp. 2). Il est plus facile de prendre conscience de l'existence d'un champ empirique électrique ou thermique que de celle d'un champ acoustique ou optique20. En d'autres termes, si nous nous posons la question de ce qui peut être consciemment perçu comme un phénomène dans la vie quotidienne, il nous semble qu'il est plus facile d'avoir conscience de la sensation de chaud ou de froid, d'une variation de température d'un objet que l'on touche ou de l'éclairage d'une ampoule (en tant que phénomène) que de l'apparition d'un bruit (ou d'un bruit de fond) ou d'une ombre (ou du fait que si on ferme les rideaux il y a moins de lumière). L'omniprésence des appareils électriques dans nos sociétés occidentales tend d'ailleurs à minimiser l'attribution du caractère de phénomène aux manifestations observables dues aux appareils électriques21.

Dans un cas aussi familier que le contexte sonore, nous pouvons donc nous attendre à un poids accentué des situations familières et des faits bruts dans la description des objets et des événements par l'apprenant.

Ces réflexions nous permettent de formuler un premier groupe de questions sur les situations propices à l'enseignement :

Thème n°1 : les situations propices à l'enseignement :

  • Existe-t-il des situations familières qui favorisent l'abandon, après un enseignement, des descriptions primaires au profit de descriptions et d'interprétation s'inscrivant dans un système explicatif faisant intervenir des concepts scientifiques ?

  • Dans ce cas, qu'est-ce qui caractérisent ces situations ?

  • Ceci permettra dans un second temps de donner des éléments de réponses aux deux questions :

  • Est-il avantageux de proposer ces situations pour l'enseignement ?

  • La familiarité des phénomènes sonores est-elle un frein à l'émergence et l'utilisation des concepts scientifiques même après enseignement ?

Notes
20.

Les phénomènes mécaniques nous semblent revêtir comme les phénomènes sonores un caractère d'évidence. Ils en diffèrent par contre par d'autres aspects, relevés plus loin.

21.

Peu de temps après l'invention de l'électricité, ou plus tard lorsqu'elle a pénétré les foyer, le fait qu'une ampoule s'allume était un phénomène (à expliquer éventuellement). En devenant quotidien, ce fait tend à devenir une évidence qui n'est plus remarquée. Le son, quand à lui, ne connaît pas ce type d'évolution liée à la technique puisqu'il est concomitant à l'homme depuis toujours et surtout depuis la naissance.