V.1.2 Permettre à l'élève de parler et d'écrire en coopérant pour qu'il construise et s'approprie les savoirs

Les séquences présentées dans le prochain chapitre sont élaborées en prenant en compte la coopération rendue possible par le travail en binôme lors des séances en demi-groupe. Certaines activités s'appuient même explicitement sur le travail "à deux". Si la pratique expérimentale en binôme est maintenant classique (Tiberghien et al, 1998), la phase de rédaction et de réflexion n'est pas toujours une coconstruction. Elle est ici favorisée, en accord avec les nombreux résultats de recherche qui indiquent l'apport d'une telle démarche, et tout particulièrement du débat argumentatif, sur l'apprentissage (Baker, 1996).

Ainsi, il est avantageux de demander aux élèves de formuler à deux une réponse commune. Du côté de l'enseignant ceci demande le respect d'une réserve initiale quant aux savoirs à élaborer. Pour le binôme d'élèves, ceci implique dans un premier temps un dialogue oral qui permet de confronter les observations faites et les idées de chacun au sujet de l'objet de savoir en jeu afin de tendre vers un accord et dans un second temps un effort de rédaction coélaborée. Aucune de ces deux phases n'est à négliger.

L'intérêt de la première de ces deux phases (dialogue plus ou moins argumentatif, échange oral) revient à considérer l'apport du rapport social pour l'apprentissage, ce qui est relativement bien reconnu, en particulier depuis le milieu du siècle grâce aux travaux de Vygotski (1934). L'échange oral, surtout s'il est argumentatif, favorise l'explicitation, la construction et finalement l'appropriation des savoirs, ‘"dans l'émergence des représentations et l'élaboration du savoir au travers du conflit socio-cognitif’ " (Baudry et al., 1998, p.90), alors que c'est plus souvent la fonction de communication qui est évaluée.

Quant à la deuxième phase (la rédaction si possible coélaborée), c'est justement parce que ce qui est surtout évaluée est la capacité à communiquer des savoirs que les rôles de construction et d'appropriation des savoirs joués par la rédaction sont souvent minimisés. Il s'agit ici d'exploiter au maximum ce que permet la rédaction pour l'apprentissage. Le rapport personnel au savoir devient plus riche puisque l'élève lui-même formule les savoirs en jeu issus de ses observations (rien n'empêche alors dans un second temps, comme le propose le groupe SOC une institutionnalisation par l'enseignant). Les activités proposées par le groupe SOC tentent donc de diminuer la difficulté classique d'expansion d'un texte de cours fourni par l'enseignant, relevée par Baudry et al. (1998). Comme le signalent ces auteurs (le fait qu'ils évoquent le collège ne change rien), ‘"la majeure partie des énoncés écrits qui construisent l'objet de savoir est du ressort du professeur dont le texte de leçon ou le résumé est, dans la plupart des cas, déjà préparé. L'écrit personnel de l'élève, relatif à ce qu'il est en train d'apprendre, tient peu de place face à l'écrit magistral"’ (p. 49)22. Pour apprendre les savoirs d'habitude condensés par le professeur, l'élève doit pouvoir lever les implicites qu'il contient, être capable d'en comprendre la signification, et il nous paraît intéressant de tenter d'inverser quelque peu la chronologie des écrits respectifs de l'enseignant et de l'élève en faisant précéder l'institutionnalisation de l'élaboration commune, avec l'appui de l'écrit, de tout ou partie de ces savoirs par les élèves.

Il est remarquable de constater que l'écrit "de création" occupe traditionnellement une place assez faible, en particulier dans les disciplines autres que le français. ‘"Il s'agit le plus souvent d'un écrit de copie consistant à reproduire des énoncés qui ne sont pas le fait de l'élève (recopier ce qui est écrit au tableau ou prendre sous la dictée un résumé du maître) et non pas d'une tâche d'écriture conçue comme une “situation-problème”. D'une manière générale, l'écriture est perçue uniquement comme support de la formulation à retenir par l'élève et non comme un moyen d'appropriation des savoirs"’ (Baudry et al, 1998, p. 27) alors qu'on peut penser que ‘"toute reformulation, si minime soit-elle, produit une modification de l'univers de référence sur le plan cognitif’ " (Baudry et al, 1998, p. 49). Par les activités qu'elle propose, la progression que nous présenterons tente de remédier à cet état de fait. Il ne faut pas négliger non plus l'apport d'une telle démarche pour la maîtrise de la langue (pas seulement disciplinaire) et pour la réflexion permise au sujet du sens que prennent les mots scientifiques (voir partie C). Tout ceci ne fait qu'accréditer davantage une telle méthode.

Bien sûr, une telle démarche impose de laisser du temps aux élèves pour interagir oralement et leur permettre de tâtonner et d'essayer de s'approcher de la meilleure formulation pour aboutir finalement à une rédaction qui leur paraît être la meilleure qui soit. Les observations que nous avons pu faire montrent combien il est indispensable de leur laisser ce temps qui est un temps de vraie réflexion sur les phénomènes et concepts étudiés. De plus le temps passé à ce type d'activité est gagné sur le temps que l'enseignant ne passe pas systématiquement à institutionnaliser puisque cette institutionnalisation est souvent proposée dans l'heure suivante la structure de classe entière étant plus adaptée à cette phase d'institutionnalisation. Nous verrons que cette phase consiste justement à reprendre les écrits des élèves et à laisser finalement une trace commune pour tous grâce à un document que nous appellerons le "cahier de l'élève".

Notes
22.

Comme on le verra plus loin, on pourrait dire la même chose au sujet des activités expérimentales menées par les élèves, quasiment toujours décidées par l'enseignant.