V.1.4.2 Éléments de syntaxe et de sémantique des modèles pour l'enseignement

Walliser (1977) distingue les aspects syntaxique (règles du mode de présentation), sémantique (signification) et pragmatique (utilisation dans un contexte donné) des modèles. L'objectif de ce paragraphe est de donner quelques réflexions théoriques sur la fonction et l'utilisation des modèles dans l'enseignement. Nous envisageons surtout ici, de façon très générale, quelques aspects syntaxiques et sémantiques et nous évoquerons plus largement l'aspect pragmatique des modèles lorsque nous les détaillerons pour le domaine d'enseignement qui nous intéresse.

• Domaine de validité et de pertinence d'un modèle
  D'un point de vue épistémologique, et ceci y compris hors du cadre de l'enseignement, un modèle possède deux caractéristiques essentielles : il est à la fois théorique et fonctionnel. Ces deux points font émerger un domaine de fonctionnement (ou de validité) plus ou moins large, qui regroupe l'ensemble des phénomènes pouvant être interprétés par ce modèle ou sur lesquels, comme dit Martinand (19XX), le modèle peut se projeter. Ceci ne veut pas dire pour autant que le modèle est préalable au champ expérimental. En effet, ce domaine de validité visé influence à son tour le caractère théorique du modèle. Cette "théorie" devra être exploitée, simplifiée et on devra en pratiquer une réduction devant permettre d'en sélectionner certains aspects en référence à ce que l'on veut modéliser. Dans une approche expérimentale, c'est donc aussi à partir des objets et des événements, que ceux-ci relèvent de la physique ou de la vie quotidienne, que l'on construit les modèles. On se heurte de fait à une difficulté majeure, relevée par Bachelard (1979), dans le passage d'un champ limité par un choix de propriétés à un champ global synthétique qui permettrait de dénouer la complexité des apparences. N'oublions pas que le modèle a une fonction d'abstraction du réel, en ce sens qu'il ne représente pas les propriétés du réel mais seulement certaines propriétés (Bachelard, 1979). C'est le modèle, dans un contexte théorique donnée, qui décide si oui ou non un phénomène appartient à son champ de validité.
  Si on peut estimer pouvoir décider du champ de validité par une bonne connaissance du modèle (et champ des possibles au niveau expérimental), hors de tout contexte didactique, le champ de pertinence, par contre, est délimité en référence à l'apprentissage. Le modèle doit être pertinent en référence à l'interprétation par l'élève d'un phénomène du point de vue du modèle ou des concepts qu'il véhicule. La pertinence est finalement définie par la capacité que l'élève à d'utiliser efficacement le modèle. Des expérimentations de type didactiques semblent alors nécessaires pour évaluer cette pertinence du modèle pour un phénomène donné. Par exemple, M. Méheut (1996) vérifie que le modèle particulaire qu'elle propose pour des situations bien déterminé, est également pertinent pour permettre à l'élève de faire des prévisions ou d'expliquer d'autres situations. Le domaine de pertinence est généralement inclus dans le domaine de validité du modèle (défini lui en référence à la physique et au cadre théorique dans lequel il est utilisé). Cette pertinence, pour être étudiée, nécessite de prendre en compte les théories spontanées de l'élève qui vont entrer en interaction avec les modèles proposés par la physique et pouvoir ainsi perturber leur pertinence supposée.

• Utilité du modèle et capacité à évoluer
  En plus de cette fonctionnalité, un modèle doit apparaître utile d'un point de vue de l'élève. Cette utilité semble difficile à obtenir, par exemple avec un modèle particulaire (Méheut, 1996), lorsque les questions soulevées sont limitées. Une des raisons mises en avant par Tiberghien et Megalakaki (1994) pour expliquer que l'élève ne perçoive pas facilement l'utilité du modèle est qu'il est plus facile à l'élève d'adapter son propre modèle spontané pour le rendre compatible avec chaque nouvelle situation expérimentale que d'adopter un cadre général d'explication du monde. Ceci pose également la question plus large du mode d'introduction du modèle dans une séquence d'enseignement en référence aux fonctions qui lui ont été attribuées. Ceci renvoie une fois de plus à l'analyse des théories spontanées des élèves et laisse envisager que les propriétés du modèle que les élèves s'approprient le mieux soient celles :

  • qui concernent des domaines quotidiens pour lesquels ils n'ont aucune interprétation simple qui les satisfasse ;

  • qui ne vont pas à l'encontre de leur théories spontanées.

  Signalons à ce stade que le modèle peut acquérir aussi une certaine utilité dans sa capacité à évoluer. Dans cette approche heuristique, il paraît nécessaire de faire vivre le modèle, i.e. comme le dit Host "de le faire fonctionner et de procéder à des simulations, pour éviter la dégradation du modèle en un objet dogmatique, faussé par des analogies douteuses, trop rigide pour s'appliquer à des champs conceptuels nouveaux" (Host, 1989). Il conviendra alors de proposer des situations pour lesquelles le recours au modèle sera fructueux mais aussi de proposer des simulations quand ce sera possible. Nous en proposerons une pour l'un des deux modèles étudiés.
  Dans cette approche dynamique, il est aussi remarquable de constater que des éléments globalisants d'un modèle, lorsqu'ils sont maîtrisés et couramment utilisés constituent une grille de lecture et d'observation du monde des objets et des événements. Des objets techniques complexes intègrent alors le champ expérimental et les "phénoménographies", descriptions empiriques mais largement conceptualisées (Martinand, 1992) ouvrent ainsi la porte à l'élaboration de nouveaux modèles.

• Prévision, interprétation, représentation
  Un modèle peut également apparaître utile si l'utilisateur potentiel perçoit qu'il peut grâce à lui expliquer et/ou prévoir. Des activités de prévisions relatives à des phénomènes doivent donc pouvoir être proposées pour espérer que le modèle apparaisse utile dans un premier temps, construise du sens dans un second temps. Ceci contraint bien évidemment les situations empiriques et/ou expérimentales proposées en référence au modèle, aussi bien celles à prévoir que celles à interpréter. Il ne faut pas non plus oublier que les modèles, basés sur des descriptions reconstruites et conceptualisées, assurent une fonction de représentation des objets et des événements essentielle dans une stratégie d'enseignement de la physique, science dont le recours au symbolisme (formel, graphique, schématique) est énorme. Une prise en compte concrète de la pluralité des ces fonctions sera présentée au paragraphe VI.2.

• Modèle et savoir à enseigner
  Enfin, une contrainte forte, liée au curriculum, peut peser sur le modèle. L'écart entre savoir savant et savoir à enseigner, au niveau du secondaire tout au moins, empêche l'utilisation de modèles proches des théories physiques bien formalisées dont ils ne seraient que des "simplifications". Il s'agit plus souvent de repenser la physique par une analyse fine des savoirs en jeu mais également du champ expérimental qui va servir de référence, en faisant en sorte qu'il soit le plus proche possible du domaine de fonctionnement et de pertinence du modèle à construire.
  Finalement, le modèle peut-il exister seul, doit-il répondre à des situations-problèmes spécifiques ? Bachelard (1979) affirme que le modèle à finalité pédagogique est toujours local, sans possibilité de prolongation. Pour tenter d'inventer cette prolongation nous pouvons cependant ici nous poser la question de la pertinence du modèle en référence à ce qui nous intéresse, la compréhension des phénomènes sonores dans leur ensemble. Mais la transversalité des concepts en jeu (cf. § II.2.2.6.) peut permettre d'espérer une évolution des modèles proposés pour d'autres champs phénoménologiques (nous pensons par exemple au modèle microscopique de la propagation du son qui peut servir de base à l'interprétation de phénomènes qui ne sont pas liés à l'acoustique). C'est sans doute là un défi à relever.

Ces premiers éléments d'analyse des modèles, de leur rôle ou de leur utilité dans des stratégies d'enseignement prennent peu en compte l'activité et les structures conceptuelles des élèves. Nous ne la négligerons pas pour formuler les hypothèses, que nous explicitons dans le paragraphe suivant, sur le rôle de la modélisation dans l'enseignement et l'apprentissage.