V.1.4.3 Hypothèses au sujet de la modélisation

Une de nos hypothèses majeures est que l'activité de modélisation pratiquée par l'élève tend à favoriser l'apprentissage de la physique et des concepts que la physique met en jeu pour interpréter le monde des objets et des événements (Tiberghien, 1994). En conséquence, l'élaboration de séquences d'enseignement doit permettre à l'élève de mettre en relation les différents niveaux de modélisation. Nous préciserons un peu plus loin des hypothèses supplémentaires au sujet des conditions favorables pour rendre ces activités les plus efficaces possibles.

Cette première hypothèse est maintenant partagée par une grande partie de la recherche en didactique. Les modèles ont fait leur entrée (en apparaissant comme tels) dans le champ scolaire depuis quelques années, suite à quelques recherches antérieures en didactique qu'il est possible de dater, en France, de la fin des années 80 (Weil-Barais et Lemeignan, 1990 ; Chomat et al., 1988). Pour éviter de poser le modèle en objet de savoir dogmatique, qu'il suffirait de transmettre comme un type particulier de savoirs intelligibles, la question s'est alors vite posée, non pas de l'écriture de "bons" modèles didactiques, mais des ‘"moyens de transformer les contenus et les activités d'enseignement et d'apprentissage pour développer une maîtrise de la modélisation comme attitude et démarche intellectuelle utilisant certains outils"’ (Martinand, 1992, p.9). Cette démarche oblige à ancrer les activités de modélisation dans le concret de la situation d'enseignement et d'apprentissage. Martinand (1992) distinguent trois types d'analyse possible à la suite de cette démarche (épistémologique, psychologique et pédagogique). Nous reprenons, à quelques nuances près, en insistant davantage sur certains points et en les reformulant en fonction de notre contexte théorique, ces types d'analyses que nous estimons nécessaires pour élaborer des séquences d'enseignement impliquant modélisation.

  1. Une analyse centrée sur les savoirs disciplinaires en jeu, sur la fonction et le champ de validité des modèles proposés. Nous détaillons particulièrement ce point dans le paragraphe suivant (§ V.2).

  2. Une analyse centrée sur l'ingénierie didactique mise en place pour rendre efficace la modélisation dans un ensemble cohérent et varié d'activités et de contenus. Par exemple le problème peut se poser du mode d'introduction didactique du modèle pour favoriser l'activité de modélisation chez l'élève. La littérature didactique donne quelques possibilités pour l'introduction des modèles (Bécu-Robinault, 1997, pp. 70-73) :
    • situation-problèmes créant le besoin de modèle puis imposition ;

    • construction progressive du modèle avec des expériences variées ;

    • imposition d'un germe de modèle puis construction progressive par passage par le champ expérimental ;

    • simulations informatiques pour "concrétiser" le modèle.

    Dans bon nombre de travaux, que ce soit sur l'énergie ou sur les propriétés de la matière, les modèles sont explicités. Qu'ils soient coélaborés avec les élèves ou imposés par l'enseignant, cette mise en texte (et éventuellement en image, ce qui pose le problème supplémentaire des registres sémiotiques utilisés (Duval, 1995)) des modèles paraît en effet essentielle pour leur utilisation, leur éventuelle évolution future et la séparation des deux modes de description des phénomènes (phénoménologique et modèle) (Méheut et al., 1994). Rien n'empêche alors dans un second temps d'en proposer une simulation permettant la représentation par exemple purement graphique. Quel que soit le mode d'introduction, et dans la continuité de certains travaux (par ex. Tiberghien, 1996, Méheut, 1996), il nous paraît indispensable de rendre le modèle (ou un germe de modèle) explicite pour l'élève et de le présenter comme tel, ce qui constitue une autre hypothèse fondamentale.
  3. Enfin, ce qui est plus rarement traité, une analyse centrée sur l'élève : quels sont les modèles spontanés, les structures conceptuelles et la phénoménologie quotidienne qu'il est possible de repérer, quel est l'écart par rapport au modèle de la physique et au savoir à enseigner, quel type d'articulation est-il possible de dégager, quelles sont les caractéristiques des activités de modélisation de l'élève ? Notre travail de recherche s'inscrit dans la prise en compte de ces différentes problématiques pour concevoir et se donner les moyens d'analyser les activités de modélisation. Un premier pas dans cette direction a été fait au regard des résultats de la recherche sur les connaissances initiales au sujet du son (chapitre III). Ceci nous semble encore loin de répondre à une problématique générale qui doit analyser plus attentivement les modèles et théories spontanées (mais aussi les modes de description du monde adoptés par les élèves) en référence à un champ empirique large et quotidien, mais également se placer dans une approche développementale pour étudier l'effet d'activité de modélisation dans un contexte plus large que celui de la seule résolution de problème. La partie C, qui constitue le coeur de notre expérimentation tente de contribuer à cette entreprise en donnant des outils et des méthodologies d'analyse. Une telle approche demande aussi, même si nous le ferons moins, de se donner les moyens de pouvoir analyser attentivement les activités de modélisation de l'élève et la façon dont il utilise (ou reconstruit) le modèle (Tiberghien, 1994). Ceci permet de mieux appréhender l'influence du degré de compatibilité entre modèle spontané et modèle proposé par l'enseignement, compatibilité dont la faiblesse peut être un frein important à l'apprentissage.

L'ensemble de ses angles d'analyse constitue donc un cadre théorique fort pour la construction des séquences au sujet du son. Les trois types d'analyse s'enrichissent mutuellement et si une analyse du savoir disciplinaire est nécessaire pour débattre des points 2 et 3, à l'inverse, les problèmes soulevés dans ces deux points nécessitent et enrichissent une analyse des savoirs disciplinaires (point 1). Il ne s'agit pas forcément de remettre en cause les contenus disciplinaires, mais de les réorganiser et d'en faire émerger les concepts fondamentaux au regard des analyses précédentes. Une telle analyse est effectuée en particulier dans le paragraphe suivant V.2.