V.2.2 Variété et description des modèles et des domaines expérimentaux

Dans un premier temps, nous nous contentons de ne préciser que les modèles et les domaines expérimentaux que nous pensons pertinents pour analyser les savoirs et l'activité des élèves dans le contexte de la classe de seconde. On peut alors dégager quatre modèles opératoires et quatre domaines expérimentaux, comme il est mentionné sur la figure V.2-1:

message URL FIGV-02.gif
figure V.2-1 : modèles et domaines expérimentaux dans le cas du savoir à enseigner au sujet du son (il n'y a bien sûr aucune correspondance a priori entre domaine empirique et modèle en regard sur cette figure)

Il n'y a pas de séparation complète entre les modèles et certains éléments de savoirs peuvent être partagés. On pourra ainsi avantageusement utiliser des savoirs du modèle vibratoire macroscopique (les concepts fréquence et amplitude par exemple) pour comprendre le modèle microscopique. Sans parler de hiérarchie dans les modèles présentés, il peut y avoir emboîtement d'un modèle dans un autre ou tout au moins recouvrement entre plusieurs modèles. Une même situation peut également être interprétée par deux modèles différents. C'est tout l'intérêt de la séquence d'enseignement de pouvoir, par les problèmes soulevés à partir d'une situation donnée, de pouvoir orienter vers un modèle et/ou vers un autre. Dans une situation simple de propagation, on peut par exemple choisir de s'intéresser aux mécanismes de la propagation (le modèle particulaire sera alors a priori pertinent) ou à la vitesse à laquelle le son se propage (plutôt modèle de la dynamique du son).

Il n'y a pas non plus de cloisonnements stricts entre les domaines expérimentaux que nous distinguons. Bien sûr, un seul monde sensible est proposé à l'observation et à l'interprétation. L'analyse du chapitre I a permis de mettre en évidence la richesse et la diversité de ce qui est donné à observer. La physique, en introduisant des appareils techniques et en organisant des situations expérimentales complexifie un peu plus le monde des objets et des événements. Cependant, à l'intérieur de ce monde perceptible, la physique sélectionne ce qu'il y a à "regarder" et focalise son attention sur l'un ou l'autre (ou plusieurs) de ce que nous avons donc appelé des domaines expérimentaux. Pour le son, on peut par exemple, selon les phases d'enseignement considérées, prendre en compte l'utilisation des appareils électriques (et la façon dont ils sont réglés) comme pertinente pour la situation. Ou bien si l'élève s'intéresse à la propagation du son, c'est l'organisation de l'espace qui devient pertinente (distance entre émetteur et récepteur, milieu de propagation, présence d'obstacles). On peut, pour une même situation, privilégier tel ou tel domaine expérimental. Cette classification, basée sur la pertinence a priori, participe bien évidemment d'une première conceptualisation, dont le détour par le monde des modèles est manifeste. Il est donc important de spécifier que cette classification est une reconstruction du chercheur et n'est pas réalisable en l'état par l'élève pour lequel, au début en tous les cas, tout est dans le monde réel de façon similaire sans discrimination consciente de ces domaines. Ce référent empirique dont nous donnons quelques éléments dans le tableau V.2-1 est celui de la discipline et comme le dit Martinand, la phénoménologie qui y est attaché est ‘"évidemment affectée par l'emploi d'un modèle connu"’ (Martinand, 1987, p.41). La partie C aura en particulier pour objectif d'étudier la phénoménologie de l'élève, a priori bien différente.

Tableau V.2-1 : tentative de délimitation des domaines expérimentaux
domaine expérimental Objets, événements concernés Commentaires
perception sonore Sons perçus
Note, tonalité, hauteur
sensation
émotions...
Ensemble événements auditifs, y compris les émotions ressenties.
organisation spatiale Distances
milieu de propagation
murs, obstacles...
Situation sous son aspect statique. C'est de l'organisation spatiale, à l'équilibre, qu'il s'agit.
objets vibrants vibration de l'émetteur
phénomènes qu'on peut toucher et voir
Situation sous son aspect vibratoire. On est hors équilibre.
transducteurs électromécaniques
+
appareils électriques
Microphone
oscilloscope
amplificateur
sonomètre
ordinateur
On inclut dans cette catégorie les objets/outils qui permettent de créer un son à partir d'un signal électrique, de transformer un son en un signal numérique ou analogique afin de "voir" tout ou partie du son pour étudier un son et ses caractéristiques.

Modéliser consiste donc ici à établir des relations qui peuvent être complexes entre domaines expérimentaux et modèles. Pour une compréhension de la physique élémentaire du son, des liens entre modèles entre eux et entre domaines expérimentaux entre eux sont aussi nécessaires.

Pour préciser la façon dont nous caractérisons ces modèles et ces domaines expérimentaux, nous donnons les deux tableaux suivants des concepts ou des objets / événements (selon le cas) qui nous semblent s'y rapporter. Dans le tableau V.2-2, les concepts fondamentaux du modèle (2e colonne) sont ceux qui sont nécessaires à la détermination complète du modèle et à sa cohérence. La troisième colonne regroupe les concepts du savoir à enseigner curriculaire qui peuvent s'y rapporter (avant aménagements). La comparaison des deux colonnes est donc un bon moyen de voir ce qui est retenu comme essentiel et/ou modifié par le savoir à enseigner, sous différentes contraintes que nous avons déjà décrites (chapitre II). Ces indications sont données à titre indicatif et ne sont pas déterminées de façon stricte et définitive.

Tableau V.2-2 : concept fondamentaux des modèles
Modèle Concepts fondamentaux du modèle Concepts du savoir à enseigner
Modèle de la chaîne sonore Émetteur
Milieu (support)
Récepteur
les mêmes
Modèle de la vibration pour la création sonore Mouvement d'aller-retour
Vibration
Fréq./période
Amplitude
Surface vibrante
Forme ou motif de la vibration
Vibration
Fréquence / période
Modèle particulaire pour la propagation du son Mouvement particulaire
Mouvement de va et vient
Interaction
Milieu matériel
État de l'air
Propagation de proche en proche des zones comprimées
Longueur d'onde
Déplacement de proche en proche du milieu matériel
Vibration du milieu
Pas de transport de matière
Variation de pression
Déplacement des part.
Modèle de la dynamique du son
(permet de décrire et d'interpréter de nombreuses situations courantes mais ne peut être complet qu'en utilisant des éléments des deux précédents modèles)
Déplacement et vitesse du son Interaction avec les objets matériels
Déplacement et vitesse du son
Réflexion, absorption

Les deux modèles "vibratoire pour la création sonore" et "particulaire pour la propagation" feront l'objet d'une mise en texte précise dans le chapitre VI. Il sera également donné des éléments de sémantique et de pragmatique de ces modèles dans le cadre de situations réelles d'enseignement. Le modèle particulaire sera surtout largement développé et aménagé dans le dernier chapitre de ce travail puisque nous en proposerons une simulation.

Ces deux modèles nous paraissent fondamentaux dans la mesure où ils sont susceptibles de mettre en oeuvre des notions fondatrices (Baker et Tiberghien, 1999) plus ou moins avérées : c'est le cas pour la vibration qui d'une part a une signification au sens commun, d'autre part est une notion fondamentale (pour la physique) qui semble faciliter l'acquisition des savoirs élémentaires sur le sujet ; pour le modèle de la propagation du son, il est possible d'identifier plusieurs notions fondamentales (propagation, onde, longueur d'onde, séparation espace-temps) mais nous verrons dans la suite de la discussion qu'il n'est pas évident de savoir quelles notions sont réellement fondatrices, au sens où elles faciliteraient l'apprentissage du domaine.