VI.2 Rôle des activités expérimentales et modélisation

VI.2.1 Position du problème

Dans une logique d'ingénierie didactique, la vigilance des enseignants au sujet de la faisabilité des expériences ou des activités expérimentales, des modes possibles de présentation des modèles assurait un équilibre fructueux avec des éléments d'ordre plus théorique du chapitre V.

Comme nous l'avons vu au chapitre V, la modélisation est un moyen fructueux d'interpréter le monde des choses, certes, mais surtout de donner du sens aux grandeurs et concepts de la physique, dans leur articulation avec les objets et les événements. Ces activités sous-tendent toutes les séquences proposées par le groupe SOC. Ceci est facilité par le choix que nous avons fait de présenter l'essentiel de la découverte des concepts par l'élève en séances de TP, choix que nous justifions dans le paragraphe suivant.

Cependant, ce choix ne suffit pas pour donner une exploitation efficace des activités expérimentales en vue de la modélisation. Johsua (1989) décrit bien comment les stratégies d'enseignement ont longtemps été pensées en masquant les relations complexes entre expériences et modèles, ce qui tend alors à appauvrir ‘"la fonction et le contenu du rapport à l'expérimental"’ (p.29). L'option inductiviste, en particulier, a entre autre pour effet de restreindre fortement le champ expérimental à quelques expériences prototypiques qui, dans le cas du son, sont relativement facilement identifiables historiquement (cf. chapitre II). De plus, le récent rapport européen "Labwork in science education" a permis de montrer que les objectifs d'apprentissage attribués au TP par l'enseignant sont assez peu variés, et ceci dans les principaux pays d'Europe : identifier des objets ou des phénomènes et les rendre plus familier, apprendre un concept, apprendre une relation, apprendre à utiliser un instrument ou encore apprendre à traiter des données, à les utiliser pour appuyer une conclusion. Apprendre une théorie ou un modèle n'est que rarement fixé comme objectif d'un TP (Tiberghien et al, 1998).

Ces quelques objectifs sont en accord avec ce que les élèves sont effectivement censés faire une fois l'expérience réalisée : en classe de physique il s'agit essentiellement de redécrire directement la ou les observations, d'étudier la relation entre deux quantités, de calculer la valeur d'une grandeur non mesurée elle-même ou de rendre compte d'observations en proposant une explication au regard d'une loi connue. Des activités comme vérifier une prédiction ou faire un choix entre plusieurs explications possibles à l'aide d'une expérience, pourtant essentielles dans une logique de modélisation, ne sont quasiment jamais faites par les élèves au niveau du lycée. De même lorsqu'il s'agit d'inventer un protocole ou de réaliser un objet ou les conditions favorables à l'observation d'un événement (Tiberghien et al., 1998). Les activités expérimentales courantes sont donc extrêmement peu diversifiées. De plus, les stratégies d'élaboration, les protocoles, les choix d'expériences sont quasiment entièrement à l'initiative du professeur.

Pourtant, la physique, science expérimentale par excellence, ne fait pas jouer un rôle unique à l'expérience de laboratoire ou quotidienne. La fonction de l'expérimental dans l'enseignement a été largement étudiée (Johsua & Johsua, 1987, 1988) et le bilan ne permet pas de rendre compte de cette diversité qui est pourtant une richesse tant pour la compréhension de la façon dont fonctionne la science que pour les raisonnements fondamentaux qui en découlent. Les TP ont donc tendance à avoir toujours les mêmes objectifs et à induire un nombre faible de modalités d'exploitation de l'expérience, dans une logique inductiviste qui prédomine encore largement. Rompre avec cette option inductiviste, c'est ouvrir le champ expérimental (en y incluant le champ empirique) puisqu'il n'est plus question alors de ne présenter que les expériences prototypiques adaptées au modèle à présenter (expérience de monstration ou de renforcement (Johsua, 1989)).

Afin d'enrichir le rôle et les modalités d'exploitation de l'expérience, pour comprendre les enjeux de la physique et pouvoir pratiquer ses méthodes, il convient donc, dans une logique de modélisation :

  • d'une part de repenser la place des activités expérimentales dans l'institution scolaire, acte dont nous tentons une brève ébauche dans le paragraphe VI.2.2 qui suit ;

  • d'autre part de diversifier les modalités d'activité menées par les élèves et impliquant une expérience (§ VI.2.3).