VI.4.2 Modèle particulaire de la propagation du son

VI.4.2.1 Place de la propagation dans le savoir à enseigner et rappel sur les conceptions

Nous avons vu au chapitre II que la propagation du son occupe une place importance dans le programme de seconde. Il est cependant remarquable de constater que ce qui est mis en avant est essentiellement la nécessité d'un milieu, l'existence de la vitesse de propagation (qui doit être connue dans l'air et doit pouvoir être mesurée). Ces deux blocs de savoirs sont l'occasion de mettre en oeuvre des expériences prototypiques et présentes depuis longtemps dans l'enseignement, et que le groupe SOC ne se dispense d'ailleurs pas de proposer (en particulier dans les TP n°1 et n°4). On peut penser en particulier à l'expérience de la sonnette sous vide et les expériences de mesure de temps de vol pour la vitesse. Ces deux aspects ne vont pas réellement contre des modèles spontanés fort, comme les novices peuvent en avoir en référence à d'autres classes de situations (mécaniques en particulier). Le fait que le son se déplace et qu'il ait besoin d'un milieu pour ceci n'est pas fondamentalement choquant pour le novice, ou tout au moins de va pas à l'encontre des mécanismes explicatifs spontanés forts qui seraient éventuellement mis en oeuvre.

Par contre, pour comprendre comment et pourquoi le son se propage, l'approche phénoménologique ne suffit plus. Un mécanisme explicatif est nécessaire et celui que fournit la physique est la plupart du temps bien éloigné, voire opposé, aux explications fournies par les élèves (quand elles peuvent être fournies) relevées au chapitre III. Par exemple, la physique fournit un mécanisme explicatif qui, macroscopiquement, laisse le milieu immobile. Ou encore, la physique rend le milieu actif dans le mécanisme de propagation alors qu'il est souvent uniquement un support passif pour les élèves.

Le programme tente de décrire plus précisément ce mécanisme de propagation. Il est ainsi mentionné dans un premier temps que le déplacement se fait ‘"de proche en proche et sans déplacement de matière"’ (B.O.). Pour pallier les difficultés d'observation des phénomènes prenant place dans le milieu, des exemples macroscopiques sont cités, en guise d'illustration de ces deux traits saillants de tout mécanisme de propagation ondulatoire. La présentation de ces "analogies ondulatoires" est réaffirmée dans les aménagements de programme mais comme c'est quasiment toujours le cas, ces analogies ne font qu'amener potentiellement de nouveaux problèmes : quel coût cognitif pour passer de l'exemple fourni à la propagation du son, et à quel prix ? Nous ne rentrerons pas davantage dans les difficultés qu'induisent ces illustrations, mais elles risquent fort, en tous les cas, d'être insuffisantes pour déstabiliser les conceptions relativement stables que peuvent avoir les élèves sur la propagation du son et que nous avons décrites au chapitre III.

Nous estimons qu'à ce stade, la physique ne fournit toujours pas d'explication de la façon dont une information acoustique peut être transmise en un autre endroit du milieu. Pour ceci, dans le cadre d'un enseignement qui, à ce niveau, est privé du formalisme mathématique ondulatoire, il nous paraît alors essentiel de proposer, comme le fait le programme, une ‘"interprétation microscopique de la propagation dans le cas du son"’ (B.O.). Il est donc regrettable que celle-ci ait été supprimée lors des aménagements, ainsi que toute référence à ce sujet dans le programme. Nous redisons ici clairement que l'affirmation axiomatique qui l'a remplacée ‘("le son est une oscillation de pression qui se propage’ ") n'est compréhensible que par celui qui sait déjà ce dont il s'agit (les concepts d'oscillation et de pression sont des concepts complexes de la physique et une telle affirmation ne donne toujours pas de processus explicatif compréhensible par les élèves).

Dans le programme, la propagation du son est suivie par la définition de la longueur d'onde (a priori par la relation entre période et vitesse) et par les activités expérimentales auxquelles elle donne lieu. Il est ainsi attendu que l'élève sache ‘"mesurer la longueur d'onde à l'aide d'un ou mieux de deux microphones"’ (cette compétence n'a pas été supprimée dans les aménagements). L'expérience à laquelle il est fait allusion est de fait largement répandue en seconde au point de devenir prototypique. Un schéma en est fourni figure VI.4-4.

message URL FIGVI-04.gif
Figure VI.4.4 : expérience classique pour mesurer la longueur d'onde

Cette expérience, consiste à observer à l'oscilloscope l'évolution temporelle des tensions délivrées par deux micros détectant le même son à des distances différentes. L'écart entre deux positions du micro M2 par exemple qui permet de déphaser la tension qu'il délivre de 2π par rapport à la tension du micro M1 donne alors la longueur d'onde. Pour notre part, il nous paraît essentiel de comprendre comment le son se propage pour donner du sens au concept complexe de longueur d'onde. Par suite, il est quasiment impossible, sans compréhension de ce qui se passe effectivement dans le milieu et de ce que "capte" les microphones, de percevoir pourquoi un tel protocole permet de mesurer la longueur d'onde.

Si elle présente bien évidemment un intérêt didactique indéniable, en particulier pour définir la longueur d'onde autrement que par une simple formule vidée de sens et exploiter cette définition pour en faire une mesure, cette expérience très instrumentalisée n'éclaire pas forcément les élèves sur le mécanisme de propagation du son. Elle peut pourtant sembler remarquable au physicien qui maîtrise le fonctionnement de l'oscillo, et qui est familier des distinctions entre évolution temporelle et évolution spatiale. Traditionnellement, pour observer "ce qu'il se passe", l’élève est invité à utiliser un haut-parleur, un micro, un oscillo..., instruments nécessitant des connaissances assez importantes et non triviales pour comprendre ce qu'ils mesurent effectivement. Ces instruments sont alors présentés comme le moyen d'avoir une représentation à chaque instant de ce qu'il se passe dans le milieu et auquel l'élève n'a pas accès directement avec sa vue. Ce lien non évident entre ce qui est visible à l'oscilloscope et ce qu'il se passe dans le milieu en terme de compression et de dilatation demande énormément de temps pour être construit par l'élève et reste extrêmement compliqué sans représentation externe de ce qui se passe au niveau microscopique. La complexité des appareils expérimentaux (tant au niveau de leur fonction que de leur fonctionnement) alliée à un modèle complexe support d'évolutions spatio-temporelles rend cette partie difficile à enseigner du point de vue des enseignants (cf. chapitre II) et à comprendre du point de vue de l'élève.

La dépendance spatio-temporelle joue en effet un rôle majeur dans la complexité d'apprentissage des phénomènes en jeu. Les deux variations (temporelle et spatiale) de la grandeur acoustique (par exemple la surpression) ne sont pas indépendantes et les moyens expérimentaux utilisés traditionnellement pour "capter" ces évolutions d'une part ne donnent une idée que de l'évolution temporelle (micro + oscillo par exemple) ou spatiale (tube de Kundt par exemple mais dans une situation où les ondes sont stationnaires...), d'autre part ne permettent pas de lever le mélange rapidement fait entre temps et espace. Pour illustrer ce dernier point remarquons par exemple que, dans l'expérience de la figure V.4-4, lorsque l'élève déplace un micro il observe à l'oscilloscope un glissement (temporel donc) d'une des deux courbes par rapport à l'autre. Comment empêcher alors l'assimilation naturelle entre le mouvement du microphone et celui de la courbe, devenant alors une courbe dans l'espace !