Au regard des objectifs que nous nous sommes fixés, il convient alors de mettre au point une stratégie de recueil d'information. Pour préciser quelque peu ce que nous entendons par recueil d'information, nous reprenons à notre compte la définition qu'en donne de Ketele (1996) qui nous paraît bien éclairer notre stratégie :
Le recueil d'informations peut être défini comme le processus organisé mis en oeuvre pour obtenir des informations auprès de sources multiples en vue de passer d'un niveau de connaissance ou de représentation d'une situation donnée à un autre niveau de connaissance ou de représentation de la même situation, dans le cadre d'une action délibérée dont les objectifs ont été clairement définis, et qui donne des garanties suffisantes de validité. (De Ketele, 1996, p.16)
Pour mener à bien le recueil d'information, le questionnaire est devenu une technique classique de la recherche en didactique pour mieux connaître les connaissances initiales et leur éventuelle évolution au cours du développement ou à l'issu d'un apprentissage. Comme d'autres techniques, elle comporte inconvénients et avantages qui ont été l'un comme l'autre largement étudiés (par exemple De Ketele, 1996).
Commençons par les défauts majeurs. Nous avons bien conscience de la contrainte que fait peser la production écrite. Comme nous l'avons vu dans la partie B, cette contrainte n'est pas forcément néfaste pour la réflexion et la conceptualisation puisqu'elle fait pleinement partie des processus cognitifs en jeu. Par contre elle limite la taille de la quantité d'informations pour des raisons temporelles mais également matérielles (la place pour répondre sur la feuille était dans notre cas relativement limitée). De ce point de vue la technique de l'interview est bien supérieure mais a d'autres inconvénients que n'a pas le questionnaire. Par exemple, le questionnaire empêche l'ouverture que permet l'interview (s'il n'est pas trop fermé). Les questions peuvent certes être ouvertes mais l'ordre chronologique est imposé et l'élève est finalement fortement guidée dans la succession des situations et des sujets abordés.
Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que la question posée n'est pas un instrument qui permet d'observer sans perturber ce qui est observé. De la même façon que l'instrument de mesure perturbe, même de façon minime, ce qu'il mesure, le questionnaire perturbe le sujet questionné et les raisonnements qu'il met en oeuvre. Pour reprendre une métaphore de Laurence Viennot (1994), les idées, concepts et modes de raisonnement sont similaires à des objets dans des tiroirs que l'on peut ouvrir par les clés que sont les questions posées27. Formuler des questions qui, en ouvrant le tiroir, n'y dépose rien n'est pas une chose aisée. Il ne s'agit pas de nier ceci mais au contraire de le prendre en compte. Les productions des élèves sont faites en référence à une situation donnée et la généralisation à d'autres situations doit absolument être questionnée. Ceci constituera d'ailleurs une de nos questions de recherche. Nous adopterons pour cette raison une grille d'analyse précise pour chaque question, en privilégiant donc comme le propose Viennot (1994) ou Chauvet (1996), de repérer les couples questions-éléments de réponse. Ce sera alors le travail du chercheur de dégager, à partir de ces couples, les grandes tendances de raisonnement et de conceptualisation, par observation simultanée des réponses à diverses situations corrélées a priori. Il s'agira de dégager la cohérence éventuelle des raisonnements et conceptualisations à travers le plus grand nombre possible de situations empiriques.
Au niveau des avantages maintenant, le premier qu'il convient de mentionner est la possibilité offerte, dans un temps raisonnable, de traiter les productions d'un échantillon relativement important. Pour pouvoir dégager de grandes tendances, il faut en effet pourvoir s'appuyer sur un nombre significatif d'élèves, sans que ceci implique forcément une analyse statistique poussée (tout dépend de ce qu'on souhaite étudier). La méthode de l'interview est en ce sens beaucoup plus lourde, privilégiant le grain d'analyse au détriment de l'indépendance entre résultats et individu. Sur un sujet comme le nôtre, il est important de pouvoir disposer de réponses en nombre. C'est l'ensemble des réponses qui pourra permettre de dégager des tendances pour définir des invariants de raisonnement.
Cet ensemble de productions recueillies permet également de mener les investigations auprès de publics variés, en adéquation avec le public actuel des lycées français. Ceci est primordial si l'on veut pouvoir proposer des pistes de réflexions pour l'enseignement, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un sujet où le vécu quotidien est appelé à jouer un rôle majeur.
Selon la classification de de Ketele (1996), le questionnaire que nous proposons est donc à mi-chemin entre contrôle de connaissances et enquête. Il contrôle les connaissances au sens où il s'intéresse à l'individu (ou se donne au moins les moyens de mener des analyses individuelles), il est une enquête dans la mesure où c'est bien une population qui est la cible de nos recherches (enquête est entendu au sens ‘"d'une étude d'un thème précis auprès d'une population dont on détermine un échantillon afin de préciser certains paramètres"’ (De Ketele, 1996, p. 31)). Signalons également que parmi la taxinomie que De Ketele propose des activités repérées dans un contrôle de connaissances, nous cherchons à observer plus particulièrement :
le savoir-redire (un message ou une information apprise sans la modifier de façon significative) ;
le savoir-faire cognitif ;
le savoir-être (au sens où nous observons la façon dont l'élève appréhende la situation en s'y projetant éventuellement, la façon dont il sélectionne les traits qui lui semble pertinent, la représentation qu'il adopte...).
Bien sûr, la technique du questionnaire (malgré ce qui vient d'être dit, nous adoptons dorénavant ce terme) ne doit pas, si possible, être la seule utilisée pour recueillir l'information. Dans la mesure du possible, il convient d'exploiter la variété des techniques, aussi bien pour élaborer le questionnaire, pour établir les grilles d'analyse que pour analyser effectivement les résultats. Nous verrons plus loin que nous avons en partie adopter une telle stratégie.
Nous ne faisons pas dire plus qu'elle ne dit à cette métaphore. En particulier, il ne faudrait pas en déduire que le cerveau est un contenant dont on pourrait tirer (comme des tiroirs) telle ou telle connaissance ou dans lequel on pourrait mettre des connaissances.