Chapitre IX Langage et savoirs au sujet du son

Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises l'importance de la désignation lexicale des perceptions auditives et des concepts pour étudier les savoirs en jeu au sujet du son d'une part, pour analyser les productions et les activités cognitives des élèves d'autres part.

Ce que nous avons relevé jusqu'à maintenant à ce sujet se résume aux quelques points suivants :

• Le son en général est un sujet qui permet une diversité extrême d'usages lexicaux, tant au niveau de la description des sensations auditives que des phénomènes physiques en jeu. Chion (1998) relève fort bien ce champ des possibles langagiers et affirme d'ailleurs que les potentialités de notre langue à ce sujet sont largement sous-exploitées dans la pratique courante. Nous pouvons ajouter que, comme pour d'autres sujets, la métaphore joue un rôle majeur dans cette diversité (Lakoff et Johnson, 1985) (chapitre I).

• Le savoir scientifique (et en particulier le savoir à enseigner) utilise de façon classique des supports langagiers pour désigner des concepts précis. Bien que la terminologie scientifique puisse emprunter régulièrement à l'usage courant ou à d'autres disciplines, l'usage scientifique d'un concept ne supporte pas de "dérapage sémantique" (Gentilhomme, 1994). Le concept est entièrement déterminé par sa définition (qui précède toujours l'utilisation du concept) alors que la notion qui partage le même signifiant autorise des usages plus flous dans l'usage quotidien. Les différences majeures entre notion et concept ont été débattues au chapitre III.

• Le savoir scientifique au sujet du son semble un sujet typique pour étudier l'articulation entre notion et concept : nombre de termes désignant des concepts sont des emprunts au langage courant (vibration, intensité, fréquence, émettre, recevoir, hauteur...) ou ont un usage partagé avec d'autres branches de la physique ou de la science (volume, milieu, résonance par exemple).

• La verbalisation et la production écrite jouent un rôle majeur dans la construction des connaissances scientifiques. Cette approche vygotskienne est maintenant assez bien partagée et l'ingénierie présentée dans la partie B l'a non seulement mise en pratique mais a aussi permis d'illustrer le rôle central que ces phases, peu fréquentes dans l'enseignement scientifique, pouvaient jouer (Baudry et al., 1998).

Le contexte nous paraît donc tout à fait favorable à une étude complémentaire sur le sens que les élèves peuvent attribuer à certains termes scientifiques avant enseignement et sur les usages qu'ils privilégient.

Ce chapitre est donc une contribution tout à fait modeste aux nombreux travaux de didactique qui prennent en compte le rôle de la langue naturelle dans les processus d'enseignement et d'apprentissage. Ces travaux considèrent souvent le langage naturel quotidien comme un handicap, voire un obstacle à la construction des connaissances.

Les travaux s'inscrivant réellement dans une articulation et un apport mutuel des deux disciplines didactique et linguistique restent assez rares. L'important travail de Gérard Collet nous paraît à ce titre remarquable et original (Collet, 1996). Il constitue pour nous une référence essentielle et a largement inspiré les expériences que nous avons menées.

Reste qu'il n'est pas question pour nous de présenter ce chapitre comme une étude en linguistique. Les repères théoriques seront relativement peu développés et notre travail n'a pas la portée de celui de Gérard Collet. Nous nous inscrivons davantage ici dans une démarche d'application, dans le cas du domaine sonore, de ces réflexions. Nous mettrons donc l'accent dans ce chapitre sur la présentation de l'expérience réalisée et de certains résultats.

Ces résultats viendront en partie confirmer les tendances dégagées dans le chapitre précédent. Ils seront surtout un moyen de mieux connaître l'articulation entre notion et concept, les interactions entre des contextes d'utilisation issus de différentes branches de la physique et la signification préalable pour les élèves des termes qui sont appelés à devenir un concept scientifique dans une phase d'enseignement.