IX.1.1 La langue comme support de connaissances et de raisonnements

Collet (1996) a largement mis en évidence l'intérêt d'une approche linguistique du développement des connaissances et des processus cognitifs. Il est maintenant assez largement reconnu que la langue est non seulement le moyen d'exprimer des connaissances mais qu'elle contraint également la construction et l'expression de ces connaissances. Il est également admis par les membres de différentes communautés (psychologie cognitive, psycholinguistique, linguistique mais aussi didactique) que les mécanismes cognitifs sont orientés ou contraints par la langue.

Sur un sujet scientifique où la représentation de phénomènes invisibles est cruciale (cas du son), nous remarquerons également le statut à part de la langue naturelle en tant que système sémiotique, par son rôle discursif (Duval, 1995, p.9). Comme c'est le cas pour le sujet qui nous concerne, la confrontation (éventuellement la "traduction") avec d'autres registres sémiotiques, non discursifs, est probable et fréquente. Outre son rôle d'énonciation de perception, la langue naturelle permet aussi l'apprentissage de représentations sémiotiques jugées pertinentes ou efficaces pour l'appréhension d'un concept. Il nous paraît ainsi important de tester la capacité des élèves à passer d'un registre langagier à un registre iconique.

Dans le cas qui nous intéresse, nous devons également mentionner les contraintes que fait peser la langue sur l'activité de modélisation. Collet (1996) expose en détail cet aspect puisqu'il étudie les activités de modélisation sur l'énergie, en prêtant une attention toute particulière aux mécanismes d'appariements entre concepts du modèle et éléments du monde sensible. Dans notre cas, l'appariement semble poser moins de problèmes que dans le cas de l'énergie (en particulier le repérage des émetteurs, récepteurs et milieu semble être, comme nous l'avons déjà dit, une activité relativement facile). Dans le cas du son, c'est surtout la référence aux perceptions sonores qui est problématique. L'approche phénoménologique nous permet de rappeler que les perceptions auditives et les émotions qui peuvent en résulter peuvent être extériorisées grâce à différentes manifestations : geste, attitude faciale, mais surtout langage naturel. Pour mieux comprendre les relations entre les phénomènes et les sensations perçues nous devons donc mener des investigations sur les termes du langage utilisés, tant pour rendre compte des émotions que pour décrire et interpréter les événements, notre hypothèse étant que ces utilisations peuvent s'influencer mutuellement. Pour cette étude, la diversité des traits sémantiques des descripteurs perceptifs pose le problème de leur articulation avec les concepts de la physique. Étudier précisément les contenus lexicaux des éléments du modèle d'une part, des descripteurs perceptifs d'autre part pourrait quoi qu'il en soit permettre d'améliorer les conditions propices à la modélisation.

L'activité de modélisation, constructrice de sens de notre point de vue, se fait généralement à l'aide de la langue. Les informations scientifiques (contenues dans le savoir à enseigner) sont le plus souvent fournies sous forme écrite (en particulier sous la contrainte de la transposition didactique). Pour un certain nombre de linguistes, en étudiant le langage, nous étudions aussi la structure de la pensée (Jackendoff, 1990). Cette liaison semble recouvrir deux facettes :

  • Les formes langagières utilisées, les structures lexicales mises en pratique peuvent refléter l'activité cognitive de l'apprenant. L'évolution de ces usages et mécanismes peut alors permettre d'évaluer l'apprentissage, ou tout au moins le niveau de complexité des raisonnements effectués.

  • Le fonctionnement propre de la langue peut induire les raisonnements et la nécessité même de verbaliser un résultat ou un raisonnement contraint celui-ci. La syntaxe liée aux termes du modèle (valence, sèmes inhérents à la base lexicale d'un verbe par exemple) pourra induire certains jugements de l'apprenant sur la valeur de vérité à accorder à certaines hypothèses ou affirmations.

Nous avons eu l'occasion de mesurer les effets de tels points de vue dans l'analyse des productions des élèves (chapitre précédent) puisque c'est souvent à partir des termes (et en tenant compte des tournures syntaxiques) que nous avons codé leurs réponses.

Collet (1996) soutient une thèse qui ‘"vise à établir que la langue naturelle, depuis les contenus qu'elle véhicule jusqu'à l'influence de ses mécanismes propres, est insuffisamment prise en compte, et qu'une part des conceptions et des raisonnements naturels y trouve sa place"’ (p.10). C'est dans cette perspective que se situe l'expérimentation que nous allons présenter. Nous ne donnerons cependant que quelques pistes de réflexion pour élaborer un travail futur que nous n'avons pas réalisé ici : observer l'influence des résultats obtenus sur l'analyse des processus de modélisation et d'apprentissage et mettre en évidence les contraintes exercées par de telles caractéristiques linguistiques sur l'activité de modélisation.

Après ces points de vue très généraux et avant d'exposer des résultats, nous détaillons deux points particuliers qui illustrent notre démarche et les aspects spécifiques que nous allons observés.