IX.1.2 La construction des concepts scientifiques : notion et concept

Nous accordons une importance toute particulière à la distinction déjà évoquée entre notion et concept (cf. § III.1.1.3). En effet, les textes du savoir à enseigner s'appuient généralement sur des termes spécifiques du discours scientifique mais appartenant cependant au langage courant (par exemple vibration, voire même fréquence). Le bénéfice de cette transformation de la notion en concept recouvre aussi un inconvénient puisque l'opération consiste du même coup en une redéfinition des termes. Dans le processus nécessaire de construction de sens auquel est confronté l'élève, ceci pèse forcément comme une contrainte.

Le diagnostic suivant de Gentilhomme (1994) nous paraît correspondre parfaitement à certains aspects du savoir scientifique au sujet des phénomènes sonores :

‘"Comme tels, les mots de la langue courante utilisés en physique ont déjà un signifié. Celui-ci ne sera pas balayé par le concept scientifique introduit mais lui servira de fondements, et s'y superposera, infléchissant sa signification et assouplissement son fonctionnement". ’

Le problème peut devenir important lorsque la multiplicité de traits sémantiques devient grande (ce peut être le cas avec volume, aigu ou grave par exemple). Comme l'a fait remarquer Laborde (1982), une définition institutionnelle monosémique des mots (y compris à l'aide du modèle) n'évacue pas les faits de polysémie, cette polysémie pouvant être inhérente au terme ou relever d'idiolectes individuels. Ce fait est peut-être renforcé lorsqu'il concerne des mots désignant des entités abstraites liées au monde sensible (par exemple aigu, grave, fort dans le cas de la perception auditive). Ceci met en cause l'hypothèse de Vygotski (1934), selon laquelle pour apprendre un concept scientifique on se sert de concepts spontanés associés au mot. Les concepts sont certes "encapsulés" (embodied) dans les mots (pour reprendre l'expression de Vygotski), mais la physique ne peut pas négliger que ces mots n'arrivent pas vierges de toute signification et qu'ils possèdent déjà un signifié qui est parfois très éloigné de celui du concept à construire. Quand bien même, la polysémie est reconnue, l'enseignement ne spécifie pas toujours le sens adopté par la discipline (le contexte étant sensé suffire). Pourtant, ‘"ce sont tous ces termes dont on ne pense pas toujours à préciser le sens exact en situation qui créent le plus de difficultés aux élèves"’ (Baudry et al., 1998, p.86). Comme nous le verrons, de nombreux termes du savoir à enseigner au sujet du son ont une telle polysémie. Nous nous intéresserons plus particulièrement à certains d'entre eux.

Par exemple, si les résultats déjà exposés permettent d'affirmer que le mot vibration peut être associé spontanément au domaine sonore, il reste à étudier :

Le questionnaire détaillé dans les deux chapitres précédents permet de donner des éléments de réponses limités à ces interrogations. Les investigations évoquées dans le présent chapitre trouvent alors leur justification pour avancer sur cette piste de recherche.

Nous devons alors chercher à savoir si les interactions entre les traits sémantiques de la notion et ceux du concept sont favorables à l'apprentissage (auquel cas elles devront être exploitées) ou défavorables (auquel cas, l'enseignement devra prendre en charge les problèmes de compatibilité et "d'interférence" potentiels) : par exemple si le terme de vibration semble donner lieu à des interactions plutôt favorables (par proximité entre les traits de la notion et du concept), nous estimons qu'il n'en est probablement pas de même avec le terme charge (la charge électrique n'a a priori que peut d'attributs de la notion de charge).

Gentilhomme (1994) estime que ‘"le chercheur utilise conjointement les deux signifiés, conceptuel et notionel. Si le premier est le seul qui apparaît explicitement dans l'élaboration d'un discours rigoureux [...], implicitement dans la genèse de sa pensée, le chercheur prend appui sur un substrat notionel"’ (p.33). Si c'est là un objectif pour l'élève, celui-ci a un rapport cependant très différent au signifiant. C'est la capacité à utiliser le concept sans être gêné par la notion qui est à acquérir pour l'élève. Lorsque ce sera le cas, l'étendu de la notion, les traits sémantiques attachés à d'autres contextes pourront enrichir le concept. Nous pouvons même reconnaître avec Gentilhomme (1994) que le ‘"fonctionnement d'un terme technoscientifique exige la coprésence d'une notion et d'un concept".’ S'il est pratique et utile, pour le spécialiste, d'utiliser la notion pour la circonscrire à la discipline, ceci n'est pas forcément le cas pour l'élève. Dans les cas d'écart sémantique relativement fort entre la notion et le concept, l'enseignement doit veiller à ce que cette coprésence ne soit pas source de confusion, en permettant la construction de sens du concept dans de bonnes conditions. Pour ceci, il faut non seulement être capable de repérer les traits sémantiques associés à la notion mais également ceux qui sont associés au concept scientifique.

Nous pourrons alors distinguer les cas où la construction du concept à partir de la notion présente un contexte favorable34 (il semble par exemple que ce soit le cas de vibration) des cas où la relation est plus conflictuelle et prête davantage à confusion (ce pourrait être par exemple le cas de hauteur ou volume).

Dans un cas comme dans l'autre il convient de porter un intérêt particulier aux termes qui sont impliqués (en tant que concept) dans des disciplines scolaires différentes ou dans des branches différentes d'une même discipline. Si, pour le physicien, la notion d'intensité est le point de passage qui établit une relation entre les deux concepts bien distincts d'intensité électrique et d'intensité acoustique, l'identité du terme risque de poser bien davantage de problèmes pour l'élève puisqu'il s'agit alors de construire un sens à l'un ou l'autre des concepts.

S'il est évident qu'une analyse lexicale doit être menée pour mieux connaître ces effets impliqués dans les processus d'apprentissage, il ne faut pas non plus négliger les aspects syntaxiques.

Notes
34.

Il reste alors à savoir sur quels points d'appui sémantiques basés la construction du concept.