IX.1.3 Approches lexicales et syntaxiques

Il est indéniable que le lexique "porte" les concepts. Il convient donc, pour mieux comprendre les interactions mutuelles entre usage de la langue d'une part et construction des connaissances et raisonnements d'autre part, d'accorder une importance spécifique au contenu lexical.

Ce contenu lexical influence fortement les mécanismes cognitifs des élèves (dans une certaine mesure il peut également les révéler). Les traits sémantiques attachés à un terme sont fondamentaux mais différents points de vue théoriques ont abordé cette vaste question. La classification des mots en catégories a par exemple été constatée depuis longtemps. Kleiber (1990) traite du problème en indiquant que la question est éminemment sémantique : "A une interrogation telle que quels sont les critères qui président au regroupement d'un ensemble d'occurrences sous un même chapeau dénominatif ? fait écho la question quels sont les critères qui décident de l'appartenance d'une occurrence à une catégorie ?" (p.17). Ceci revient donc à étudier les traits sémantiques d'un terme déterminants pour appartenir à une catégorie. Cette catégorisation, en devenant multiple ou hiérarchique, devient essentielle pour la définition des termes techniques ou scientifiques et pour le repérage, de fait, de leur traits sémantiques (Guilbert, 1973). On voit que si un terme connu avant l'enseignement par l'élève est affecté à une catégorie, les traits sémantiques que cette appartenance induit ne seront pas forcément compatible avec le concept de même signifiant.

Nous pouvons également mentionner à ce sujet l'importance des structures métaphoriques dans ces phénomènes de catégorisation. Dans l'ouvrage déjà mentionné qu'ils y consacrent, Lakoff et Johnson (1985) décrivent bien comment la métaphore consiste à catégoriser et à lier des entités lexicales par certains traits sémantiques. Par exemple, la métaphore, dans notre cas, "le son est une substance matérielle molle" attribue au son des traits sémantiques de la substance matérielle molle35.

Si nous ne séparons donc pas le lexical du sémantique, nous ne négligerons pas non plus l'influence des formes syntaxiques. La structure syntaxique permet de relier en particulier les connaissances véhiculées par la langue et le fonctionnement propre de celle-ci (Collet, 1996). Les formes syntaxiques sont non seulement révélatrices des mécanismes cognitifs mais aussi de l'éventuelle difficulté à construire du sens pour un concept. Le degré de plausibilité attribué à un énoncé ou son caractère scientifique peuvent être dus à sa forme syntaxique. Guilbert (1973) signale en effet à ce sujet que ‘"la spécificité du terme scientifico-technique se marque aussi [...] par son insertion syntaxique"’ (p.17).

Sans entrer davantage dans les détails théoriques, nous donnons un exemple pratique basé sur l'observation de séquences d'enseignement au collège. Baudry et al. (1998) constatent ainsi : "De nombreuses difficultés linguistiques sont à mettre en relation avec une autre opération intellectuelle très importante au collège, l'abstraction". Il s'agit alors le plus souvent de nominaliser. La description de l'action se fait au niveau du concret alors que la nominalisation oblige à l'abstraction : dire que la corde de guitare vibre vite ce n'est pas la même chose que de dire que la vibration de la corde se fait de façon très rapide. Il faut ensuite utiliser cette nominalisation. Baudry et al. (1998) indique par exemple que l'utilisation de la nominalisation en sujet est plus difficile qu'en complément d'objet.

Ces développements théoriques ont permis de dégager ce qui devra être observé et analysé dans notre recherche :

Les méthodes mise en oeuvre pour mener à bien ces recherches seront détaillées dans le paragraphe IX.3.

Dans l'immédiat nous revenons sur l'analyse lexicale permise par le questionnaire du chapitre VII passé avant et après enseignement.

Notes
35.

Cet exemple n'est pas le fruit du hasard mais a quelques fondements expérimentaux. Nous avons vu combien cette métaphore semblait opératoire pour bon nombre d'élèves (cf. chapitre III en particulier).

36.

Pour rendre compte de la multiplicité de traits sémantiques, Picoche (1986) utilise la notion de signifié de puissance qui rendrait compte de l'unité sémantique qu'il est possible d'extraire d'un terme polysémique.